Julie Deliquet : « Je ne voulais pas rivaliser avec Un conte de Noël, mais le retraverser par le prisme du théâtre »

Julie Deliquet : « Je ne voulais pas rivaliser avec Un conte de Noël, mais le retraverser par le prisme du théâtre »

16 janvier 2020
Cinéma
Un conte de Noël mis en scène par Julie Deliquet (l’Odéon-Théâtre de l’Europe, Paris)
Un conte de Noël mis en scène par Julie Deliquet (l’Odéon-Théâtre de l’Europe, Paris) Simon Gosselin - Théâtre de l'Odéon - DR
La metteuse en scène Julie Deliquet, fondatrice du collectif In Vitro, adapte Un conte de Noël d’Arnaud Desplechin au théâtre. Elle explique au CNC comment elle a fait pour traduire sur scène la matière cinématographique du réalisateur.

Après Fanny et Alexandre, que vous avez adapté l’an dernier sur la scène de la Comédie-Française, vous vous intéressez aujourd’hui à Un conte de Noël. Qu’est-ce qui vous a amenée à ce projet ?

Le travail sur Ingmar Bergman a été une expérience foisonnante et très riche et je partage avec ce cinéaste une obsession pour Shakespeare. J’avais très envie, ensuite, d’emprunter son film à un réalisateur vivant et de connaître son ressenti. J’avais envie de pousser cette relation théâtre-cinéma. J’ai fait moi-même fait des études de cinéma. Mon travail de mise en scène a été très influencé par mon travail d’analyse filmique. La porosité entre les deux arts s’est souvent faite dans un sens avec des adaptations de pièces au cinéma. Aujourd’hui, il me paraît logique que les scénarios soient source d’inspiration au théâtre et puissent devenir un nouveau support textuel pour les artistes. J’ai trouvé dans le film d’Arnaud Desplechin, Un conte de Noël, une manière à la fois de traiter un conte shakespearien et de faire le lien avec Bergman. Et puis le décor unique du film, cette maison familiale, et sa structure – en quatre actes - font d’Un conte de Noël un principe très théâtral.

Que vous a répondu Arnaud Desplechin quand vous lui avez proposé votre idée ?

Je lui ai écrit de manière assez culottée en lui parlant de mon admiration pour son travail. Je savais juste qu’il avait vu et apprécié nos spectacles. Je voulais qu’il accepte que je m’empare de son film avec une totale liberté et que je puisse le faire évoluer par le travail des répétitions. Un jour et demi après, Arnaud m’a répondu et m’a donné un oui très franc, très amical. Il était assez touché qu’une artiste s’adresse à un autre artiste. C’est une chose commune dans le milieu du théâtre, mais moins dans celui du cinéma. De plus, Arnaud Desplechin ne revoit pas ses films, donc il imaginait qu’Un conte de Noël était une histoire enterrée. Et de penser que son texte allait renaître le réjouissait.

Les interprètes du film (Catherine Deneuve, Mathieu Amalric…) semblent indissociables des personnages. Comment avez-vous résolu la question de la distribution ?

C’était effectivement, dès le début, une problématique centrale. Quand je lisais le scénario, j’entendais leurs voix. La première question que j’ai donc posée à Arnaud était de savoir s’il avait écrit ce film pour ces acteurs. Il m’a répondu que non, à l’exception de Mathieu Amalric qui, selon lui, « n’est pas un acteur ». Ça m’a libérée. Je me suis alors posée la question de l’alter ego. Dans le film, il s’agit d’Henri Vuillard incarné par Mathieu Amalric. Mais pour la pièce, c’est Elizabeth, la sœur écrivaine de théâtre jouée par Anne Consigny, qui m’a permis cette identification. À partir de là, j’ai repensé la dramaturgie du scénario que nous avons désossé et rebâti. C’est devenu une véritable pièce à douze, totalement chorale. Du coup, on a moins cet effet de « grande figure ». Et puis, il y a eu tout le travail des répétitions qui nous a permis d’oublier les créateurs des rôles.

En quoi vos répétitions ont-elles fait mûrir la version que nous voyons sur scène ?

Même si cela n’est pas visible, il y a eu un gros travail d’improvisation pour nourrir les personnages périphériques peu écrits par Arnaud Desplechin, comme le mari médaillé Fields ou l’ami d’enfance Spatafora. Nous leur avons écrit des bibles imaginaires, où on a précisé leurs fonctions au sein de la famille pour que, sur le plateau, le regard d’untel ou d’unetelle influe sur la scène en train d’être jouée. C’était comme un complément d’écriture qu’on s’est octroyé pour nous nourrir. Tous ces hors champs que nous avons créés nous ont permis de passer par-dessus le film.

Quelle différence majeure y a-t-il pour vous entre le film et la pièce ?

Là où le montage d’Arnaud Desplechin donne son sens à l’histoire, au théâtre, tout passe par les acteurs. Pour jouer la pièce pendant deux ans, on ne pouvait pas se permettre de passer à côté de thèmes qui sont fondamentaux. On s’est confrontés ainsi à la mort de Joseph en imaginant plusieurs scènes. De la même manière, le comédien qui interprète le médaillé Fields (une des plus prestigieuses distinctions en mathématiques) devait comprendre les tenants et les aboutissants de sa démonstration. La démonstration du film a été créée par Cédric Villani qui, à l’époque, n’était pas encore médaillé Fields. Onze ans plus tard, on lui a demandé de nous aider à la comprendre.

 

Avez-vous poursuivi votre dialogue créatif avec Arnaud Desplechin au cours de la création ?

Oui, c’était très amical. C’était un jeu de passation complice. Ce qui était génial, c’est que dès que quelque chose posait question en répétition, je pouvais m’adresser directement à l’auteur. Il me guidait et me confiait les dessous de sa création.

Comment avez-vous transposé en décor de théâtre la maison bourgeoise de Roubaix ?

Je ne voulais pas rivaliser avec le film que j’adore, je voulais le retraverser par le prisme du théâtre. Penser au dispositif scénique m’a beaucoup aidée à me détacher des images du film. Pour éviter de reconstituer le prisme unique de l’œil de la caméra, j’ai décidé de faire un dispositif bi-frontal, de mettre les spectateurs de part et d’autre du décor. Je me suis posé la question du lieu originel comme Arnaud se l’était posée. Il a fallu qu’il parte d’une hyper intimité pour créer une hyper fiction. Pour le film, il avait proposé à ses scénographes de leur montrer la maison de ses parents. Il n’était pas question de faire sur scène une reconstitution naturaliste du Roubaix d’Arnaud Desplechin, ou d’une maison de famille. Mon endroit personnel c’est ma famille de théâtre. J’ai donc décidé de convoquer tous les anciens éléments de décor de mes précédents spectacles ; comme un petit mémorial. Donc il y a des bouts de châssis de Fanny et Alexandre, des vaisseliers qui ont servi dans les écritures de plateau, une table d’un Tchekhov. C’était aussi une manière écoresponsable de repenser le décor de théâtre !

Arnaud Desplechin a-t-il vu le spectacle ?

Oui. C’était quelque chose de le savoir dans la salle. J’étais émue. Évidemment, je ne l’ai pas dit aux acteurs. Je me disais que ça devait être drôle pour lui. C’était comme si on s’accordait le plaisir enfantin d’avoir partagé le même terrain de jeu.

Un conte de Noël d’Arnaud Desplechin. Mise en scène de Julie Deliquet. À l’Odéon-Théâtre de l’Europe (Paris) jusqu’au 2 février. Puis à Lyon, Lorient, La Rochelle, Villejuif.