Asobo, studio de haute volée

Asobo, studio de haute volée

18 mai 2021
Jeu vidéo
Flight Simulator 2020
"Flight Simulator 2020" Asobo-Microsoft

Auréolé du Pégase du meilleur jeu français pour sa version de Flight Simulator, le développeur bordelais poursuit sa trajectoire ascendante, entre projets collaboratifs et créations originales osées. Gregory Carreau, directeur des opérations chez Asobo, revient sur les temps forts d’un studio qui se sent pousser des ailes.


Comment le studio a-t-il été créé et quelles sont les fondations de son succès ?

Asobo, qui signifie « jouons ensemble » en japonais, a été créé en 2002 par douze anciens membres du studio bordelais Kalisto. Ils voulaient continuer à faire des jeux et finir le projet qu’ils avaient entamé, Superfarm [party game sur l’univers de la ferme, NDLR]. La première grande étape pour le studio a été la collaboration autour de Ratatouille en 2007, suivie par plusieurs autres licences Pixar (Wall-E, Toy Story 3, Là-haut). On travaillait étroitement avec eux car ils font très attention à leurs univers. Paradoxalement, lorsqu’on a un cadre et des contraintes, cela développe la créativité, tout en nous apprenant à conserver une certaine humilité.

Peut-être que c’est difficile pour certains créatifs qui veulent absolument exprimer leur vision, mais on a toujours épousé et compris les projets de Pixar. On a énormément appris en observant leurs méthodes, leurs concepts. De nombreux employés ont d’ailleurs lu le livre Creativity Inc. du fondateur de Pixar Ed Catmull, dans lequel il écrit que pour réussir, il faut beaucoup rater et le faire rapidement. 


Votre collaboration autour de Kinect Heroes marque aussi la naissance d’une fructueuse alliance avec Microsoft, dont l’apogée semble être votre travail sur Flight Simulator. Comment cette association s’est-elle forgée ?

Cela fait plus de dix ans qu’on collabore avec eux. Vers 2012, on a commencé à travailler sur un projet assez secret autour de l’HoloLens, le casque de réalité augmentée de Microsoft. Il fallait que les équipes qui s’y consacraient soient séparées. Elles n’avaient pas les mêmes badges que les autres… Il y a toujours des enjeux de confidentialité sur les jeux, mais là, c’était particulièrement intense. Pendant près de quatre ans, mis à part quelques réalisations annexes, une grosse partie de l’équipe était dévouée à ce projet. Cela a abouti avec trois expériences, dont deux jeux vidéo : Fragments, un jeu d’enquêtes où l’on incarne un inspecteur de police, et un platformer basé sur une ancienne franchise de Microsoft : Young Conker [héritier du jeu classique et outrancier Conker’s Bad Fur Day sorti en 2001 sur Nintendo 64 - ndlr]. En parallèle, on a travaillé sur le jeu de course The Crew pour Ubisoft et sur certains aspects de Quantum Break.

En 2019, vous avez sorti A Plague Tale : Innocence, un jeu entre aventure et infiltration où l’on incarne deux orphelins au temps de la peste. Cela tranche avec votre catalogue plutôt familial, d’autant que c’est l’une de vos premières créations originales. Quelle était l’intention derrière ce changement de cap vers une noirceur assumée ?

Techniquement, ce n’est pas notre première création originale car nous avions fait Fuel (2009), qui détenait à sa sortie le Guinness World Record du plus grand open world sur console. Dans l’histoire du studio, on a beaucoup travaillé pour les autres, que ce soit Disney/Pixar ou Microsoft. Au contraire, A Plague Tale : Innocence a démarré comme une tentative, un projet maison. Son côté sombre est un choix créatif qui est venu au fur et à mesure des phases de conception. Nous avions la volonté de trouver un positionnement malin et pertinent pour gagner une audience sans nous confronter à des mammouths de l’industrie. Il y a eu ce choix d’aller vers un jeu historique avec un ton réaliste, malgré quelques éléments fantastiques. En tant que studio aquitain, nous avons voulu situer le jeu dans une région que l’on affectionne. C’était aussi logique par rapport à l’histoire et aux décors du jeu car on a pu visiter des villages et des châteaux qui pouvaient les influencer. On a rencontré beaucoup d’éditeurs mais Focus a vraiment sauté sur l’occasion. Ils n’ont pas eu peur des rats ni du personnage principal féminin, même si ces réticences sont plus rares chez les éditeurs dernièrement.



Auriez-vous pu faire un jeu aussi ambitieux il y a dix ans ?

Il est certain que toute l’expérience que l’on a accumulée, avec les contraintes liées au travail pour des licences, a été une très bonne école d’un point de vue créatif et de production. Tout cela forge l’expérience, « tanne le cuir » pour initier des projets comme A Plague Tale. On ne compte pas pour autant abandonner le fait de travailler pour les autres. C’est quelque chose que l’on fait bien, pour lequel on est reconnus. Cela fait partie de notre ADN. Comme A Plague Tale a été bien accueilli par la critique et les joueurs, cela nous met en confiance pour continuer sur cette voie-là. On a une nature plutôt discrète normalement, mais les prix qu’on a reçus nous ont apporté une certaine visibilité. Le succès d’A Plague Tale, avec son ton assez mature et sa dimension narrative, prouve qu’on est capables de faire autre chose. On a d’ailleurs un autre projet en développement qui sera une nouvelle collaboration avec Focus Interactive. 

Vous avez à nouveau raflé le Pégase du meilleur jeu français cette année pour votre travail sur Flight Simulator. Quelles sont les raisons qui ont poussé Microsoft à vous confier cette franchise historique ?

Notre longue collaboration avec Microsoft a évidemment joué, mais l’angle technique a aussi beaucoup importé. Il fallait des outils, des technologies et la capacité de les faire évoluer pour streamer un monde aussi grand. On avait pour volonté de relancer et d’étendre la franchise.

L’innovation principale se trouve dans la technologie qu’on a utilisée pour modéliser un espace aussi large et étendu que la Terre. Pour cela, on s’est appuyé sur notre propre moteur de jeu. Je ne suis pas sûr qu’on puisse faire Flight Simulator sur Unreal Engine ! Je pense aussi que la capacité d’Asobo à se plonger dans de nouveaux mondes est essentielle.

Flight Simulator est une simulation exigeante avec une audience très fidèle et engagée. De nombreux joueurs sont eux-mêmes pilotes ou fans d’aviation en général, donc très connaisseurs. Plusieurs développeurs ont pris des cours de pilotage, car il faut sentir et connaître l’expérience pour rendre compte dans les détails. Bien qu’il s’agisse d’une expérience assez ardue, ce jeu est aussi une invitation au rêve, au voyage et à la beauté du monde.