Un cinéma itinérant dans les camps de réfugiés et de déplacés au Kurdistan Irakien

Un cinéma itinérant dans les camps de réfugiés et de déplacés au Kurdistan Irakien

27 juin 2017
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C’est dans cette logique que le CNC a souhaité initier pour cette édition 2017 une collaboration avec l’association « Les Écrans de la Paix », projet de cinéma itinérant dans les camps de réfugiés et de déplacés au Kurdistan irakien, qui a récemment reçu le soutien du CNC.

Le projet Les Écrans de la Paix se résume simplement : projeter grâce à un écran itinérant cinq jours par semaine des films, des documentaires et des événements sportifs dans des camps de réfugiés et de déplacés.

Les cinq camps dans lesquels l’association est présente :

Ankawa 2 : 5 500 déplacés chrétiens, venant de la plaine de Ninive et Mossoul.
Darashakran, : 11 000 réfugiés venant d’Alep et Qamishli et Kobané en Syrie.
Qushtapa  : 6 000 réfugiés venant de Qamishli, Hassaka, Diralok en Syrie.
Bardarash : 12 000 déplacés Shabak (minorité musulmane) venant de la plaine de Ninive et de Mossoul.
Quaïmawa : 10 000 déplacés venant principalement de Mossoul et sa région.
 
> consulter le site Les Écrans de la Paix


Entretien avec Frédéric Namur, président de l'association et Armanj Ahmad, coordinateur du projet

Comment amener des espaces culturels dans des camps de réfugiés ? Depuis 2015, l'association "Les écrans de la paix" a mis en place un cinéma itinérant dans les camps de réfugiés et de déplacés au Kurdistan irakien. Entretien avec Frédéric Namur, président de l'association et Armanj Ahmad, coordinateur du projet sur place.

Publié par Courrier international sur lundi 26 juin 2017

 


"C’est lors de l’inauguration de « Radio Al-Salam », « Radio de la paix », en Avril 2015 à Erbil, la capitale du Kurdistan Irakien, qu’est né le projet des « Ecrans de la Paix ».

Au milieu d’une plaine, une clôture constituée de grillages surmontés de barbelés et à l’unique entrée un poste de contrôle avec des militaires armés. Après une certaine heure dans la soirée, le couvre-feu. Interdiction d’entrer ou de sortir. A l’intérieur de cet immense espace, des tentes, des centaines de tentes alignées le long de rues, boueuses l’hiver, poussiéreuses l’été, des « latrines » en parpaings partagés entre plusieurs tentes.

Dans certains camps les tentes ont été remplacées par des bungalows, quel progrès ! Tous ont l’électricité, quelques heures par jour (!!) suivant les saisons. L’hiver le chauffage c’est généralement des poêles à fuel, alors les incendies…
Il faut vivre quand même. De petits commerces ponctuent le decumanus ou le cardo du camp ainsi que quelques équipements indispensables : école, centre de santé, petite salle polyvalente, terrain de foot ou de jeux, pôle administratif. Et puis plus rien.

C’est ce sentiment de vide, de rien, de vacuité, d’attente de l’heure suivante, du soir suivant, du jour suivant, de la semaine suivante, du mois suivant, de … suivant. Alors que faire, que proposer, qu’offrir ?

Raconter une histoire, raconter un ailleurs, ouvrir sur le monde, au-delà des grillages, une fenêtre, permettre une respiration et dire, non le monde, mon monde ne se réduit pas à cet espace clos, ni pour moi ni pour mes enfants.

Alors tout simplement tendre la main et tendre un écran sur lequel on projette cinq jours par semaine à l’intérieur d’une petite salle ou en plein air, des films, des documentaires, des événements sportifs.

Alors le cinéma.
La première phase du projet a consisté à définir le matériel technique dont nous avions besoin et à trouver le financement. Celui-ci a été intégralement couvert par des dons privés, des relations personnelles. Dons en nature (vidéoprojecteur, chaîne son, billets d’avion) et dons en espèces.

Nous avons alors procédé au recrutement de la volontaire qui allait piloter le projet sur le terrain pendant un an, Linda Peterhans, jeune suissesse, qui avait une certaine expérience du travail dans les camps de réfugiés, possédait un solide bagage universitaire et surtout parlait arabe en plus du français, de l’anglais, de l’allemand, de l’espagnol et du portugais !

