Antoine Raimbault sur « Une affaire de principe » : « Il ne s’agissait pas d’imiter, mais de créer un José Bové de cinéma »

Antoine Raimbault sur « Une affaire de principe » : « Il ne s’agissait pas d’imiter, mais de créer un José Bové de cinéma »

03 mai 2024
Cinéma
« Une affaire de principe »
« Une affaire de principe » réalisé par Antoine Raimbault Pascal Chantier

Après Une intime conviction, Antoine Raimbault revient avec Une affaire de principe et transforme en thriller de bureau un fait divers mêlant instances européennes, lobbies du tabac et l’eurodéputé José Bové. Entretien avec le réalisateur, qui nous éclaire sur les coulisses de sa création.


Comment est née l’idée de ce film sur les lobbies du tabac ?

Antoine Raimbault : Marc Bordure, producteur chez Agat Films, est venu me voir avec l’idée d’un documentaire sur Interpol qui dévoilait comment l’organisation avait été financée par des lobbies. Je me suis lancé sur ce premier projet. Avec mon coscénariste Marc Syrigas, nous avons fait beaucoup de recherches dans l’idée de réaliser un thriller. Finalement le projet a dû être abandonné, mais à l’intérieur de notre « enquête », nous sommes tombés sur l’affaire Dalli qui a frappé la Commission européenne en 2012. Ce scandale concentrait tout ce que nous recherchions : un aspect polar, la notion de présomption d’innocence qui m’intéresse beaucoup, et le cadre des institutions européennes, très peu représentées au cinéma. Très vite, je me suis rendu compte que José Bové était omniprésent dans cette affaire, qu’il s’était investi personnellement au point de mener une investigation, et qu’il a tout raconté dans un chapitre de son livre Hold-up à Bruxelles, les lobbies au cœur de l’Europe (2014, éd. La Découverte). Cette rencontre a tout lancé.

De quelle manière s’est déroulée votre collaboration avec José Bové ?

José Bové et son assistant parlementaire Jean-Marc Desfilhes étaient notre source principale. Avec Marc [Syrigas], nous sommes allés à leur rencontre pour recueillir leurs témoignages dans des entretiens enregistrés. Je me suis servi de leurs émotions et de leur point de vue sur cette enquête. Nous sommes ensuite partis écrire pendant plus d’un an, tout en leur faisant lire différentes versions du scénario. Leur regard était crucial. Nous attendions d’eux qu’ils soient vigilants sur la rigueur, pour qu’il n’y ait pas d’erreurs factuelles autant du côté des institutions et de leur fonctionnement que de l’enquête en elle-même, y compris lorsque j’ai été obligé pour les besoins du cinéma de resserrer ou de développer certains points de l’histoire. Car il a fallu réinventer certains aspects, les trahir, mais pour dire la vérité. Ces contraintes me plaisent, car elles m’obligent à circonscrire la fiction.

J’ai été obligé pour les besoins du cinéma de resserrer ou de développer certains points de l’histoire. Il a fallu réinventer certains aspects, les trahir, mais pour dire la vérité. Ces contraintes me plaisent, car elles m’obligent à circonscrire la fiction.

Quelle est la part donnée au réel ?

Quand j’arrive au bout du travail, moi-même je ne sais plus complètement distinguer la fiction du réel ! Mais avec Une affaire de principe, je n’ai ni trafiqué ni transformé des éléments de fond. C’est dans la forme que j’ai inventé, que j’ai fait des choix.

Comment avez-vous abordé la mise en scène ?

Pour l’aspect thriller de bureau, je voulais rendre spectaculaires des endroits assez simples. Pour le reste, nous avons tourné dans des décors extraordinaires au Parlement européen, à Bruxelles et à Strasbourg. Nous étions dans les lieux du réel, qui ont leurs propres codes et qui racontent déjà beaucoup de choses, rien que dans leur configuration. J’ai pu construire mes séquences autour de ces aspects. Mais c’était un défi car il s’agit de lieux immenses, compliqués à appréhender, à éclairer, ou même à rejoindre car tous les matins nous mettions une heure à passer la sécurité !

Avez-vous été bien accueillis ?

Le Parlement nous a accueillis à bras ouverts pendant les quarante jours de tournage. Ils ont mobilisé du temps et de l’énergie pour nous encadrer notamment durant le mois d’août qui ne fonctionne pas à plein régime. C’est une très bonne nouvelle pour la démocratie de savoir qu’il est possible de faire des fictions tirées du réel, sans difficulté et sans changer les noms des protagonistes. Une phrase dans le film résume tout : « Ce ne sont pas les institutions le problème, mais ceux qui les font. »

 

José Bové était-il également présent durant le tournage ?

