Philippe Dessoly, un parcours atypique, de « Mr. Nutz » à « Astérix et Obélix : Baffez-les Tous ! »

Philippe Dessoly, un parcours atypique, de « Mr. Nutz » à « Astérix et Obélix : Baffez-les Tous ! »

18 juin 2021
Jeu vidéo
Astérix et Obélix  : Baffez-les Tous?!
Astérix et Obélix : Baffez-les Tous?! Microids
Avec son côté un peu punk, voire indéfinissable, Philippe Dessoly a toujours cultivé son indépendance, passant sa carrière à naviguer entre illustrations et jeux vidéo, création de figurines et bandes dessinées. Le créateur de Mr.  Nutz (sorti en 1993 sur Super Nintendo), aujourd’hui âgé de 52 ans, travaille depuis vingt-quatre mois sur le jeu Astérix et Obélix  : Baffez-les Tous ! un titre en 2D comme il les aime, et qui rend hommage au style de son idole, Uderzo. L’occasion de revenir sur son étonnant parcours au sein de l’industrie et d’en savoir un peu plus sur ce titre édité par Microids.

Vous avez cofondé Mr. Nutz Studio il y a environ deux ans avec votre compère de toujours Pierre Adane. Avant cela, vous avez tous les deux travaillé des années comme indépendants...

Tout à fait. En fait, on a voulu formaliser les choses, les structurer. On a développé Toki [jeu de plateforme culte, remis au goût du jour fin 2018, NDLR] et monté Mr. Nutz Studio dans la foulée.

Comment vous êtes-vous retrouvés à la tête d’Astérix et Obélix  : Baffez-les Tous ! ?

Très simplement : Microids nous a demandés si nous étions intéressés par un jeu autour de la licence Astérix. Évidemment, on a dit oui tout de suite. (Rires.) Pierre Adane et moi sommes fans, c’était donc une évidence.

La 2D également ? C’était une façon de rester fidèle à l’esprit de la BD ?

Microids voulait sortir un peu de ce qui avait été fait avec Astérix et Obélix  : XXL [en 3D]. Et pour moi, qui crée la ligne graphique, c’était totalement logique. J’ai fait des maquettes des premiers niveaux de cette façon car c’était ma vision d’Astérix. Le plus dur a été de mettre au point un volume de personnage qui ressemble à cette vision.

Il s’agit donc d’un beat’em up (style de jeu où il s’agit d’avancer en frappant des vagues successives d’ennemis) pur et dur ?

Oui. Enfin... pas complètement, car il existe des phases de plateforme. Mais c’est surtout de la baffe, oui ! (Rires.) Mais il y a quand même un mode aventure et une histoire. 

Une histoire originale, donc ? Ce n’est pas l’adaptation d’un album précis ?

Non, c’est un scénario original, mais qui s’inscrit dans la lignée des albums. Il faut rester Astérix, ne pas le transformer. D’ailleurs, nous travaillons en collaboration avec les héritiers d’Uderzo et Goscinny, qui vérifient tout. Nous leur faisons valider les éléments à chaque étape.

Graphiquement, il n’a pas été trop compliqué de se rapprocher du style d’Uderzo ?

Pas spécialement. Le plus dur a été de trouver un volume de personnage qui ressemble à Astérix et Obélix. Notre but est de s’adapter à chaque fois aux licences.

 

Qu’est-ce qu’un projet portant la marque Mr. Nutz Studio ? Et pourquoi accepter une commande plutôt que de développer une nouvelle licence qui vous appartiendrait ?

Cela fait des années que Pierre et moi travaillons ensemble, et les sociétés qui nous contactent pour collaborer avec elles nous proposent le plus souvent des licences existantes. Faire de la création, c’est plus compliqué, car il faut les fonds. Ce sont des projets où l’on se lance sur plusieurs mois, voire plusieurs années. Et la vérité, c’est que nous n’en avons pas eu souvent l’occasion. Nous sommes tellement sollicités que nous n’avons pas réussi à intercaler des créations entre deux commandes. Même si on a commencé à travailler sur une suite de Mr. Nutz, à chaque fois, nous avons été rattrapés par le volume de travail à gérer à côté.

Cette suite est donc bien dans les tuyaux ?

Oui, on aimerait bien la développer. On a commencé à travailler sur pas mal de choses, mais elle n’est pas officiellement lancée.

Le premier Mr. Nutz a été largement célébré à l’époque. Mais finalement, je n’ai pas l’impression que le jeu vous ait offert une carte blanche dans le milieu. Vous pensiez que plus de portes allaient s’ouvrir ?

Ah non, pas du tout ! En fait, je n’y pensais même pas. On a fait Mr. Nutz parce qu’on avait envie de le faire, point. On n’imaginait même pas ce qu’on allait faire après, on ne se demandait pas si on allait continuer.

Un truc d’artiste, un peu en dehors du business…

On faisait des jeux depuis quelques années avec Ocean Software [grand studio racheté par Infogrames puis définitivement fermé en 1998] et on s’est lancés sur Mr. Nutz sur un coup de tête. Juste pour faire un jeu qui nous plaisait.

Son succès vous a surpris ?

