Disparition d’Agnès Varda, cinéaste d’avant-garde

Disparition d’Agnès Varda, cinéaste d’avant-garde

29 mars 2019
Cinéma
Agnès Varda
Agnès Varda CNC
Agnès Varda avait fait de ses documentaires l’expression de ses combats en y insufflant sa créativité débridée. Réalisatrice d’avant-garde, elle a bouleversé les codes cinématographiques, marquant à jamais le cinéma français par sa folle inventivité.

Née en 1928 à Ixelles en Belgique, Agnès Varda grandit à Sète. Après des études aux Beaux-Arts et à l’École du Louvre, elle devient photographe, accompagnant de 1948 à 1960 le Festival d’Avignon et le Théâtre National Populaire de Jean Vilar. Elle forge son regard, capture des images en dehors de la scène, invente un style.

La Pointe courte

C’est alors qu’elle découvre le cinéma, presque par hasard. En 1954, Agnès Varda réalise La Pointe courte, chronique d’un couple tournée à Sète, malgré le peu de moyens. Elle crée la société de production Ciné-Tamaris qu’elle installe chez elle, rue Daguerre, et autofinance son premier long métrage.  La cinéaste y mêle fiction et documentaire, ouvre le cadre en tournant en extérieur, propose une esthétique aux influences littéraires et picturales, et imagine une mise en scène empreinte de contrastes et d’oppositions. « J’avais une idée très précise dans La Pointe Courte : c’était de proposer deux thèmes, non pas contradictoires mais qui, mis côte à côte, étaient des problèmes qui s’annulaient mutuellement. D’un côté, un couple qui faisait le point, et d’autre part un village qui essayait de résoudre de façon collective certains problèmes d’existence. Le film était traité par chapitres, il n’y avait jamais mélange des deux thèmes, mais possibilité pour le spectateur de les opposer ou de les superposer. » dit-elle. Aujourd’hui considéré comme précurseur de la Nouvelle Vague, La Pointe courte surprend par sa forme novatrice, son audace et sa liberté de ton, si caractéristiques du cinéma d’Agnès Varda.

Cléo de 5 à 7

Son regard singulier et son refus d'un cinéma traditionnel inspire à Agnès VardaCléo de 5 à 7, film hybride, onirique, radical, réalisé en 1961. Corinne Marchand y interprète une jeune chanteuse frivole qui attend les résultats d’examens médicaux. Persuadée d’avoir le cancer, elle tente de se rassurer chez une voyante… en vain. Agnès Varda relève le défi d’un récit contraint par le temps et la géographie en créant un dispositif narratif des plus inventifs qui lui permet de filmer en temps réel. Dans cette histoire d'errance parisienne, la flânerie cinématographique invite à se fondre dans le regard du personnage. C’est bien de l’éveil d’un regard dont il est question dans ce film : celui de l’héroïne qui, d’abord fascinée par l’image qu’elle renvoie aux autres et à elle-même, se tourne peu à peu vers les autres pour mieux comprendre la place qu’elle occupe. La réalisatrice –également scénariste du film – questionne alors la condition féminine à travers cette réflexion sur la beauté, sur le corps féminin et le jeu des apparences. Cléo finit par reconnaître : « Pour moi, le premier acte féministe c'est de lever les yeux de son nombril ou de sa cuisine et de se mettre à regarder autour de soi. ».

L’Une chante, l’autre pas

Toujours là où on ne l’attend pas, Agnès Varda part s’installer à Los Angeles avec son époux, Jacques Demy – à qui elle consacre trois films après sa disparition en 1990 : Jacquot de Nantes, Les Demoiselles ont eu 25 ans et L'Univers de Jacques Demy. Elle réalise alors le documentaire Black Panthers (1968), un film militant qui dénonce le racisme aux Etats-Unis. A son retour en France, la cinéaste engagée signe le Manifeste des 343 en faveur de la dépénalisation de l’avortement et prend la caméra pour aborder la question des droits des femmes, sujet prégnant de cette deuxième moitié des années 1970. Avec L’Une chante, l’autre pas (1977) – récemment numérisé -, Agnès Varda met en scène le parcours croisé de deux amies en amont et en aval de Mai 68. La cinéaste y livre avec intelligence et sensibilité un plaidoyer en faveur de l’éducation des femmes, de la contraception, du planning familial.

Sans toit ni loi

Convaincue que « l'art peut discrètement, courageusement faire évoluer les mentalités, lever les barrières », Agnès Varda continue d’aborder la question féministe en réalisant Sans toit ni loi(1988), portrait d’une femme rebelle, éprise de liberté, qui marche inéluctablement vers sa fin. Une fois encore, la réalisatrice surprend par sa mise en scène singulière, filmant les personnages face caméra et employant le travelling pour retracer l'errance de Mona (interprétée par la jeune Sandrine Bonnaire). Dédié à l’écrivain Nathalie Sarraute – figure du Nouveau roman -, ce « périple au bout de l’indépendance » reçoit le Lion d’Or à la Mostra de Venise.

Les Glaneurs et la Glaneuse

Inspirée par un tableau de Millet, la cinéaste à la curiosité insatiable parcourt les routes de France munie d’une caméra numérique (la mini DV) à la rencontre des glaneurs qui ratissent les champs fraîchement récoltés. Les Glaneurs et la glaneuse (2000) est un documentaire d’une belle intelligence cinématographique dans lequel Agnès Varda filme un patchwork social uni, pointe les excès de la société de consommation, dénonce sa violence sociale. Cinéaste de la proximité et de la liberté, Agnès Varda se révèle fureteuse, aux aguets, douce et brutale à la fois, à l'écoute des simples gens, miroirs sans tain derrière lesquels elle se cache pour parler d'elle-même.« Je suis absolument fascinée comme le cinéma est un métier de miroir, c'est un jeu, on s'envoie des espèces d'ondes imagées et puis elles reviennent. C'est vraiment un métier extraordinaire. » confie-t-elle.

