« Banel & Adama » : une épopée cinématographique

« Banel & Adama » : une épopée cinématographique

30 août 2023
Cinéma
« Banel & Adama » de Ramata-Toulaye Sy
« Banel & Adama » de Ramata-Toulaye Sy Tandem

Ramata-Toulaye Sy et la productrice Maud Leclair reviennent sur la création et le financement de ce premier long métrage, dont l’idée est née en 2014 alors que la cinéaste était encore sur les bancs de la Fémis. Un film coproduit en délégué par Maud Leclair (La Chauve-Souris) et Margaux Juvénal (Take Shelter), présenté en compétition lors du dernier Festival de Cannes, et soutenu entre autres par l’Avance sur recettes, le Fonds pour la jeune création francophone et le bonus DEENTAL-ACP du CNC.


Il fut l’exception de la compétition cannoise 2023. Le seul premier long métrage sélectionné cette année dans la course à la Palme d’or. La montée des marches de toute l’équipe autour de la réalisatrice Ramata-Toulaye Sy avant la projection dans le Grand Théâtre Lumière du film avait quelque chose d’une apothéose. Celle d’un projet dont la genèse remonte neuf ans plus tôt.

En cette rentrée 2014, la Franco-Sénégalaise entame en effet sa quatrième année à la Fémis, section scénario. Le producteur Éric Névé (Dobermann), devenu dès son entrée dans la prestigieuse école son parrain de cinéma, l’invite à déjeuner pour connaître ses projets. « Je n’ai alors ni personnage ni histoire à proprement parler, mais de but en blanc je lui dis que je veux écrire la plus grande et la plus belle histoire d’amour d’Afrique ! », se souvient Ramata-Toulaye Sy. Celui qui se passionne pour l’Afrique et notamment le Sénégal – où il avait produit en 2012 La Pirogue de Moussa Touré – lui dit instantanément banco. « Alors que je n’ai pas d’agent, il me signe tout de suite un contrat et me laisse développer cette histoire. Un geste d’une confiance inouïe. »

Scénario

Pendant sa dernière année d’études, Ramata-Toulaye Sy finalise donc les premières versions du scénario. « Je suis une fan de littérature et c’est Éric Névé qui m’a connectée à la littérature africaine alors que je lisais surtout des œuvres françaises, afro-américaines, anglaises. Quand je m’y suis mise, je n’y ai pas trouvé de belles histoires d’amour, uniquement des histoires très naturalistes et très sociales. Or moi, j’aime les histoires d’amour, les histoires universelles, la tragédie. Je voulais écrire une histoire d’amour africaine mais qui parle à tout le monde. Et pourquoi au Sénégal ? Parce que mes parents en sont originaires et que je voulais me reconnecter avec ce pays où je n’étais allée que trois fois avant de faire la Fémis. Au cours des trois premières années de mon cursus, j’avais écrit trois scénarios qui se passaient en banlieue parisienne. Parce que je viens de là. Je voulais montrer que je pouvais faire autre chose que des films de cité. » Elle développe un personnage féminin fort, inspiré tout à la fois de Médée, de Sula de Toni Morrison, du personnage de Kate Winslet dans Les Noces rebelles, mais aussi de sa nature profonde. « Je voulais défendre l’idée que tous les films africains n’avaient pas à être politiquement corrects et naturalistes. On a besoin d’œuvres qui montrent autre chose que des femmes noires opprimées ou violées cherchant à s’émanciper. »

Ramata-Toulaye Sy écrit ce scénario sans penser un instant le porter à l’écran. « Mon seul but était de devenir la plus grande scénariste de France après Jean-Claude Carrière, lance-t-elle dans un éclat de rire. C’est pour cela que je lui ai demandé d’être mon tuteur sur Banel & Adama. J’ai eu la chance inouïe qu’il accepte alors que je pensais qu’il allait me dire non. Il a été d’une bienveillance et d’une générosité incroyables. » Une fois son travail d’écriture terminé, Ramata-Toulaye Sy remet son scénario à Éric Névé en lui assurant qu’il ne lui appartient plus. Le producteur se met donc à la recherche d’une cinéaste d’origine africaine pour le porter à l’écran. « C’était le projet qui lui tenait le plus à cœur, se souvient Maud Leclair, sa femme et associée dans La Chauve-Souris Production. Régulièrement, il revenait vers Ramata et insistait pour qu’elle le réalise elle-même, mais elle ne s’en sentait pas la légitimité ni la maturité pour le faire. »