Je ne m’attendais pas à ce que ça marche autant... Mais on était contents du jeu, on espérait que ça fonctionne. En fait, je me rends vraiment compte du succès aujourd’hui : dès que je vais dans un salon, on me parle de Mr. Nutz. Même quand j’étais invité pour mes illustrations de Goldorak, on me parlait de Mr. Nutz ! C’est fou.

Vous n’avez jamais choisi entre l’illustration pure et le jeu vidéo...

J’aime bien toucher un peu à tout en dessin et faire des choses différentes : j’ai pu faire des illustrations, du packaging, des créations de figurines, de jeux vidéo, de l’animation...J’imagine que ce serait plus difficile à réaliser aujourd’hui. Les entreprises ont tendance à mettre les gens dans des cases. Mais ça m’a fait une expérience dingue. Chaque projet en nourrissait un autre. Par exemple, quand j’ai commencé à faire des figurines, je me suis demandé pourquoi je ne ferais pas les boîtes ? Et pourquoi pas des goodies, des posters ?

Comment Goldorak, que vous avez longtemps dessiné pour de nombreux projets, est arrivé dans votre vie ?

J’ai toujours été fan de Goldorak, c’est d’ailleurs grâce au dessin animé que j’ai commencé à dessiner. J’ai ensuite fait des jeux vidéo et j’ai ouvert en parallèle un site internet avec mes dessins du personnage. Un jour, en 2002 ou 2003, des gens au Japon m’ont contacté pour savoir si je voulais bosser pour eux : ils cherchaient un Occidental, avec un autre style que les Japonais. C’est tombé sur moi ! Au début je ne les ai pas crus, je pensais que c’était une blague. Mais non ! Je le fais toujours aujourd’hui, d’ailleurs je viens de travailler sur un projet autour d’Albator.

Revenons un peu en arrière : comment a démarré votre carrière chez Ocean Software ?

J’étais salarié là-bas, c’était mon premier boulot. J’étais encore à l’école et j’allais bosser chez Ocean au lieu d’aller en cours. (Rires.)

Quelle était l’ambiance à l’époque ? Ce studio avait des succès commerciaux avec des concepts pas forcément toujours orientés grand public. Il y régnait un vent de liberté ?

Exactement. Moi, j’étais chez Ocean France, dans la branche arcade. Ils ne faisaient que des adaptations d’arcade sur console, ce qui m’allait parfaitement. Je ne joue pas aux jeux vidéo d’ailleurs, ce n’est pas mon truc.

Ah bon ?

Non, pas du tout. Je n’y arrive pas, je ne peux pas. Par contre, j’aime bien les jeux d’arcade. Mais ça devient rare. Je crois que quand on fabrique du jeu vidéo toute la journée, le soir on n’a pas forcément envie de s’y remettre. (Rires.)

Mais vous êtes tout de même impliqué dans les mécaniques des jeux sur lesquels vous travaillez, ou bien c’est quelque chose que vous déléguez ?

Avant, je m’en occupais beaucoup, comme pour Mr. Nutz par exemple. Et plus le temps a passé, plus j’ai commencé à travailler avec des game designers ou des level designers. Attention, ça n’empêche pas d’échanger des idées ! Sur Astérix nous avons un game designer et level designer, mais nous discutons beaucoup. C’est aussi le cas avec les testeurs d’ailleurs, c’est important d’avoir des retours.

 

En 2006, vous co-fondez le studio Otaboo avec lequel vous travaillez notamment pour les consoles de Nintendo. Pourquoi l’aventure s’est-elle arrêtée ?

Il y a eu une super invention qui s’appelle le smartphone ! À partir de ce moment-là, les éditeurs ont voulu des jeux gratuits, avec des bonus payants. Mais pour développer ces jeux, ils ne donnaient aucun budget aux concepteurs ! Ce n’était pas possible. Les entreprises ne peuvent pas tenir ainsi et il y a eu beaucoup de fermetures. Dont notre studio. Je n’ai plus jamais refait un jeu sur smartphone, je refuse. La suite de Mr. Nutz ne sera pas sur téléphone, je peux vous l’assurer ! C’est aussi l’époque où j’ai travaillé sur plusieurs titres pour la première PlayStation, comme Ronaldo V-Football ou Snow Racer 98. C’étaient de gros jeux, et là, je me suis dit que je ne ferai plus jamais de jeux en 3D ! Trop long, trop de monde, top de marketing... J’ai dit stop.

L’avenir de Mr. Nutz Studio est-il déjà tracé ? Vous avez d’autres projets à part Astérix et Obélix : Baffez-les Tous ! ?

Oui, mais je ne peux pas vous en dire plus. La suite de Mr. Nutz serait la cerise sur le gâteau... J’ai refait le design mais il faut tout remettre au goût du jour. Ce n’est pas évident, car même si le premier jeu a marché à l’époque et que les retours étaient bons, ce n’est pas non plus une franchise de l’importance d’Astérix !

"Astérix et Obélix : Baffez-les Tous !" sera disponible à l’automne 2021 sur PlayStation 4, Xbox One, Nintendo Switch et PC. Le jeu sera compatible sur PlayStation 5 et Xbox Series XS.