Les plages d’Agnès

En 2009, Agnès Varda remporte le César du meilleur documentaire avec Les Plages d’Agnès. La cinéaste invente une nouvelle forme cinématographique, l’auto-documentaire, une sorte d’autoportrait filmé dans lequel elle se met en scène au milieu d'extraits de ses films, d'images et de reportages en revenant sur les plages qui ont marqué sa vie.  « Parler de moi a pris un sens quand mon but a été de trouver une forme, une cinécriture pour faire un film de ce fouillis qui émerge sporadiquement de ma mémoire. C'est clairement un collage qui s'est mis en place lentement, le temps qu'il faut pour compléter un puzzle, pour qu'à la fin, une figure ou un paysage se compose ou se brouille en kaléidoscope. » A travers ce méli-mélo joyeux où s’entrecroisent ses différentes techniques esthétiques, Agnès Varda imagine, ose, s’amuse et propose une nouvelle leçon de cinéma.

Visages, villages

En 2016, Agnès Varda reprend la route à la rencontre des autres, accompagnée du photographe JR. Visages, villages (disponible en VAD) est un documentaire mâtiné de road-trip où le duo va et vient, disserte, écoute et fait parler les gens dont il croise le chemin. Comme dans un jeu de piste, une idée en entraîne une autre, farfelue, poétique. Le film, au format singulier, explore les territoires de la mémoire avec tendresse et légèreté, parle de la disparition et de la vieillesse et raconte aussi l’histoire d’une amitié qui a grandi au cours du tournage, entre surprises et taquineries. Présenté au Festival de Cannes en 2017, Visages, villages reçoit l’œil d’or qui récompense le prix du meilleur documentaire. Deux ans plus tôt, Agnès Varda y recevait une Palme d’honneur pour l’ensemble de sa carrière.  En novembre 2017, la cinéaste qui cherchait à « réinventer la réalité » devient la première réalisatrice à recevoir un Oscar d’honneur.    
Sensible aux images, Agnès Varda en a exploré toutes les variantes, toutes les possibilités, toutes les fantaisies. Elle a insufflé sa poésie rieuse aux formes qu’elle inventait en toute liberté et qui font que ses films ne ressemblent à aucun autre.  
Artiste plasticienne, réalisatrice, monteuse, productrice, scénariste, « Varda l’électron libre » n’a eu de cesse de bouleverser les règles traditionnelles d'écriture cinématographique, redéfinissant ainsi les contours du cinéma.

 

Le cinéma d’Agnès Varda, disponible en Vidéo à la demande

Cléo de 5 à 7 (1962)
Cléo, belle et chanteuse, attend les résultats d'une analyse médicale. De la superstition à la peur, de la rue de Rivoli au Café de Dôme, de la coquetterie à l'angoisse, de chez elle au Parc Montsouris, Cléo vit quatre-vingt-dix minutes particulières. Son amant, son musicien, une amie puis un soldat lui ouvrent les yeux sur le monde.

Lions Love (1969) 
Trois jeunes acteurs aspirant à devenir des stars vivent dans une maison louée sur une colline de Hollywood. Ils ont tous les trois des crinières de lion. Ils vont vivre à leur façon l'assassinat de Robert Kennedy à travers ce que la télévision en montre, alors que leurs amis ont d'autres problèmes.

Daguerréotypes (1975)
Un document modeste et local sur quelques petits commerçants, un regard attentif sur la majorité silencieuse d’un morceau de la rue Daguerre, dans le 14e arrondissement de Paris. C'est un album de quartier, ce sont des portraits stéréo-daguérréotypés. Ce sont des archives pour les archéo-sociologues de l'an 2975.

L'une chante, l'autre pas (1977) 
Entre 1962 et 1976, l'amitié entre deux jeunes femmes permet de faire la chronique du féminisme et des droits des femmes.

Mur murs (1981)
Documentaire sur les « murals » de Los Angeles, c'est-à-dire les peintures sur des murs de la ville. Qui les peint. Qui les paye. Qui les regarde. Comment cette ville, qui est la capitale du cinéma, se révèle sans trucage - avec ses habitants par ses murs murmurants. Les murs californiens parlent à une Française qui les découvre.

Sans toit ni loi (1985)
Un matin d'hiver, une jeune vagabonde est découverte morte de froid dans un fossé. Qui était-elle ? Son passé se reconstitue au fil des témoignages de gens qui ont croisé sa route. Elle s'appelait Mona. Pour vivre sa liberté, elle avait tout quitté. Elle s’était retrouvée seule, démunie. La caméra scrute son errance et ses brèves rencontres.

Jane B. par Agnès V. (1987) :
Un portrait-en-cinéma où l'on découvre Jane Birkin sous toutes ses formes, dans tous ses états et en plusieurs saisons, elle-même en sa diversité et aussi d'autres Jane... d'Arc, Calamity Jane, et la Jane de Tarzan et la Jane de Gainsbourg. C'est la femme-au-miroir-mouvant. Elle change de tête et de rôle pour s'amuser avec Agnès qui tourne autour d'elle.

Les Plages d'Agnès (2008)
En revenant sur les plages qui ont marqué sa vie, Agnès Varda se met en scène au milieu d'extraits de ses films, d'images et de reportages. Elle nous fait partager avec humour et émotion ses débuts de photographe de théâtre puis de cinéaste novatrice dans les années cinquante, sa vie avec Jacques Demy, son engagement féministe, ses voyages à Cuba, en Chine et aux USA, son parcours de productrice indépendante, sa vie de famille et son amour des plages…