[Portrait] José Caltagirone, l'enfant de la télé

[Portrait] José Caltagirone, l'enfant de la télé

21 juin 2018
Séries et TV
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Nourri pendant sa jeunesse aux soaps, aux séries américaines, aux feuilletons d’AB Productions (Hélène et les garçons, Le Miel et les abeilles…), José Caltagirone a grandi devant le petit écran. « Je viens d’une famille d’immigrés italiens, dans laquelle on avait pas le réflexe de coller un gamin devant un livre. Cela a nourri quelques complexes plus tard, mais j’ai effectivement passé beaucoup de temps devant des programmes comme Melrose Place, Beverly Hills… Je dirais même qu’ils ont contribué à façonner mon sens de la dramaturgie. Ce n’est pas un hasard si je me suis senti aussi à l’aise lorsque j’ai écrit des épisodes de Plus belle la vie et Cut », précise le scénariste.

A l’adolescence, ce passe-temps devient passion. Pendant que ses parents travaillent dans leur restaurant, au-dessus duquel habite la famille, José Caltagirone regarde parfois plusieurs fois de suite les épisodes préalablement enregistrés pour en recopier toutes les lignes de dialogues. Une occupation qui lui permet ensuite de frimer en répétant dans des conversations les phrases issues de ces soaps, comme si elles venaient de lui. Au sein de ces années de boulimie télévisuelle émerge une série : Friends. Une claque, à l’époque, et encore aujourd’hui.

« Ça a été un choc : la modernité des personnages, leur côté à la fois drôle et touchant… Je revois l’intégrale des saisons tous les ans. Je les connais par cœur. Je pense qu’il y a eu un moment un peu schizophrène dans ma vie, au cours duquel je croyais qu’ils existaient vraiment, et que j’étais le 7eme membre de leur petite bande !» Preuve que la passion est intacte, José Caltagirone a choisi d’appeler son chien… Phoebe [prénom du personnage interprété par Lisa Kudrow dans la série].

 

Deuxième vie

A l’époque, le jeune Mulhousien né en 1982 ne songe pas encore à devenir scénariste. Ce n’est qu’à l’âge de 25 ans, après avoir longtemps tâtonné (études de droit avortées, quatre ans d’école de commerce, travail au sein de maisons de disques…), qu’il passe et réussit le concours d’entrée au Conservatoire européen d’écriture audiovisuelle (CEEA). « Je sentais que je n’étais pas fait pour le travail en entreprise et sa hiérarchie. J’adorais regarder des séries, j’avais des cahiers remplis de dialogues et d’idées d’histoires… J’ai tapé « scénariste » sur Google et j’ai atterri sur la page d’accueil du CEEA. Il m’est alors apparu comme une évidence que c’était ce que je voulais faire. »

Débute alors sa « seconde vie ». Deux années de formation intenses, musclées, au cours desquelles l’apprenti-auteur découvre le travail en équipe, les ateliers, apprends à mettre son ego de côté en confrontant ses idées à celles des autres. L’écriture à plusieurs mains lui plaît. « Elle te sort de ta bulle. Et casse cette espèce de mythe français de l’auteur qui écrit seul, dans sa chambre de bonne et avec son sang, l’œuvre de sa vie. Cette vision a fait beaucoup de mal mais, heureusement, a tendance à disparaître. » C’est aussi là qu’il rencontre Valentine Milville, son « épouse d’écriture » avec qui il signera par la suite quantité de projets.

Ce qu’il n’apprend pas au CEEA, c’est dans un centre de formation tout aussi intensif que José Caltagirone va le découvrir. Il entre en effet, quelques mois après avoir été diplômé, dans l’équipe d’écriture de Plus belle la vie, le feuilleton quotidien de France 3. Une plongée dans le grand bain, à vitesse grand V, qui lui permet de mettre en pratique les enseignements du CEEA. « Plus belle la vie appris à travailler vite, à flux tendu et avec d’autres auteurs, et à être encore plus organisé. Il faut sans cesse avoir de nouvelles idées,  pitcher, convaincre que ce sont les bonnes. Je l’ai fait deux ans. C’est génial, mais très dur mentalement et épuisant. Tu vis, manges et dors avec tes personnages ». En 2013, il passe finalement la main et part travailler sur Cut (France Ô), autre soap destiné à la jeunesse, sur lequel il œuvre depuis près de six ans, et Pep’s, une série comique diffusée sur TF1.

