Catherine Breillat, l’insoumise

Catherine Breillat, l’insoumise

14 septembre 2023
Cinéma
Léa Drucker dans « L'Été dernier »
Léa Drucker dans « L'Été dernier » Pyramide distribution

Dix ans après Abus de faiblesse, la cinéaste revient sur le devant de la scène avec une riche actualité : un nouveau film, une rétrospective à la Cinémathèque française et un livre d’entretiens. Portrait.


Catherine Breillat a bien cru que le cinéma lui avait échappé. Non pas l’inspiration, ce muscle qu’elle maintient toujours tendu, mais le droit d’en faire. Son dernier long métrage datait de 2013 et son titre, Abus de faiblesse, avait la couleur d’une défaite, d’un renoncement. Et puis, un mail est arrivé dans sa boîte de réception. Un mail qui disait en substance : « Nous nous sommes rencontrés il y a trois ans au festival du film de Belfort. J’ai racheté les droits d’un film danois, je pense que vous pourriez le refaire, mieux… » L’expéditeur est le producteur franco-tunisien Saïd Ben Saïd et le film danois en question, Dronningen de May el-Toukhy (2019), une histoire d’amour sulfureuse entre une femme et son beau-fils adolescent. La cinéaste de 75 ans, qui avoue ne jamais se poser la question : « Pourquoi moi ? », répond immédiatement avec enthousiasme. Et voici donc L’Été dernier, découvert en compétition lors du dernier Festival de Cannes, avec Léa Drucker, Samuel Kircher et Olivier Rabourdin. Dix ans d’absence donc. Et cette idée qu’un combat est toujours à mener. « Je me sentais has been, hors du coup, infinançable. Le message de Saïd m’a redonné confiance. Il n’a pas été facile de convaincre des partenaires financiers. Sans le soutien du CNC, le film ne se faisait pas. »

L’Été dernier ne peut être vu comme un simple remake, mais un film de son auteure à part entière. La cinéaste a d’ailleurs réapprivoisé la matière originale : « Le film danois était très cru avec des scènes de sexe très explicites. Je n’avais pas tellement envie de me lancer sur ce terrain-là. Je l’avais déjà fait auparavant. En revanche, la thématique du mensonge soulevée par le scénario m’intéressait beaucoup. J’ai toujours travaillé sur l’idée du mensonge et du déni. Là, ce qui se déployait était prodigieux... » Catherine Breillat a également renversé quelque peu les rôles, faisant du personnage féminin, non pas « une prédatrice » mais un être « qui succombe à la tentation ». En face, l’adolescent n’a plus rien de la brute vue dans le film original, c’est au contraire un jeune homme plus doux, presque innocent.

J’étais bravache !

La sortie de ce nouveau long métrage permet de reprendre le fil d’une carrière débutée au mitan des années 70 avec Une vraie jeune fille (1976), qui déjà annonçait une trajectoire houleuse. Le film, réalisé par une cinéaste de seulement 28 ans à partir de son propre roman, Le Soupirail, ne sort pas en salles. Le producteur ayant fait faillite, cette chronique érotique autour d’une adolescente découvrant tout à la fois la beauté de son propre désir et les barrières qui empêchent son accomplissement, devra attendre plus de vingt ans pour enfin apparaître sur grand écran. « Une sélection dans un grand festival aurait pu sauver le film mais il a été refusé. Je savais au fond de moi que l’avenir me donnerait raison… J’étais bravache ! », se souvient la cinéaste dans un éclat de rire.

 

1976, Catherine Breillat pense donc à l’avenir mais a déjà un passé peuplé d’histoires. Il y a un premier roman, L’Homme facile écrit à 20 ans. « Je voulais faire du cinéma depuis toujours mais venant de Niort, dans les Deux-Sèvres, il fallait à tout prix que je monte à Paris. Je voulais faire l’IDHEC (ancienne Fémis – ndlr) en section réalisation, mais en tant que femme, c’était compliqué. On m’orientait plutôt vers le montage ou le métier de script. J’ai refusé et choisi de m’inscrire à l’Institut des langues orientales, une façon de justifier ma présence à Paris. Je me suis dit : “Tu as un an pour réussir !” Alors j’ai écrit un livre, persuadée que je serai publiée et que dans la foulée on me proposerait d’adapter mon roman au cinéma… » Et tant pis si les choses se font autrement. La jeune Catherine s’improvise aussi l’actrice, aux côtés de Marlon Brando (Le Dernier Tango à Paris) ou de Bernard Menez (Dracula père et fils).