En Octobre 2015, Linda posait ses valises à Erbil, sans avoir de logement, ni de bureau !
En trois mois toute la logistique du projet fut à pied d’œuvre : transport aérien du matériel, dédouanement (!!), logement, bureaux, choix des camps dans lesquels nous allions organiser les projections, obtention des autorisations administratives et accords des différents managers des camps.

Les six camps dans lesquels nous sommes présents sont ceux de :

  • Ankawa 2, près d’Erbil, camp regroupant 5 500 déplacés chrétiens, venant de la plaine de Ninive et Mossoul.
  • Darashakran à 1 heure d’Erbil, camp regroupant 11 000 réfugiés venant d’Alep et Qamishli et Kobané en Syrie.
  • Qushtapa à 30 minutes d’Erbil, camp regroupant 6 000 réfugiés venant de Qamishli, Hassaka , Diralok en Syrie
  • Bardarash, à 1h30 d’Erbil dans le gouvernorat de Dohuk. Ce camp abrite environ 12 000 déplacés Shabak (minorité musulmane) venant de la plaine de Ninive et de Mossoul.
  • Harsham, prés d’Erbil, camp regroupant 5 000 réfugiés syriens.
  • Ama, petit « squatt » dans un immeuble en construction dans la banlieue d’Erbil, abritant quelques familles chrétiennes et Yézidis.

Le choix de limiter notre intervention dans six camps nous permet d’assurer chaque jour de la semaine, 2 projections in-door pendant la mauvaise saison (hiver et automne) et, dès le printemps et l’été, une projection in-door l’après-midi et une projection en soirée en plein air sur grand écran. Nos moyens financiers et les problèmes de logistique ne nous permettent pas d’être présent dans plus de camps ni de faire plus de projections. La programmation est très centrée sur les films familiaux, surtout des comédies, les dessins animés. Les films doivent être soit sous-titrés en arabe, soit doublés en arabe (indispensable pour les films pour enfants qui ne lisent pas encore l’arabe). C’est la difficulté majeure, obtenir des films en arabe. Nous allons commencer des projections qui ont trait à la culture du Moyen-Orient architecture, musique, peinture, archéologie etc… ainsi que des films traitant de sujets sociétaux tels que la violence conjugale, le mariage des enfants. Ces projections se feront en concertation avec les ONG présentes afin de cibler certains publics notamment les femmes car le soir celles-ci ne sortent pas.

Nous avons aussi diffusé via des antennes paraboliques, en plus des films, des événements sportifs, matchs de la coupe d’Europe de football.

Pour assurer ces projections, nous avons deux vidéoprojecteurs, un ordinateur, un écran repliable de 2 mètres de base, un écran gonflable de 10 mètres de base, une chaine son, un groupe électrogène et un pick-up pour transporter le matériel.

Depuis le début de l’année 2016, nous avons organisé plus de 120 séances de cinéma et ce sont plus de 12 000 personnes majoritairement des enfants, qui ont assisté à nos projections.
Ainsi ils ont pu voir : Age de Glace 3, Age de Glace 4, Aladdin, Cars, Kung Fu Panda, Le Roi Lion, Les Indestructibles, Les Minions, Les Pingouins de Madagascar, Madagascar 2, Mission Impossible.
Mais aussi : Caramel, Charlie Chaplin : Le cirque et  Les temps modernes, Wadjda.
D’ici la fin de l’année nous avons établi une première programmation qui proposera : Batman, Captain Abu Raed, Les Femmes du bus 678, Persepolis, Star Wars, The Walk, The Idole, Une séparation, Wall-E, Le retour de la Fanfare etc…
La programmation du mois d’Octobre, en partenariat avec l’Institut Français, sera consacrée au festival du film d’animation et nous projetterons durant ce mois, des films d’animation réalisés principalement par les élèves des écoles françaises d’animation.

Aujourd’hui c’est une nouvelle aventure pour notre association qui est soutenue par le CNC et dont le comité de soutien s’enrichi tous les jours de nouveaux membres. Nous espérons pouvoir dès l’année prochaine élargir notre action à l’ensemble du Kurdistan et être présents dès que cela sera possible dans les territoires Irakiens libérés afin de planter à nouveau un écran de cinéma, fenêtre ouverte sur le monde."

Frédéric Namur, Président de l’association Les Ecrans de la Paix