Qu’est-ce qu’une cession de droits d’adaptation ?

Qu’est-ce qu’une cession de droits d’adaptation ?

18 mars 2019
Cinéma
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L’Affaire SK1 de Frédéric Tellier
L’Affaire SK1 de Frédéric Tellier SND

Quelles sont les différentes étapes d’une cession de droits d’adaptation ? L’auteur de l’œuvre originale a-t-il un droit de regard sur le film tiré de son roman ? En quoi consiste le métier de directrice des cessions de droits ? Carole Saudejaud, qui occupe ce poste chez l’éditeur Fayard, répond aux questions du CNC.


Bien qu’ils puissent s’en charger eux-mêmes, la plupart des auteurs cèdent à leur éditeur la gestion des droits d’adaptation de leurs œuvres. Quel est alors votre rôle ?

Pour résumer, il y a deux phases principales. Nous menons tout d’abord une activité de prospection : nous parlons et faisons parler des ouvrages dont nous détenons les droits, cherchons des partenaires pour monter des projets avec eux : éditeurs, producteurs, agents de scénaristes et de comédiens, traducteurs, réalisateurs... Ceci est une part importante de mon activité quotidienne : rendez-vous, discussions, déplacements sur des salons professionnels et festivals en France et à l’étranger qui rythment l’année… L’autre activité est davantage consacrée à la négociation des contrats d’option et de cession des droits d’adaptation audiovisuelle du livre, et au suivi du projet d’adaptation.

Comment fonctionnez-vous pour faire la « promotion » des livres dont vous gérez les droits ?

Je rencontre énormément de personnes ! Je leur parle des ouvrages que nous avons publiés, et de ceux que l’on va publier. Nous envoyons aussi des newsletters mensuelles : une destinée aux producteurs étrangers, une à l’attention des producteurs français… A chaque fois, nous ciblons parmi nos nouveautés un certain nombre de livres dont l’histoire nous semble pouvoir faire l’objet d’une adaptation audiovisuelle. Ces newsletters parlent essentiellement des parutions du mois. Sauf s’il s’agit d’un énorme projet, auquel cas nous commençons à en parler quelques mois avant la parution. Elles comportent également une rubrique « L’avez-vous lu ? » dans laquelle nous remettons en avant un titre de notre fond.

Quels sont les critères qui vous font penser qu’un ouvrage, plutôt qu’un autre, va être « adaptable » et pourra intéresser des producteurs ?

Ce sont des critères assez subjectifs. Fayard édite en moyenne 220 nouveautés par an. Parmi celles-ci, on trouve des livres académiques, de philosophie, de sciences économiques… On ne les mettra pas en avant dans une newsletter destinée aux producteurs de cinéma. Nous mettrons en avant des ouvrages de littérature, très « narratifs », ou bien des enquêtes, des documents d’investigation, ou des récits, des témoignages. Cela réduit le champ ! Il faut qu’il y ait une histoire à raconter, à mettre en images. Par ailleurs, nos rendez-vous avec les producteurs et les agents nous permettent de savoir parfois qu’un talent (réalisateur, scénariste…) cherche un sujet en particulier. Si ce sujet est abordé ou traité dans un livre que nous défendons, nous le lui proposons alors naturellement. Avec le temps, nous connaissons aussi mieux les centres d’intérêt et sensibilités de chacun, ce qui nous permet également d’affiner notre travail de prospection.

Qu’est-ce qui diffère, entre ce que vous proposerez à un producteur français et ce que vous proposerez à un producteur étranger ?

C’est souvent une question de sujets. Certains sont très franco-français. Par exemple, nous n’aurions pas proposé à un producteur américain « La traque » de Patricia Tourancheau, consacré à l’affaire Guy Georges, alors que le livre a été adapté en long métrage en France (« L’Affaire SK1 », de Frédéric Tellier).

Quelles sont les différentes étapes d’une cession des droits ?

Les enjeux financiers étant importants pour un producteur, nous envisageons généralement une cession en deux temps, pour limiter son risque, et ce quel que soit le format d’adaptation (long métrage, série, documentaire…) envisagé. Le producteur prend donc d’abord une option sur les droits, pour une durée de 12, 18 ou, plus rarement, 24 mois, qu’il a la possibilité de renouveler une fois. En gros, le montant de l’option correspond, selon sa durée, à 10% ou 15% du prix total de la cession. Pendant cette période d’option, nous lui garantissons une exclusivité de travail : il est le seul à pouvoir développer un projet d’adaptation sur le livre. De son côté, le producteur va donc monter une équipe artistique (scénaristes, réalisateur…) et rassembler des financements. C’est une fois qu’il sera sûr de pouvoir faire le film qu’il va lever l’option et que, du coup, la cession des droits sera effective. Généralement, nous négocions et signons ces deux contrats en même temps : à partir du moment où l’option est levée, le contrat de cession entre automatiquement en vigueur. Ce calendrier en deux temps est aussi important pour nous, parce que la période d’option nous garantit qu’on ne bloque pas les droits inutilement pendant trop longtemps. C’est un garde-fou pour tout le monde.

