ATOM, un dispositif pour favoriser l’émergence de scénaristes ultramarins

ATOM, un dispositif pour favoriser l’émergence de scénaristes ultramarins

03 janvier 2023
Séries et TV
ATOM
Former des talents français d'Outre-Mer et croiser les imaginaires, c'est le but d'ATOM CEEA

Initié par le Conservatoire européen d’écriture audiovisuelle (CEEA) et la productrice France Zobda (Eloa Prod), le projet Auteurs Talents d'Outre-Mer offre l'opportunité à quatre élèves ultramarins de suivre, tous frais payés, la formation longue de l'école depuis septembre 2022. Son directeur, le scénariste Patrick Vanetti, revient sur la genèse et les enjeux de ce dispositif qui vise à diversifier les récits et les imaginaires dans la fiction française.


Comment le projet ATOM a-t-il vu le jour ?

Le dispositif Auteurs Talents d'Outre-Mer est né de deux constats : celui de mieux représenter la diversité dans les récits au cinéma et à la télévision, et celui de prendre en compte le besoin des ultramarins de se reconnaître davantage dans les fictions qu’ils regardent. Il y a quelques années, nous avons eu la chance d’accueillir dans notre jury de fin d’études France Zobda, actrice et productrice martiniquaise, à la tête de la société Eloa Prod. Impressionnée par le niveau des productions des élèves, elle a émis l’idée de transférer une partie de la pédagogie du CEEA en Outre-mer, de manière à répondre concrètement à la nécessité de former des auteurs originaires de ces régions. Ce fut le début du projet ATOM. Ensemble, nous avons réfléchi à la meilleure façon de le mettre en œuvre. Il fallait que ces aspirants scénaristes puissent se confronter à la réalité du métier, rencontrer les professionnels du secteur et partager leurs imaginaires avec leurs collègues de l’Hexagone. Mais pour cela, il n’existait qu’une solution : les faire venir à Paris. Nous avons mis deux ans à monter le projet et à trouver des financements. ATOM a pu voir le jour grâce aux soutiens des régions Martinique, Guyane, Guadeloupe, de la Délégation Interministérielle des Outre-mer, et de nos partenaires France Télévisions, Netflix, Trace Studios, le CNC et la SACD. 

Les élèves bénéficient-ils des mêmes conditions d’entrée que ceux de l’Hexagone ?

Oui. Dans un souci d'ouverture aux profils les plus divers, notre concours est accessible sans condition de diplôme. La seule règle pour s’y présenter est d’être âgé de 20 ans minimum. Les élèves sont formés pendant deux ans à Paris. Les candidats ATOM ont passé le concours au même moment que les autres et ont planché sur les mêmes épreuves. Douze candidats issus de quatre territoires d’Outre-mer (Martinique, Guadeloupe, Guyane, Réunion) ont été présélectionnés sur la soixantaine de postulants, soit trois par région. En mai 2022, ils ont assisté, tous frais payés, à un séminaire de sensibilisation au métier de scénariste à Paris. Ce fut l’occasion pour eux de rencontrer les partenaires du projet, de se confronter à la capitale avant de passer, sur place, la dernière épreuve du concours dans un temps limité. Cette épreuve d'écriture se déroule en ligne pour le reste des candidats. Quatre d’entre eux (un par région) ont donc été retenus à la suite d’un entretien avec le jury de sélection. Ils ont démarré la formation en septembre 2022 intégrés à douze autres recrues.

ATOM est né de deux constats : celui de mieux représenter la diversité dans les récits au cinéma et à la télévision, et celui de prendre en compte le besoin des ultramarins de se reconnaître davantage dans les fictions qu’ils regardent.

Concrètement, comment se déroule la formation ?

