Il était une fois Jane Birkin

Il était une fois Jane Birkin

17 juillet 2023
Cinéma
Jane Birkin
Jane Birkin CNC

Artiste aux multiples talents, Jane Birkin s’est éteinte ce 16 juillet à l’âge de 76 ans. Retour sur sa carrière cinématographique où l’on croise, entre autres, Michelangelo Antonioni, Serge Gainsbourg, Claude Zidi, Jacques Doillon, Agnès Varda, Jacques Rivette, Bertrand Tavernier, Alain Resnais ou encore sa fille Charlotte, qui lui avait consacré en 2022 le documentaire Jane par Charlotte.


L’annonce de sa disparition, ce dimanche 16 juillet, à 76 ans, a ému tout le pays. Instantanément, toute une série de chansons est remontée à la surface de notre mémoire. Je t’aime, moi non plus, Les Dessous chics, Ex-fan des sixties, Fuir le bonheur de peur qu’il ne se sauve… Quand on entend le nom Jane Birkin, c’est bien évidemment la chanteuse, la muse de Serge Gainsbourg, qui surgit immédiatement. Et pourtant bien avant son tout premier album, le mythique Jane Birkin-Serge Gainsbourg de 1969, c’est sur les planches de théâtre et les plateaux de cinéma que la Britannique a débuté sa carrière artistique. Comme la continuité d’une histoire familiale, un temps interrompue.

Judy Campbell, sa mère, fut en effet elle-même comédienne dans les années 40. Muse de Noël Coward, elle avait cependant renoncé à sa carrière, à la demande de son mari David Birkin, commandant dans la Royal Navy et héros de la Seconde Guerre mondiale, peu après leur union. C’est pourtant elle qui pousse sa fille, alors qu’elle n’a que 17 ans, à aller auditionner pour ce qui sera sa toute première pièce dans un grand théâtre londonien aux côtés de Ralph Richardson. « Je suis arrivée en ayant totalement oublié le texte qu’elle m’avait fait apprendre, confiait Jane Birkin au magazine Première. Mais ce n’était pas grave car le personnage de cette pièce de Graham Greene était une sourde-muette, symbole de l’innocence qui finira écrasée par un autobus et violée ! Et ils ont trouvé que j’étais parfaite pour le rôle car j’étais maladroite et confuse d’avoir oublié ce que j’aurais dû savoir par cœur. » Le début d’une série d’auditions gagnantes qui vont notamment lui permettre de décrocher son premier rôle marquant au cinéma dans Blow Up, Palme d’or à Cannes en 1967 : une mannequin déshabillée de force. « Le cinéma est toujours ce dont j’ai eu le plus envie. Toute jeune, à 14 ans, j’ai tourné dans le premier film de mon frère Andrew. J’y mourais de tuberculose sur les falaises de Brighton ! Ma cousine Pempie était mariée avec Carol Reed qui était en train de tourner L’Extase et l’Agonie à Venise. Je me souviens avoir demandé à Carol s’il pensait que j’avais une chance de devenir un jour actrice. Il m’avait répondu : “Ça dépend si la caméra tombe amoureuse de toi.” » Ce qu’elle va découvrir face à Antonioni lors de l’audition de Blow Up. « C’est la fille de Carol et Pempie qui m’avait parlé de ces essais. Je n’avais aucune idée de ce en quoi ils allaient consister. Je suis allée au rendez-vous. Je me suis retrouvée face à un mur noir et on m’a donné une craie pour écrire mon nom tout en étant filmée pour voir si j’étais cinégénique. Comme je suis dyslexique, ça m’a demandé énormément de concentration ! Et tout en le faisant, je me demandais ce que je faisais là. Je trouvais ça ridicule. J’ai commencé à pleurer et à ce moment-là, un très chic bonhomme est arrivé dans la pièce et m’a dit : “C’est parfait. C’est tout ce que je voulais savoir.” C’était Antonioni. Un homme d’une grâce absolue. » Le cinéaste la prend ensuite à part pour lui dire qu’il va lui donner deux ou trois pages mais pas le scénario en entier et que le rôle nécessite qu’elle soit entièrement nue. Elle n’avait alors vu aucun de ses films mais son mari de l’époque, le compositeur John Barry, lui explique qui il est et ce qu’il représente. « Dès lors, comment refuser ? Mais en regardant Blow Up, je défie quiconque de savoir ce que je vaux comme actrice. »

