Sébastien Maitre, éloge du zigzag

Sébastien Maitre, éloge du zigzag

02 mars 2018
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Certains trouvent leur voie dès l’enfance. Cela pourra être une passion dévorante qui ne les quitte plus ; ou la reproduction, par déterminisme, d’un itinéraire préalablement emprunté par un parent. D’autres, au contraire, tâtonnent. Parfois pendant des décennies. Sébastien Maitre appartient à cette seconde catégorie.

Le réalisateur français a longtemps zigzagué. Naissance en 1973 à Bar-le-Duc. Enfance et adolescence à Besançon, dans le Doubs. En 1992, le jeune étudiant met les voiles pour Paris. Projetant alors de faire carrière dans la diplomatie, il suit un double cursus pour le moins ambitieux : économie et japonais, à l’Inalco. Il tiendra six mois.

Retour à Besançon, pour explorer une nouvelle voie : la publicité/marketing, option communication.

« C’était plus simple que le Japonais et ça me correspondait, sourit Sébastien Maitre. J’étais très investi dans l’association des étudiants, pour organiser les voyages, les soirées… Cela m’a permis de me professionnaliser assez vite et de comprendre que je préférais l’expérience réelle plutôt que les études ».

Il se destine désormais à une carrière dans l’événementiel. Pourquoi pas dans la musique. Pourquoi pas en Angleterre.

Le service militaire imprime cependant un changement de cap. « Au lieu de rester bêtement en France, j’ai opté pour l’Afrique ». Première rencontre, et flash immédiat. Ces 24 mois en Côte d’Ivoire sont l’occasion d’ajouter de nouvelles cordes à son arc : photographe du bataillon, instituteur remplaçant, responsable de centre aéré et enfin prof de philosophie pour les sous-officiers préparant le concours d’officier. Excusez du peu.

Cette première expérience africaine le marque à tout jamais. « Ça a été un véritable coup de foudre. C’est un continent avec des villes qui vivent tout le temps. On s’y sent incroyablement vivant. Les gens sont plus chaleureux, ont un sens de l’humour, une vision du futur que nous n’avons pas, ici. Comme tout est fragile, ils vivent dans l’instant. J’ai instinctivement aimé cela. »

Le retour en France, en 1998, est rude. Après 5 mois d’interim et une poignée de petits boulots, Sébastien Maitre décolle à nouveau. Direction, cette fois-ci, l’Equateur, où il voyage quelques mois et retrouve une mentalité et une façon de vivre plus proches de ses aspirations. Puis nouveau retour en France. Nouveaux jobs alimentaires. Nouvel ennui. Nouveau départ.
 

Couteau suisse

Cette fois-ci, ce sera l’Espagne. A Oviedo tout d’abord, où il travaille durant cinq mois comme assistant de communication du conseiller général de la jeunesse. A la fin de sa mission, Sébastien Maitre, qui se sent comme un poisson dans l’eau en Espagne, décide de prolonger son séjour ibérique. Il vit alors deux ans à Barcelone. Et multiplie encore une fois les petits métiers : distributeur de prospectus, mannequin… Avant de travailler dans une association spécialisée dans la réinsertion professionnelle.

C’est là, enfin, que Sébastien Maitre « rencontre » le cinéma. Un beau jour, le voilà chargé d’accueillir et d’aider une société de production qui souhaite utiliser les locaux de l’association pour tourner un clip. Il fait, indirectement, ses premiers pas de régisseur. L’expérience est une révélation. « J’avais 28 ans et je venais de trouver ce que je voulais faire de ma vie : bosser dans le cinéma ».

Eternel recommencement : au tournant des années 2000, Sébastien Maitre revient dans l’Hexagone. Il parvient à se faire embaucher en régie sur un premier long métrage, Le Lait de la tendresse humaine, de Dominique Cabrera. C’est le début d’une belle série de près de quinze ans, durant lesquels Sébastien Maitre enchaîne courts puis longs métrages (au total une grosse soixantaine de films), assez rapidement au poste de régisseur général. Parmi ses souvenirs les plus marquants : Le Chignon d’Olga, de Jérôme Bonnell (son premier film comme régisseur général), la série L’affaire Villemin, de Raoul Peck ou encore Rebelle, de Kim Nguyen.

« Régisseur général, c’est un métier méconnu, fatiguant mais magnifique. On est un peu le couteau suisse d’un tournage : on touche à tous les postes et il faut des connaissances dans tous les domaines, être capable de parler aussi bien à l’adjoint au maire qu’aux journalistes ou aux ouvriers. Nous sommes les premiers arrivés et les derniers partis ! »
 

Viva Kinshasa

Après 22 ans d’absence, Sébastien Maitre retourne en Afrique noire en 2009, pour le tournage de Viva Riva ! en République démocratique du Congo. Il découvre alors Kinshasa, pendant quatre mois. « J’ai cru que je ne m’en sortirai pas ! C’est une ville très compliquée. Il faut oublier tout ce que l’on croit savoir, tous nos codes. Accepter de découvrir, d’être dans la rue et de s’y frotter. Il y a beaucoup de petites subtilités qu’il faut saisir… Il m’a fallu des mois pour comprendre cela. J’y suis ensuite retourné et suis tombé complètement amoureux de cette ville. Certains disent qu'on pleure deux fois, avec Kinshasa : quand on y arrive, et quand on doit en repartir. »

2013. Fatigué, Sébastien Maitre désire lever le pied. Car si la suite logique, pour un régisseur général, est de devenir directeur de production, lui n’en ressent pas l’envie, faute d’intérêt pour le droit et les aspects juridico-financiers. Il a en revanche, depuis quelques temps, une idée de film... Mais, n'étant de son propre aveu "pas spécialement cinéphile", il n'ambitionne pas de passer à la réalisation. Sur les conseils d’une amie, il suit cependant une formation au CEFPF : « Ecrire et réaliser un documentaire ».

Après la réalisation d’un doc de 20 minutes, il se lance dans l’écriture d’un premier court métrage de fiction, Debout Kinshasa !. Ce petit film lumineux et énergique raconte les tribulations d’un enfant dans les rues animées de la capitale congolaise. En quête d’une paire de chaussures pour aller à l’école, il devra pour les obtenir faire preuve de la plus grande des débrouillardises. La matière est si conséquente que Sébastien Maitre en tirera également une bande dessinée et une série de pastilles documentaires sur les "petits métiers de rue" de Kinshasa.

Réalisateur sans en avoir rêvé, vivant désormais une partie de l’année à Kinshasa, Sébastien Maitre multiplie aujourd’hui les projets se déroulant dans cette ville (documentaire, court métrage, long en écriture). Et tire avec le sourire les enseignements de son parcours plein de rebonds :

« Il ne faut pas être pressé, ne rien s’interdire. J’ai 45 ans, et j’ai seulement réalisé un court métrage. Je n’en ai pas honte ! Il n’y a pas d’âge pour faire les choses, pas d’âge pour dire « Je change de direction », pas d’âge pour se tromper. Hauts les cœurs, la vie est belle ! »



 

Cinq films qui ont marqué Sébastien Maitre

  • The Hours, de Stephen Daldry. « Ce film m’a bouleversé et touché en plein cœur. Pendant plusieurs jours, je n’ai même pas été capable d’en parler. J’ai été marqué par le jeu des comédiens, l’histoire… »
  • Les Enfants du marais, de Jean Becker
  • La Cité de Dieu, de Fernando Meirelles et Kátia Lund
  • Snatch, de Guy Ritchie
  • Babel, de Alejandro González Iñárritu



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