René Clément à travers cinq films

René Clément à travers cinq films

04 août 2020
Cinéma
Alain Delon et Barbara Lass dans Quelle joie de vivre ! de René Clément
Alain Delon et Barbara Lass dans Quelle joie de vivre ! de René Clément Francinex - DR - T.C.D - Tempo film - Cinematografica

Il a dirigé quelques-unes des plus grandes stars du monde entier, d’Alain Delon à Orson Welles en passant par Charles Bronson, Kirk Douglas et Simone Signoret. Quelle joie de vivre ! ressort en salles ce mercredi 5 août, l’occasion de revenir sur le parcours d’un cinéaste injustement critiqué par la Nouvelle Vague.


La Bataille du rail (1945), la Seconde Guerre mondiale au cœur de son cinéma

René Clément a fait ses premiers pas au cinéma au milieu des années 30 aux côtés de Jacques Tati qui lui écrit, peu après, le scénario de son court, Soigne ta gauche. Il se consacre ensuite au documentaire jusqu’à ce que la Coopérative Générale du Cinéma Français, organisme créé par la CGT et le Parti Communiste Français, lui demande à la fin de la Seconde Guerre mondiale de réaliser La Bataille du rail, hommage à la France résistante à travers l’action de ses cheminots. Si on fait appel à lui, c’est à cause de Ceux du rail, un court métrage qu’il a réalisé en 1943 sur le travail des cheminots réalisé avec une maîtrise technique étonnante. En novembre 1944, René Clément se met à parcourir la France avec sa coscénariste Colette Audry en quête d’un maximum de témoignages afin que leur projet retranscrive au mieux la réalité du monde du rail. Le cinéaste entame ensuite un tournage de cinq semaines en mars 1945, avec comme chef opérateur Henri Alekan. Le résultat est une œuvre ouvertement de propagande. Clément montre la France telle qu’elle a envie de se voir à cette époque : sans collaborateur, ni image de ces convois qui conduisirent les Juifs vers les camps de la mort. Et cette France-là se rue découvrir le film en salles, après l’obtention des Prix du Jury et de la mise en scène lors de la première édition du Festival de Cannes en 1946. Si La Bataille du rail est le premier long métrage de René Clément, le cinéaste revient à quatre reprises visiter la France de la Seconde Guerre mondiale. En 1946, il met en scène Le Père tranquille, inspiré par l’histoire vraie d’un discret horticulteur mosellan héros de la Résistance. En 1952, il signe Jeux interdits, son plus gros succès public - récompensé du Lion d’Or à Venise et de l’Oscar du film étranger – qui met en scène une orpheline de 6 ans au cœur de l’exode. En 1963, il réalise Le Jour et l’Heure, une histoire d’amour entre un pilote américain et une femme française dont le mari est prisonnier en Allemagne, sur fond de résistance. Et en 1966, il adapte (avec la complicité à l’écriture de… Francis Ford Coppola) le best-seller de Dominique Lapierre et Larry Collins, Paris brûle-t-il ? où il racontera la Libération de notre capitale avec un casting impressionnant, de Jean-Paul Belmondo à Alain Delon en passant par Kirk Douglas, Simone Signoret, Michel Piccoli, Yves Montand ou encore Orson Welles.

 

 

Au-delà des grilles (1949), symbole de ses expériences à l’étranger

René Clément fut la cible des membres de la Nouvelle Vague qui l’ont érigé en symbole du cinéma français « à la papa », un cinéma endormi qu’il fallait secouer pour accoucher de la révolution moderne. « Clément n’est pas un artiste », déclarait François Truffaut. Une vision bien injuste de son travail. Si Truffaut et Godard pourfendaient un cinéma essentiellement tourné en studio, c’était oublier que René Clément a souvent filmé des extérieurs urbains, notamment à l’étranger comme à Gênes pour Au-delà des grilles. Devant sa caméra, Jean Gabin incarne un homme recherché par la police française pour le meurtre de sa maîtresse. Le fugitif débarque clandestinement à Gênes où il noue une idylle avec une serveuse, provoquant chez sa fille une jalousie proche de la haine. Le scénario est signé par les Italiens Cesare Zavattini, Suso Cecchi d’Amico et Alfredo Guarini, l’adaptation par les Français Jean Aurenche et Pierre Bost. René Clément propose ici un mariage rarissime : celui du réalisme poétique français avec le néoréalisme italien. Sa caméra – souvent dissimulée - suit l’errance d’un homme prisonnier de son destin dans les quartiers pauvres de Gênes et raconte en parallèle la difficile reconstruction de cette ville après les bombardements. Ce parti pris donne à Au-delà des grilles un sentiment d’urgence qui sera salué par des Prix de la mise en scène et de la meilleure interprétation féminine (Isa Miranda) à Cannes et par un Oscar du film étranger. René Clément baladera régulièrement sa caméra hors de nos frontières. A Londres en 1950 pour Monsieur Ripois avec Gérard Philipe. En Thaïlande pour son adaptation de Un barrage contre le Pacifique en 1958. A Rome en 1961 pour Quelle joie de vivre !, une comédie sélectionnée à Cannes qui ressort donc cet été en salles, puis pour son ultime film La Baby-Sitter en 1975. Et, entre-temps, à Montréal pour La Course du lièvre à travers les champs en 1972.