Financement

Et puis, le 21 juillet 2019, Éric Névé s’éteint brutalement à l’âge de 57 ans. « J’ai tout de suite dit à Ramata que je voulais continuer et donner vie à ce projet qui comptait tellement aux yeux d’Éric, mais que, pour y parvenir, il fallait qu’elle le réalise. Je lui ai demandé de le faire pour lui », explique Maud Leclair. Ramata-Toulaye Sy accepte. « Pour Éric, bien sûr, mais aussi parce que cinq ans s’étaient écoulés depuis ma sortie de la Fémis et qu’ayant acquis de l’expérience en travaillant comme scénariste, notamment sur Notre-Dame du Nil d’Atiq Rahimi, j’étais prête à assumer ce film, cette histoire, ma vision du monde et à porter une équipe. »

La longue aventure du financement du film « n’avait rien d’une évidence : un premier long métrage d’une cinéaste qui n’avait pas encore réalisé de court, tourné en langue peule », constate Maud Leclair. Canal+ International est le premier à s’engager, juste avant que Banel & Adama n’obtienne le soutien du programme DEENTAL-ACP, mis en œuvre par le CNC avec la collaboration financière de l’Union européenne et la coopération de l’Organisation des États d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique dits « ACP ». Un dispositif lancé en 2020 qui permet d’accorder des bonus financiers aux projets provenant de ces pays ACP et soutenus par l’Aide aux cinémas du monde ou comme dans le cas de Banel & Adama (coproduit avec le Sénégal et le Mali) par le Fonds pour la jeune création francophone. Deux piliers qui vont jouer un rôle fondamental.

En parallèle, le film est présenté à la commission de l’Avance sur recettes dont les membres sont séduits par le scénario mais ont besoin de voir des images et demandent donc à ce que la cinéaste réalise un court métrage. « Or quand j’avais accepté de réaliser Banel & Adama, je n’avais posé qu’une condition : ne pas faire de court, explique Ramata-Toulaye Sy en souriant. Car je trouve l’écriture des courts plus technique qu’un long métrage et ce n’est pas un format qui me passionne. » La production voit tout de suite deux objectifs à cet exercice imposé : « Avoir un objet cinématographique qui illustre en images l’écriture très littéraire de Ramata pour en comprendre la puissance et lui permettre d’expérimenter la mise en scène. C’est tout sauf un hasard si 70 à 80 % des gens qui ont travaillé sur le court ont fait le long dans la foulée. » À commencer par Amine Berrada, le directeur de la photo du Miracle du Saint Inconnu (Alaa Eddine Aljem) et des Meutes (Kamal Lazraq). « Une pièce essentielle de ce projet, souligne Maud Leclair. Une collaboration artistique, bien sûr, mais aussi intellectuelle et psychologique. Amine a toujours su répondre présent dans les moments où Ramata doutait. » Ce que la cinéaste confirme. « Amine Berrada a fait la Fémis deux promos avant moi mais on ne se connaissait pas. Dès notre premier rendez-vous par téléphone, j’ai vu qu’il avait vraiment compris le scénario. J’aimais aussi l’idée qu’il soit Africain. Je voulais faire ce film en Afrique avec des Africains. On a pu apprendre à se connaître grâce à ce court métrage que je ne voulais pas faire mais qui s’est révélé une très bonne idée, je l’admets volontiers. » Ce court, Astel, elle l’écrit en un mois en plein Covid. « L’idée était de le tourner au même endroit, au Fouta-Toro, une région au nord du Sénégal, dans la même culture, mais en racontant une autre histoire, une autre problématique, d’autres personnages que Banel et Adama », explique Maud Leclair. En l’occurrence une histoire universelle autour de l’amour entre un père et sa fille s’occupant ensemble d’un troupeau de vaches et le basculement de celle-ci dans le monde des femmes. Un court métrage récompensé du prix spécial du Jury au festival de Clermont-Ferrand en 2022 coproduit par Kazak Productions.


Le court est terminé à temps pour accompagner la présentation de Banel & Adama en session plénière de l’Avance sur recettes qu’il décroche. Mais son financement est cependant loin d’être assuré. « Même après l’Avance sur recettes, il manquait de l’argent. On continue donc à chercher. On trouve un vendeur international, Best Friend Forever, qui fait partie du même groupe que nous, on envoie plein de dossiers pour trouver un distributeur. Peu nous répondent. Mais Tandem le fait et s’engage à nos côtés pour aller présenter notre projet à Arte qui accepte de nous rejoindre. » Il y aura aussi Canal+, l’Organisation internationale de la Francophonie, l’Avance sur recettes sénégalaise... Un poste va prendre une grande importance : les effets spéciaux. « Ils étaient essentiels à l’univers visuel que voulait créer Ramata. Et il était tout aussi impératif qu’ils soient bien faits sous peine de voir le spectateur immédiatement décrocher. La société Mac Guff rejoint l'aventure. Ces effets spéciaux-là étaient sur le papier totalement hors de nos moyens. Mais j’y tenais et j’ai été fière quand on a obtenu l’Aide sélective aux effets visuels du CNC pour un film art et essai. »