Comment se déroulent les négociations ?

Elles sont longues. Les enjeux financiers sont importants et il y a beaucoup de choses à négocier :  la durée de l’option, le montant de celle-ci, le montant du prix des droits, le montant de la rémunération proportionnelle, l’assiette de cette rémunération, l’étendue des droits cédés (remake, suites…), les contours de la collaboration de l’auteur, la collaboration commerciale entre le producteur et l’éditeur au moment de la sortie du film… Ce sont des contrats de 40 pages.

Que se passe-t-il quand plusieurs producteurs souhaitent acquérir les droits d’un même ouvrage ? En fonction de quels critères l’un sera préféré aux autres ?

Ce sont en effet des choses qui arrivent.

Nous avions par exemple reçu huit propositions concurrentes pour « Tension Extrême » de Sylvain Forge. Dans un cas comme celui-ci, l’argument financier joue bien entendu un rôle important mais il ne s’agit pas pour autant d’une vente aux enchères : ce n’est pas forcément le plus offrant qui l’emporte. Le profil des « prétendants » est très important car notre objectif est que le projet d’adaptation soit mené à terme.

On ne veut pas bloquer les droits inutilement. Or l’adaptation est un parcours semé d’embûches pour un producteur : il faut réunir une équipe artistique, rassembler les financements, convaincre une chaîne s’il s’agit d’une série… Il faut un producteur avec des épaules suffisamment solides pour cela, et qu’il ait déjà un projet artistique un peu affiné. Nous privilégions aussi les producteurs qui nous approchent avec un réalisateur et/ou un scénariste attaché au projet dès le démarrage.

En fonction de quels critères est-ce que le montant des droits peut évoluer ?

Le prix dépend de différents critères. Par exemple du succès que le livre a pu avoir en France ou à l’international, mais aussi du format de l’adaptation, du budget du film… Cela peut évoluer.

Est-il possible de vendre, pour un même ouvrage et sur une même période, les droits d’adaptation cinéma et les droits d’adaptation télévisuelle à des producteurs différents ?

Tout est question de calendrier, et de négociation de gré à gré. Généralement, un producteur négocie un moratoire, ce qui signifie que tous les droits d’adaptation sont gelés pour une certaine période. La durée générale d’une cession de droits est de 30 ou 35 ans, mais on négocie souvent une période d’exclusivité inférieure à cette durée, entre 10 et 20 ans.  Celle-ci est complétée par un moratoire, plus court, pour les autres formats, qui peut être de 5, 7 ou 10 ans. Par exemple, si nous cédons les droits d’adaptation cinéma d’un ouvrage, nous nous engageons, par ce moratoire, à ce qu’aucune adaptation tv ne soit diffusée avant un délai de 5 ans suivant l’exploitation cinéma du film. A titre personnel, je suis convaincue qu’il est bénéfique pour une œuvre de multiplier les projets d’adaptation. Plus on est nombreux à parler d’un livre et de son sujet, mieux c’est. Les projets ne se cannibalisent pas, ils entretiennent l’intérêt du public. Mais il faut également que le producteur en soit convaincu !

L’auteur de l’œuvre originale conserve-t-il un droit de regard sur le film ou la série qui sera tiré de son ouvrage ?

Il existe en France ce qu’on appelle le droit moral. La loi française protège l’auteur contre la dénaturation de son ouvrage. Le contrat prévoit donc systématiquement que l’auteur, même s’il n’y a pas collaboré, puisse lire la version définitive du scénario, y apporter des commentaires et demander des modifications. Le producteur est ensuite libre de les accepter ou non. Il est également prévu que l’auteur puisse voir le film avant la conformation du générique. S’il estime que l’adaptation dénature son travail, il peut demander que son nom soit retiré du générique, ou bien qu’une formule particulière, par exemple « très librement adapté de… » soit ajoutée. Je n’ai personnellement jamais rencontré le cas d’un auteur souhaitant que son nom n’apparaisse pas au générique.