La problématique du désir

Tapage nocturne en 1979, sera son deuxième « premier film » de cinéaste, une variation de son premier long, autour de l’itinéraire sexuel d’une jeune fille. Catherine Breillat assure qu’elle découvre vraiment le fonctionnement de l’industrie du cinéma à ce moment-là. « Moi, naïve, je pensais avoir fait une sorte d’Annie Hall. Or les spectateurs voulaient se faire rembourser, menaçaient de casser les fauteuils. Ce déchaînement m’était incompréhensible. Je parlais d’une vérité que les gens n’avaient pas envie de voir… » Ce Tapage lui permet toutefois de se rapprocher de Maurice Pialat qui cherche alors « une femme » pour écrire le rôle féminin de son prochain film. Ce sera Police. « En fait, j’ai tout écrit ! » Cette idée de genre, la cinéaste l’appréhende à sa manière : « Je ne suis pas une femme, je suis “une” homme ! »

Il y aura bientôt la pleine reconnaissance critique avec 36 Fillette (1988), Parfait Amour ! (1996) ou encore Romance (1999) dans lequel on trouve la star du porno italien Rocco Siffredi et où Breillat pousse dans ses retranchements la problématique du désir. Chez la cinéaste, les scènes d’amour – voire de sexe – se réinventent à chaque fois, ou plutôt se heurtent à la redite. « Filmer l’acte sexuel au cinéma toujours de la manière serait un mensonge. Pire, la répétition serait sordide. Pasolini disait : “L’amour c’est la chose toujours nouvelle.” Quand on fait l’amour, on se raconte toujours une histoire, sinon il n’y a pas de désir, ni de plaisir, encore moins d’extase… » Cette question de la représentation de la fusion des corps à l’écran sera d’ailleurs le sujet de Sexe is comedy (2002).

Il a bien fallu que je croie en moi.

À ma sœur ! (2001), Brève Traversée (2001), Anatomie de l’enfer (2004) ou encore Une vieille maîtresse (2007), jusqu’à cet Été dernier (2023), questionnent cette façon dont les histoires, que chacun ou chacune se raconte, peuvent aboutir à une forme d’accomplissement amoureux ou au contraire, confisquent les sentiments. Dans son texte de présentation pour le catalogue de la Cinémathèque française relatif à la rétrospective qui est consacrée à Catherine Breillat, l’auteure Murielle Joudet écrit : « Le masochisme, le goût du désastre, la tentation de la perte, sont, chez elle, l’alpha et l’oméga du comportement amoureux. La morale semble échouer à faire le tour du désir, seul l’art peut aller explorer ce trou noir pour nous rapporter quelques vérités, immuables et archaïques, sur nous-mêmes. »

La même Murielle Joudet qui publie aujourd’hui un livre d’entretien avec la cinéaste, baptisé, Je ne crois qu’en moi (Capricci), un titre qui traduit cette idée d’indépendance plus ou moins désirée. « On m’a tellement découragée de faire du cinéma qu’il a bien fallu que je croie en moi pour y arriver ! », conclut avec aplomb la cinéaste, comme un défi lancé au passé, au présent mais surtout à l’avenir.

L’Été dernier

L’ÉTÉ DERNIER

De Catherine Breillat
Scénario Catherine Breillat et Pascal Bonitzer d’après Dronningen de May el-Toukhy
Photographie : Jeanne Lapoirie
Montage : François Quiqueré
Production : Saïd Ben Saïd, Caroline Blanco, Rene Ezra, Sophie Roudaut, Clifford Werber (SBS Productions)
Distributeurs France : Pyramide distribution, SBS Distribution
Ventes internationales : Pyramide international, SBS International

Soutiens du CNC : Avance sur recettes avant réalisation, Edition vidéo sélectif, Aide au programme 2023 (aide à la distribution)