En parallèle, Ramata-Toulaye Sy travaille assidûment à la préparation de son film. « Visuellement, je voulais du réalisme magique avec cette malédiction dramatique s’abattant sur le couple qui a quelque chose de très biblique, comme un péché originel à travers cette sécheresse venant menacer le village. Le thème du réchauffement climatique m’interroge beaucoup, mais je ne voulais pas le traiter d’une façon documentaire ou naturaliste. » Pour cela, elle échange notamment sur des films avec Amine Berrada. « Des films qui n’ont a priori rien à voir avec Banel & Adama mais qui nous ont beaucoup aidés dans la discussion : Le Fils de Saul, Roma, Mad Max, Jarhead… » Amine Berrada part au Sénégal un mois avant le tournage pour finaliser sur place la préparation et renforcer encore plus son lien avec la cinéaste.

Casting

Mais Banel & Adama, ce fut aussi un défi côté casting. « Cette recherche s’est étalée sur cinq mois avec Iman Djionne qui s’occupe de tous les castings au Sénégal. Tous les comédiens du film sont non professionnels. Le personnage le plus compliqué à dénicher fut celui de Banel. Et je l’ai trouvé un mois et demi avant le tournage en marchant dans la rue, alors que je commençais à stresser. Nos regards se sont croisés avec Khady Mane et j’ai vu quelque chose dans le sien. Je lui ai demandé de venir passer une audition. Elle était hésitante, ça ne l’intéressait pas d’être comédienne. J’ai un peu insisté. Elle est venue et a décroché le rôle. » Kady Mane et son partenaire Mamadou Diallo ne vont se rencontrer qu’un mois avant le tournage. Débute alors une course contre la montre pour qu’ils soient prêts le jour du premier clap. « J’ai eu énormément de chance puisqu’ils sont devenus amis très vite. On a fait peu de répétitions car on n’avait pas beaucoup de temps. Mais on a fait venir un professeur de théâtre de Dakar qui est resté une semaine avec eux, pour travailler à travers des exercices d’improvisation afin de les mettre à l’aise, alors que je m’occupais du découpage et des décors. Un coach d’acteurs était aussi présent pour leur faire apprendre par cœur le texte car je ne suis pas du tout dans l’improvisation. Ce n’est d’ailleurs qu’une fois qu’ils le connaissaient par cœur qu’on a commencé à travailler sur le jeu. »

Tournage

Le tournage de 35 jours ne sera pas de tout repos. « Il faisait régulièrement plus de 45 degrés et on a dû faire face à énormément d’intempéries », explique Maud Leclair. Le montage sera confié à Vincent Tricon. « Je l’ai choisi car j’aime travailler avec des gens très différents de moi, confie Ramata-Toulaye Sy. Vincent a un côté un peu rock. Il a travaillé sur Divines (Houda Benyamina) mais aussi avec Jonathan Vinel et Caroline Poggi qui font un cinéma inclassable, très éloigné du mien. Or comme je voulais faire un film tout sauf naturaliste, il me fallait un monteur capable de ramener une touche moderne, différente de ce qu’on a l’habitude de voir dans le cinéma africain. Et si le tournage fut dur, je n’ai pas du tout souffert au montage. Vincent a proposé une vraie réécriture et m’a permis de faire ce que je voulais : sortir de mon côté littéraire assez classique. Mon film n’a plus rien à voir avec son scénario. »

Cannes

La suite et heureuse fin, ce sera donc la case Cannes. Dès le surlendemain de l’envoi du film, chose rarissime, l'équipe apprend qu’il est retenu dans la section Un Certain Regard. La veille de l’annonce de la sélection, peu avant minuit, on les informe aussi que Banel & Adama est sélectionné en compétition. « Impossible de décrire les hurlements de joie qui ont suivi. Cela a eu un effet immédiat sur les ventes internationales, au final multipliées par 100 par rapport à notre toute première estimation. » Au moment où Banel & Adama sort en salles, Maud Leclair garde plus que jamais en tête la phrase symbole de toute cette aventure qu’Amine Berrada a un jour prononcée sur le plateau : « À vaincre sans péril, on triomphe sans gloire ! »

BANEL & ADAMA

BANEL & ADAMA

Réalisation et scénario : Ramata-Toulaye Sy
Photographie : Amine Berrada
Montage : Vincent Tricon
Musique : Bachar Khalifé
Production : La Chauve-Souris, Take Shelter, Astou Films, DS Productions, Canal + International, Arte France Cinéma
Distribution : Tandem
Ventes internationales : Best Friend Forever
Sortie : le 30 août 2023

Soutiens du CNC : Avance sur recettes avant réalisation, Aide sélective aux effets visuels numériques, Aide à la création de musiques originales, Aide sélective à la distribution (aide au programme 2023), Fonds pour la jeune création francophone, Bonus DEENTAL-ACP