Les Quatre cents coups fête ses 60 ans

Les Quatre cents coups fête ses 60 ans

10 mai 2019
Cinéma
Les Quatre cent coups de François Truffaut
Les Quatre cent coups de François Truffaut Les Films du Carrosse/DR (1959)

Le 3 juin 1959, François Truffaut, âgé de 27 ans, sortait son premier film, Les Quatre cents coups. Cette évocation de son enfance tournée en décors réels obtiendra le Prix de la Mise en scène au Festival de Cannes.


Les Quatre cents coups, ce sont ceux d’Antoine Doinel, 12 ans, un gamin de Paris qui vit entre une mère occupée et un beau-père distant. Le personnage est à jamais ancré dans la mythologie du cinéma français. Son « Elle est morte » balancé par Jean-Pierre Léaud, son interprète, résonne encore dans les oreilles de ceux qui ont vu et revu le film. L’adolescent fugueur est devenu une icône. Le film de François Truffaut, un modèle pour les générations à venir. Et le manifeste d’un cinéma vérité qui fera école.
Quand François Truffaut s’attelle à l’écriture des Quatre cents coups, son premier film, ce n’est pas un inconnu. Ses critiques acerbes dans Les Cahiers du Cinéma et surtout sa tribune de 1954 contre « une certaine tendance du cinéma français » le désignent comme un « jeune Turc » en colère, acariâtre et imbu de lui-même. André Bazin, qui l’a fait entrer aux Cahiers du Cinéma en 1953, l’encourage à passer derrière la caméra tout comme ses camarades du magazine (Godard, Rivette, Rohmer, Chabrol, Jacques Doniol-Valcroze).

Raconter son adolescence

En 1956, il décroche un boulot d’assistant pour Roberto Rossellini mais aucun des projets sur lesquels il travaille n’aboutira. En 1957, il envisage un film à sketches sur l’adolescence. Il veut rompre avec le passé et une production qu’il juge impersonnelle. Il plonge dans ses souvenirs et rêve d’un cinéma plus ancré dans le réel. Parmi ces sketches, La fugue d’Antoine suit un ado qui fait l’école buissonnière et passe une nuit à la  belle  étoile. Truffaut sait qu’il a matière à un long métrage et, afin de développer son sujet, il démarche le romancier Marcel Moussy qui vient de signer avec Marcel Bluwal, une série télé sur les rapports parents-enfants. Avec lui, il explore son adolescence qui lui a laissé de très mauvais souvenirs. Sa mère et son beau-père (dont il porte le nom) avaient peu de temps pour lui. Sa scolarité fut chaotique et c’est avec son ami Robert Lachenay qu’il découvrit le cinéma au cours de ses nombreuses fugues. L’épisode du vol de la machine à écrire est d’ailleurs réel.

Pour se faire la main avant de réaliser son premier film, il tourne un court métrage de dix-sept minutes, Les mistons, qui suit les déambulations d’une bande de gamins de Nîmes fascinés par la beauté d’une jeune femme, interprétée par la débutante Bernadette Lafont. Enervés de la voir amoureuse d’un jeune homme qui ne vient pas du coin (Gérard Blain), ils vont persécuter le couple. Le film est montré en novembre 1957.

Interdit de Festival

L’année suivante, en février, il tourne avec Caroline Dim et Jean-Claude Brialy, Une histoire d’eau, sur une étudiante qui doit traverser les inondations de la région parisienne pour rejoindre sa fac. Jean-Luc Godard se charge du montage sonore et visuel. Cette année-là, l’apprenti cinéaste est interdit de Festival de Cannes. Il faut dire qu’il n’y est pas allé de main morte avec la manifestation qui fête alors ses 10 ans : « un échec dominé par les compromis, les combines et les faux-pas » juge-t-il. Il en profite pour peaufiner Les quatre jeudis. Il ne s’est pas encore décidé à appeler son film, Les Quatre cents coups. Une fois le scénario bouclé et relu par son mentor André Bazin, il se met en quête de son double cinématographique. En septembre 1958, il passe une annonce dans France-Soir pour trouver un garçon de 13 ans. Soixante enfants se présentent aux Films du Carosse. Truffaut leur fait passer des essais à tous. « Jean-Pierre Léaud était différent d’eux, il voulait le rôle de toutes ses forces, il s’efforçait d’avoir l’air détendu et blagueur, mais en réalité il était envahi par le trac et je retirai de cette première rencontre une impression d’anxiété et d’intensité», écrira-t-il plus tard dans la préface du livre Les aventures d’Antoine Doinel (éditions Mercure de France 1970).

La mort du père spirituel

Le tournage débute le 10 novembre 1958. Dans la nuit qui suit, André Bazin meurt à 40 ans, d’une leucémie foudroyante. Le film sera dédié à sa mémoire. Les prises de vues supervisées par le directeur de la photo Henri Decaë ont lieu essentiellement dans le 9ème arrondissement de Paris, un quartier que Truffaut connaît bien. Néanmoins, de multiples incidents viendront émailler le tournage qui s’achève le 3 janvier 1959. Les amis passent jouer un petit rôle ou donner un coup de main : Jeanne Moreau interprète une jeune femme au chien, Jean-Claude Brialy un dragueur qui la suit et Jacques Demy incarne un policier. Le film est quasi entièrement post-synchronisé. Jean-Paul Belmondo et Jean-Luc Godard viennent même dire quelques répliques. Au montage, il recrute une débutante, Marie-Josèphe Yoyotte, qui deviendra une des grandes monteuses du cinéma français. Pour la musique, il fait appel à un compositeur de chansons, Jean Constantin. Son envolée de piano et violons vient rythmer les foulées d’Antoine Doinel dans un plan séquence iconique qui se termine sur la plage.

A la surprise générale, le comité de sélection cannois retient le film de François Truffaut. Le voilà en compétition. A 27 ans. Et très attendu au tournant. Mais le 4 mai, le miracle opère. « Le film fait chavirer la monotonie des programmes », entendra-t-on à la télévision. Jean Cocteau applaudit à tout rompre. Jean-Pierre Léaud est porté en triomphe. Truffaut est devenu le roi du festival, et sera récompensé du Prix de la mise en scène.

Les Quatre cents coups sort dans la foulée, le 3 juin 1959. Il restera 14 semaines en exclusivité à l’affiche et réunira 260 000 spectateurs. Le Syndicat de la Critique lui remet cette même année, le Prix Méliès, ex-aequo avec Hiroshima mon amour d’Alain Resnais.