Il est venu jeter un coup d’œil. Je préférais qu’il vienne à la fin, pour éviter de mettre la pression à Bouli Lanners. C’est en effet toujours compliqué d’interpréter quelqu’un qui existe. Mais un jour, au début du tournage, José Bové est arrivé sur le plateau à l’improviste ! Je dois louer la grande confiance qu’il nous a accordée et la liberté qu’il nous a laissée dans l’invention.

Pourquoi avoir choisi Bouli Lanners pour incarner José Bové ?

J’avais plusieurs acteurs en tête et Bouli Lanners était en haut de la liste. J’avais besoin d’un acteur qui ait envie de jouer une personnalité à laquelle il pourrait directement être comparé, José Bové étant de plus très caractérisé dans la vraie vie avec sa moustache et sa pipe. Bouli [Lanners] a tout de suite été très enjoué. Il a adoré le scénario. Mais tout s’est confirmé lors de leur rencontre. Je n’avais pas besoin que José Bové valide mon acteur. En revanche, je souhaitais qu’il y ait une connexion entre eux. Pour moi, c’était le début du travail de Bouli. Et leur collaboration s’est très bien passée car il y avait une envie commune : le désir de Bouli d’incarner José Bové a rencontré son regard bienveillant. C’était comme une évidence.

Je fais mon chemin de cinéma en partant d’un travail journalistique durant lequel j’épluche de la matière. J’ai l’impression que mon travail de scénariste consiste à mener moi-même l’enquête.

Comment Bouli Lanners a-t-il construit son interprétation ?

Il ne s’agissait pas d’imiter, mais de créer un José Bové de cinéma. Évidemment, je ne me voyais pas lui enlever sa moustache et Bouli [Lanners] avait besoin de se transformer. Il a même tenu à perdre du poids ! Ensuite, nous avons fabriqué un personnage qui n’est pas exactement le José Bové de notre imaginaire – celui qui fauche des champs OGM ou qui démonte un McDo – mais celui qui est eurodéputé, parle de droit et travaille dans des bureaux. Nous étions à un endroit de la représentation par rapport au réel qui était très spécifique. Au contraire, pour le personnage joué par Thomas VDB dans le film, très inspiré de Jean-Marc Desfilhes, nous avons pu nous émanciper car il n’est pas connu de la même manière.

Le sujet de votre film est plutôt complexe. Y intégrer la figure de Clémence, stagiaire incarnée par Céleste Brunnquell, était-il un moyen de rendre le sujet accessible ?

La stagiaire me représente un peu lors des repérages quand je débarque au Parlement, que je n’ai pas les codes et que j’essaye d’appréhender le fonctionnement de cette institution. C’est mon point de vue, mon regard. Et à l’arrivée, c’est aussi le regard du spectateur car Clémence pose les questions que le public est en train de se poser.

Votre premier long métrage, Une intime conviction, s’inspirait également de faits réels. Est-ce un critère dans votre filmographie ?

J’ai réalisé ces deux films de la même façon. Ils ont un peu le même ADN. Je fais effectivement mon chemin de cinéma en partant d’un travail journalistique en amont durant lequel j’épluche de la matière. Je la raffine. J’ai l’impression que mon travail de scénariste consiste à mener moi-même l’enquête. Peut-être que je crains simplement le vide et de la fiction pure… En tout cas, personne ne réalise un film en partant de rien. Il y a toujours des recherches. Sur mes projets à venir, je pars également d’événements réels, mais cette fois-ci ils se situent plus loin dans le temps. Je n’ai plus accès aux protagonistes, car il y a un décalage historique assez fort.
 

UNE AFFAIRE DE PRINCIPE

Affiche de « Une affaire de principe » réalisé par Antoine Raimbault
Une affaire de principe Memento

Réalisation : Antoine Raimbault
Scénario : Antoine Raimbault, Marc Syrigas
Adaptation : d’après Hold-up à Bruxelles, les lobbies au cœur de l’Europe, de José Bové et Gilles Luneau
Musique : Grégoire Auger
Production : Agat Films, Memento Production
Distribution : Memento Distribution
Ventes internationales : Charades
Sortie le 1er mai 2024

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