« La télévision est une industrie »

Beaucoup de projets de séries qu’il conçoit à partir de 2013, parfois avec le soutien financier d’une société de production, ne verront pas le jour. Des regrets d’avoir vu ainsi mourir des projets parfois personnels ? « Aucun. La télévision est une industrie. Si tu veux écrire des projets personnels qui te tiennent viscéralement à cœur, il faut faire un autre métier. Le taux de transformation à l’écran est de 10% maximum. Et encore. Je n’ai pas de regrets ou de déception à ce sujet, et j’ai de toute façon été payé pour le travail fourni ! »

La série Speakerine, développée avec Valentine Milville à partir de 2012 a, elle, bien vu le jour. Elle a finalement été diffusée par France 2 en avril 2018, mais lui laisse un souvenir teinté d’amertume. « Pour le dire crûment, ce projet a été notre perte de virginité sur le développement de séries. C’est la première fois que nous avons été confrontés au jeunisme de ce métier, et eu l’impression qu’il ne suffisait pas d’avoir de bonnes idées mais que visiblement il fallait aussi avoir plus de 50 ans pour être pris au sérieux. Certains nous surnommaient « les bébés ». On nous a donc adjoints des scénaristes plus expérimentés, et l’écriture a pris un temps très long, avec beaucoup de tâtonnements ». Milville et Caltagirone signent finalement deux des six épisodes de la série.

 Bande annonce de la série "Speakerine" (France 2)

Après « l’aventure collaborative » Crime Time (diffusée sur Studio +), José Caltagirone s’est attelé en 2016 à un projet lui tenant plus particulièrement à cœur : Fiertés (Arte, lire encadré). Un 3x52’ qui, s’il n’est pas totalement autobiographique, s’appuie fortement sur les expériences et parcours de José Caltagirone et de son co-auteur, Niels Rahou. Cette mini-série, réalisée par Philippe Faucon, retrace le combat pour les droits des minorités sexuelles en France à travers le récit intime de trois générations et trois destins d’hommes. « Ce n’est pas une retranscription de mon histoire, mais il y a énormément de moi, dedans. Sur le plan du travail, « Fiertés » est une expérience très heureuse, fluide, rapide. Nous avions tous la même vision de ce que nous voulions faire. »

Depuis, les projets s’accumulent. José Caltagirone travaille actuellement sur six séries en passe d’entrer en phase de recherche de diffuseurs. Ainsi que sur Osmosis, la seconde série française de Netflix après Marseille. Comme quoi, l’ex-« bébé »semble désormais pris au sérieux.

 

Fiertés, 3 décennies de luttes

Réalisée par Philippe Faucon (Fatima), la mini-série d’Arte Fiertés retrace le combat pour les droits des minorités sexuelles en France à travers trois générations et trois destins d'hommes. Tout débute au printemps 1981. A la veille de l’élection présidentielle, Victor, 17 ans, prépare son bac entre sa petite amie Aurélie et le chantier sur lequel il travaille les week-ends, sous la direction de son père, Charles, ardent partisan de Mitterrand. Un jour, lui et Selim, le fils du contremaître, nouent une relation amoureuse secrète. Charles les surprend et, choqué, rejette la responsabilité sur Selim, qu'il licencie. Au lycée, la rumeur se répand, comme les sarcasmes, à l'encontre de Victor. Perdu et blessé, le jeune homme s'efforce de refouler ses désirs sous la pression de son père et malgré le soutien silencieux de sa mère, Martine. Victor va devoir peu à peu assumer son homosexualité…

De la dépénalisation tardive de l'homosexualité, en 1982, dans la foulée de l'élection de François Mitterrand, à l'adoption de la loi Taubira, Philippe Faucon retrace au travers du destin de Victor et des siens le combat en France des minorités sexuelles pour leur reconnaissance et leurs droits. Fiertés, que le CNC a soutenue, a déjà reçu plusieurs récompenses : Meilleure série au Festival de Luchon, et plus récemment, deux trophées à Colcoa (Prix du public Meilleure série et Prix du Jury Meilleure série). Elle peut être visionnée en replay sur le site d’Arte.