Olivier Assayas : « Je n’ai jamais cru à la mort du cinéma »

Olivier Assayas : « Je n’ai jamais cru à la mort du cinéma »

16 janvier 2019
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Doubles Vies
Doubles Vies CG Cinéma/Ad Vitam/DR

Dans Doubles Vies, Olivier Assayas décrit les inquiétudes d’une poignée d’intellectuels face à la fin de la civilisation de l’écrit et au basculement dans l’ère numérique. Situé dans le monde de l’édition, le film parle aussi, en creux, des interrogations d’un cinéaste sur son art, également en pleine mutation.


On a le sentiment que Doubles Vies, qui traite de la transition de la civilisation de l’écrit vers l’âge digital, aurait tout aussi bien pu se situer dans le milieu du cinéma…

Oui, ou dans celui des assurances ou dans n’importe quel autre domaine ! Le cinéma a été de fait transformé par le numérique, c’est un processus qui a commencé dès le début des années 90, s’est fait par couches successives et n’est pas encore achevé. Mais je pense que si j’avais voulu traiter ces questions à travers le cinéma, ça aurait nécessité un discours technique beaucoup plus complexe. L’écrit appartient à une histoire plus longue que celle du cinéma, qui est un art relativement récent, et permettait donc de déployer le thème d’une façon plus partageable.

Un dialogue du film fait écho à une phrase célèbre du Guépard : « Il faut que tout change pour que rien ne change ». C’est un constat que vous faites aussi en tant que cinéaste ?

Oui. La révolution numérique commence avec le son, se poursuit avec le montage sur logiciel Avid, puis avec la numérisation de l’image, puis celle de la projection… On peut dire qu’entre le moment où j’ai commencé à faire des films et aujourd’hui, tout a changé. Absolument tout. Mais à l’arrivée, le cinéma continue d’être défini par les mêmes choses qu’avant : une optique, une caméra et des acteurs qui jouent devant. Je ne tourne pas de blockbusters, qui sont des films qui relèvent autant de l’animation informatique que de la prise de vues réelle. Ça, c’est vraiment un domaine qui n’existait pas avant et qui a bouleversé ce qu’on est en mesure de raconter ou pas au cinéma. Moi, je me situe dans le cadre du cinéma indépendant européen, et dans ce cadre-là, on peut dire que tout a changé mais qu’au fond l’essentiel n’a jamais changé.

Du point de vue du public, en revanche, les choses ont changé…  

On pourrait en effet dire que les films n’ont plus la place culturelle qu’ils avaient avant, mais en réalité ce sont déjà des discussions que j’avais avec Serge Daney au début des années 80, quand j’étais jeune journaliste. A cette époque, l’importance culturelle que pouvait avoir la Nouvelle Vague, par exemple, était déjà en train de se dissoudre. Le cinéma n’était déjà plus au centre du débat culturel et intellectuel. Mais les films, aujourd’hui encore, continuent d’être la forme d’art la plus populaire. La musique contemporaine, la poésie, les arts plastiques, existent dans des milieux beaucoup plus raréfiés. Le cinéma entretient toujours un rapport avec le grand public, un public socialement divers. Bien sûr, on peut déplorer, et je suis le premier à le faire, que le cinéma indépendant s’adresse à un public plus âgé, plus urbain, plus sophistiqué… Pour moi, c’est une souffrance de tous les jours car je pense que le cinéma a pour vocation de s’adresser au public le plus divers et le plus vaste.

Dans les années 80, le thème de la « mort du cinéma » était très en vogue…  

La « mort du cinéma », je n’y ai jamais cru. Ce qui meurt, c’est l’idée du cinéma que se faisait une génération donnée, et qui voit soudain une autre génération, plus jeune, différente, s’approprier le médium. La génération d’avant a le sentiment que quelque chose se perd, que les choses changent, que le monde change, etc. Mais d’une certaine façon, tous les arts ont tendance à mourir et à renaître.

Dans Doubles Vies, Juliette Binoche incarne une actrice qui joue dans une série télé à la mode. Vous êtes très ironique dans la façon dont vous montrez comment les séries monopolisent aujourd’hui la conversation culturelle…

Oui, les séries sont devenues beaucoup plus fédératrices que le cinéma, elles ont envahi le discours. Moi, ce n’est pas mon truc, je n’en fais pas, je n’en regarde pas, je ne suis pas bien placé pour en parler de façon légitime. Mais ça ne me pose pas de problème. Je constate juste qu’aujourd’hui, il y a quelque chose de plus fluide dans le rapport des spectateurs aux séries télé, à la fois dans l’identification et dans le plaisir spécifique d’une forme de visionnage addictif.

Est-ce que dans trente ans, on s’inquiétera toujours des mutations du cinéma en prédisant sa fin imminente ?

Oui, sans doute ! (Rires) Vous savez, il y autant de spectateurs de cinéma dans le monde aujourd’hui qu’à d’autres époques de l’histoire. Le cinéma, c’est un truc de jeunes. Les jeunes auront toujours envie de sortir de chez eux et d’aller en bande voir un film, parce que c’est la forme de loisir la moins chère, la plus accessible, la moins intimidante. Le cinéma répondra toujours à ce désir primaire.