 

 

Plein soleil (1960), son goût pour les adaptations littéraires

Si René Clément a mis en scène plusieurs scénarios originaux, il a aussi régulièrement porté à l’écran de grands auteurs comme Zola (L’Assommoir qui deviendra Gervaise) ou Marguerite Duras (Un barrage contre le Pacifique). Mais le sommet du genre reste sans doute son adaptation du Monsieur Ripley de Patricia Highsmith avec le trio Alain Delon - Marie Laforêt - Maurice Ronet. Le film suit le récit d’une humiliation, celle subie par un jeune Américain de la part de l’homme qu’il doit ramener d’Italie vers la Californie avec sa maîtresse. Une moquerie de trop fera basculer cette situation tendue vers la tragédie. Pour écrire cette adaptation, il travaille avec l’un des compagnons de route de la Nouvelle Vague : Paul Gégauff, collaborateur fidèle de Claude Chabrol. Au départ engagé pour tenir le rôle finalement échu à Maurice Ronet, Alain Delon batailla ferme pour obtenir celui de Ripley, en dépit de la résistance des producteurs. L’échange fut si houleux qu’il fut même à deux doigts d’être renvoyé avant de se trouver la meilleure avocate qui soit : Bella Clément, la femme du réalisateur. Delon avait vu juste : il est l’acteur idoine, qui électrise l’ambiance de convoitise, de désir et de mensonge. Clément transcende à l’écran toute l’ambiguïté qui domine l’œuvre originale. Aucune autre adaptation des aventures de Ripley – L’Ami américain de Wim Wenders, Le Talentueux Mr Ripley d’Anthony Minghella, Ripley s’amuse de Liliana Cavani et Mr Ripley et les ombres de Roger Spottiswoode – ne capturera aussi bien l’odeur de soufre du roman d’Highsmith.

 

 

Les Félins (1964), l’art du film noir

Plein soleil l’a montré, Les Félins va le confirmer quatre ans plus tard. Parmi les multiples genres qu’il a abordés, René Clément s’est montré particulièrement à l’aise sur le terrain du film noir. Il adapte ici très librement Vive le marié, un roman de Day Keene publié en 1955, avec la complicité d’un autre auteur américain célèbre, Charles Williams (dont François Truffaut ou Dennis Hopper transposeront notamment à l’écran les œuvres avec Vivement dimanche ! et Hot Spot). On y suit un Français au cœur d’une sombre machination avec à ses trousses des tueurs engagés par le mari américain de sa maîtresse, alors qu’il vient d’être embauché comme chauffeur d’une riche Américaine sur la Côte d’Azur. Le noir et blanc sculpté par Henri Decaë, directeur de la photo attitré de Jean-Pierre Melville, se marie parfaitement à la musique de Lalo Schifrin pour rappeler que chez Clément, le fond est toujours accompagné par une attention extrême apportée à la forme, permettant ainsi de déployer dans ce huis clos psychologique très hitchcockien une élégance millimétrée qui offre le plus soyeux des écrins à Alain Delon et Jane Fonda.  

 

 

Le Passager de la pluie (1970), un sens du casting inattendu

Marlène Jobert - révélée deux ans plus tôt par Alexandre le Bienheureux et Faut pas prendre les enfants du bon Dieu pour des canards sauvages -, Charles Bronson auréolé du triomphe d’Il était une fois dans l’Ouest, et Annie Cordy dans son premier emploi dramatique ? Il faut une certaine audace pour réunir au sein d’un même film trois talents aux parcours aussi différents. Tout ce qui constitue la marque de fabrique de René Clément qui, en trente ans de carrière, a dirigé un nombre incalculable de stars avec une dextérité saluée par Alain Delon lui-même (il dédiera Le Battant à « son « maître » en 1983). Avec Le Passager de la pluie, René Clément porte à l’écran un scénario de Sébastien Japrisot dans lequel une jeune femme assassine son violeur et fait disparaître son corps avant qu’un mystérieux Américain commence à enquêter sur elle. Ce jeu du chat et de la souris ne fut cependant pas au départ une partie de plaisir pour Marlène Jobert. Car si René Clément avait lui-même choisi Bronson (même s’il ne parlait pas un mot de français et fut doublé par John Berry) et Annie Cordy, c’est Sébastien Japrisot qui lui avait soufflé le nom de Marlène Jobert, après l’avoir vue dans L’Astragale. Clément ne la connaissait pas et il lui demanda de répéter chaque scène mot à mot avant les prises. Mais dès la fin de la première semaine, le cinéaste se rendit compte du potentiel de l’actrice et lui laissa alors une liberté dont elle fera le meilleur des usages. René Clément ne donnait pas la clé de ses films à ses comédiens mais son absence d’esprit de chapelle nous a offert quelques rencontres inattendues devant sa caméra.