La porte qui vient de s’entrouvrir ne se refermera jamais. Elle fera même basculer son destin de femme. En 1968, elle pousse la porte du studio londonien du producteur David Puttnam afin de passer des essais pour le film Slogan de Pierre Grimblat. « On était très nombreuses. Il fallait descendre des escaliers et j’ai tout de suite dit à Pierre en mauvais français que je savais que mes jambes n’étaient pas extraordinaires mais que j’étais prête à subir une opération chirurgicale pour qu’elles soient moins arquées. Ça l’avait fait rire, donc il m’a demandé de venir à Paris pour les essais suivants. » La suite de l’histoire appartient à la légende. Elle décroche le rôle de cette jeune Anglaise sentimentale dont s’éprend un réalisateur de pubs campé par un certain Serge Gainsbourg qui, après lui avoir battu froid pendant tout le début du tournage, tombe éperdument amoureux d’elle, après un dîner organisé par Pierre Grimblat.

Gainsbourg-Birkin. Birkin-Gainsbourg. Les deux noms vont dès lors devenir indissociables. Dans l’industrie musicale, bien sûr, mais aussi au cinéma. Après deux autres films dont ils partagent l’affiche (Les Chemins de Katmandou d’André Cayatte et Cannabis de Pierre Koralnik), celle qui, dans les années 70, tourne aux côtés du mythique duo Alain Delon-Romy Schneider dans La Piscine de Jacques Deray, puis dans l’un des derniers films de Bardot (Don Juan 73 de Roger Vadim) tout en se révélant une irrésistible comédienne de comédie aux côtés de Pierre Richard sous la direction de Claude Zidi (La moutarde me monte au nez, La Course à l’échalote) va trouver son premier grand rôle iconique : Johnny, la serveuse d’un bar pour routiers au milieu de nulle part qui tombe amoureuse du conducteur d’un camion à benne, campé par Joe d’Alessandro, l’acteur fétiche de Warhol dans Je t’aime, moi non plus, le premier long réalisé par Serge Gainsbourg. « La première fois que j’ai pris plaisir à jouer ! Avant de le tourner, je savais que ça allait être différent de tout ce que j’avais pu faire jusque-là. Et ce fut un tournage idyllique. Je n’ai jamais vu des techniciens aussi dévoués sur un plateau tellement Serge était attentionné envers tous. Il admirait autant son équipe que son équipe l’admirait. » Le film – que Truffaut en personne recommande d’aller voir alors que sort en parallèle son Argent de poche – fait scandale, se retrouve même programmé à Londres dans un cinéma porno. Mais il participe grandement à bâtir le statut d’icône de Jane Birkin, sans pour autant bouleverser son parcours sur grand écran et sa manière de voir et de vivre le cinéma : sans esprit de chapelle.