Elle dure deux ans à temps plein. L’enseignement est principalement axé sur la pratique. Les élèves travaillent en ateliers de 4 à 6 personnes encadrés par un formateur. Tous sont des scénaristes en activité qui donnent de leur temps pour enseigner. Les élèves bénéficient d’un suivi personnalisé avec notamment le soutien de coordinateurs pédagogiques. On les fait écrire et surtout réécrire. On les accompagne, on les rassure. Il faut savoir repérer leurs points forts et leurs points faibles pour les aider à avancer. Se former à l'écriture de fictions, c’est du doute permanent et du dépassement de soi. Mais après deux ans de formation, nos élèves sont prêts à intégrer le métier. À la sortie, après la soutenance d'une certification professionnelle de scénariste enregistrée au RNCP de niveau 7 (ce qui équivaut à un Master 2), le taux d’insertion est proche de 100 %. Beaucoup quitttent l’école avec un contrat en main. L’année dernière, par exemple, deux d’entre eux ont directement rejoint les ateliers d’écriture des quotidiennes. D’autres ont signé des épisodes de séries ou des options sur la série ou le film qu’ils ont créé au Conservatoire. C’est pourquoi il était fondamental que les élèves ultramarins suivent la formation à Paris afin d'être confrontés à l'exigence du métier, mais aussi de pouvoir mettre tout de suite un pied dans la profession. En 2024, grâce au dispositif ATOM, nous aurons une promotion de 16 scénaristes. C’est une première, puisque nous formons d’habitude 12 scénaristes par an. Malheureusement, parfois certains d'entre eux sont contraints d’abandonner en cours de formation faute de moyens…

Se former à l'écriture de fictions, c’est du doute permanent et du dépassement de soi. Mais après deux ans de formation, nos élèves sont prêts à intégrer le métier. 

Quelle est la prise en charge financière pour les élèves ultramarins ? 

Le coût total de leur scolarité est assumé par les régions. Pour les aider, en plus d'un hébergement à la Cité Universitaire de Paris, ils disposent d’une « bourse de vie » de 700 euros par mois financée par nos partenaires. À la rentrée 2023, en dehors des frais d’inscription (environ 400 euros par an), la scolarité sera d'ailleurs gratuite pour l'ensemble des élèves du CEEA. J’ai toujours souhaité mettre en place une vraie égalité des chances pour pouvoir accéder à ce métier quelle que soit son origine sociale. Nous sommes une association à but non lucratif financée en partie par nos partenaires fondateurs. Notre activité de formation continue nous permet de boucler le budget. Mais c'est un défi quotidien. 

France Zobda, actrice et productrice, et Patrick Vanetti, le directeur du CEEA
France Zobda, actrice et productrice, et Patrick Vanetti, le directeur du CEEA, sont à l'origine du projet ATOM CEEA

Outre faciliter l’intégration des talents d'Outre-mer au sein de la profession de scénariste, ATOM permet aussi de mettre en lumière différents univers, cultures et histoires… Que produit cette diversité au sein de votre école ?

Elle offre en effet la possibilité de confronter les points de vue, d’ouvrir de nouveaux horizons… Dans les ateliers d'écriture, tout le monde est mélangé, ce qui facilite l’intégration et le partage d’expériences. Dès le concours, nous avons remarqué que les productions des élèves ATOM faisaient une large place à l’environnement, aux forces de la nature, mais aussi au surnaturel. Ils ont une sensibilité marquée pour le genre fantastique. Leur rapport à la famille est aussi très différent de celui des « métropolitains ». Tous partagent cependant la même préoccupation quant à la crise climatique et à l’avenir de la planète. Cette diversité et le mélange d’univers qui en découle est précieux, notamment pour les élèves issus de l’Hexagone. De notre côté, cela nous a poussé à adapter certains exercices. À titre d’exemple, en première année, l’un d’entre eux consiste à écrire un épisode de série en respectant une contrainte de genre (une fiction policière autour d’une disparition) et de lieu (l'histoire doit se dérouler dans une région en particulier). Cette année, nous avons élargi l'exercice aux quatre territoires ultramarins pour laisser libre cours à l'imagination de nos élèves, inviter les autres à se documenter sous l'oeil attentif de leurs camarades d'Outre-mer, mais aussi donner l’opportunité à ces derniers d’exploiter leur territoire comme arène de leur récit.

Diversifier nos récits est un enjeu national. Cela participe, je crois, à l’intégration au sens large.

Envisagez-vous d’élargir le dispositif à Mayotte et aux collectivités d’Outre-mer ?

Nous allons attendre la fin de la formation, en 2024, pour dresser un premier bilan en termes d’intégration et de suivi de l’enseignement. Nous serons heureux d’élargir le dispositif sous réserve, bien sûr, qu'on puisse le financer. Cela demande de déployer davantage de moyens. Or la question du financement est toujours délicate. Mais diversifier nos récits est un enjeu national. Cela participe, je crois, à l’intégration au sens large.