Dans les années 80, après sa rupture avec Gainsbourg, le cinéaste Jacques Doillon entre dans sa vie. Tout en continuant d’apparaître dans des comédies (Circulez y’a rien à voir de Patrice Leconte, Le Garde du corps de François Leterrier et, plus tard, Mariées mais pas trop de Catherine Corsini ou Thelma, Louise et Chantal de Benoît Pétré), Jane Birkin va tourner trois films sous sa direction pendant la douzaine d’années où ils vivront ensemble : La Fille prodigue avec Michel Piccoli en 1980, Comédie ! avec Alain Souchon en 1987 et surtout La Pirate – où elle campe une femme tiraillée entre son amour pour son mari et sa meilleure amie – qui fait scandale en 1984 à Cannes. « On a été victimes d’un flot de haine d’une partie de la presse où des cris, des insultes, des quolibets ont commencé dès mon premier baiser avec Maruschka Detmers pour ne jamais prendre fin. Je me suis fait cracher dessus en sortant de la salle. Je ne sais toujours pas d’où est venue cette cabale si ce n’est que ça a dû déranger les gens sur place. Mais de mon côté, c’est l’un des plus beaux textes que j’ai eu à défendre. » Jane Birkin a toujours vu dans ces films une inflexion dans son parcours. « Jacques a offert les premiers drames à la comédienne un peu légère, pas vraiment prise au sérieux, que j’étais. Il a vu en moi dans la vie quelqu’un de beaucoup plus déprimé et sombre que l’image que je projetais dans mes apparitions télé. J’ai aimé défendre ses textes et ma carrière a changé à partir de ce moment-là. » Elle tournera dès lors sous la direction de Jacques Rivette (L’Amour à terre, La Belle Noiseuse et 36 vues du pic Saint-Loup), Alain Resnais (en femme de Jean-Pierre Bacri dans On connaît la chanson), accompagne les débuts de réalisateur de Rodolphe Marconi (Ceci est mon corps aux côtés de Louis Garrel et Mélanie Laurent) et interprète dans ce qu’elle présentait comme l’un de ses films préférés, Daddy Nostalgie de Bertrand Tavernier (sélectionné en compétition à Cannes en 1990), une scénariste irlandaise qui noue avec son père, au seuil de sa vie, la complicité qu’elle n’avait jamais vécue dans sa jeunesse. « Le seul tournage où je n’ai pas eu d’angoisse tant Bertrand savait parfaitement partager l’immense bonheur qu’il ressentait. » Tavernier sous la direction duquel elle fera son ultime apparition en tant que comédienne, le temps d’une scène où elle campe un prix Nobel de littérature dans Quai d’Orsay en 2013, année où elle joue aussi son propre rôle dans Haewon et les hommes de Hong Sang-soo.

La question de la famille sera aussi au cœur de ce qui restera son seul long métrage de réalisatrice pour le cinéma en 2007 (quinze ans après avoir signé Oh pardon ! Tu dormais… pour le petit écran). Un film largement autobiographique, « né de questions que je me posais sur le fait de savoir si j’avais été une bonne mère ou non. Une question que je pose d’ailleurs à ma mère dans le film, rôle qui était écrit pour ma propre mère, disparue trois ans plus tôt. Ce film me tenait à cœur car je pouvais y parler de mes trois filles jouées par Lou [Doillon], Natacha Régnier qui incarnait Charlotte et la petite Adèle Exarchopoulos qui y faisait ses débuts au cinéma ! » Michel Piccoli, qu’elle appelait « son deuxième papa » incarne son père alors qu’elle y tient elle-même son propre rôle, Patricia Arquette qu’elle avait d’abord envisagée, étant prise par un autre tournage.

C’est avec la Birkin intime – celle qu’Agnès Varda avait déjà filmée en 1988 dans son documentaire Jane B. par Agnès V. – que nous avons fait nos adieux à Jane Birkin au cinéma. Dans Jane par Charlotte, un autre documentaire, le tout premier réalisé par Charlotte Gainsbourg en 2022 et nommé au César en février dernier. Un film comme une conversation riche en confidences, où fille et mère se disent sous l’œil de la caméra ce qu’elles n’avaient jamais osé se dire dans la vie et où Birkin revenait pour la première fois depuis des années dans la maison de la rue de Verneuil qu’elle partageait avec Gainsbourg. Un film comme une boucle qui se boucle, alors qu’on serait volontiers reparti pour de nouveaux tours de manège.