Édouard Bergeon : « Je viens de l’école de la réalité »

Édouard Bergeon : « Je viens de l’école de la réalité »

02 mars 2023
Séries et TV
Bernard et Sylvie Dahetze dans « L'Amour vache ».
Bernard et Sylvie Dahetze dans « L'Amour vache ».

Avec L’Amour vache, le réalisateur d’Au nom de la terre revient au genre documentaire à travers le portrait d’un couple d’agriculteurs confronté à la maladie de son troupeau. Chronique du mal-être chez les éleveurs français, cette immersion de trois ans au cœur de la vie rurale, est diffusée sur France 5 en marge du salon de l’agriculture. Entretien.


Quelle est la genèse de ce documentaire ?

Tout a commencé avec Au nom de la terre (2019), qui a très bien marché dans la ruralité et le monde agricole. Depuis, j’ai reçu des centaines de mails, des gens qui voulaient me remercier ou me parler de leur mal-être. J’en ai lu beaucoup, j’ai répondu à certains, mais c’est une charge émotionnelle forte. Parce que je m’étais mis à nu dans mon film, les gens, en retour, se dévoilaient entièrement. Et donc là, c’est sur Facebook que ce couple, Bernard et Sylvie Dahetze, m’a envoyé un message. On a commencé à échanger. Ils ne voulaient pas être seuls. Ils voulaient un souvenir, des images de ce troupeau, de leurs vaches qu’ils allaient devoir abattre [touchées par la tuberculose]. Je me suis reconnu en eux. J’y ai vu ma famille. La grand-mère s’appelle Gisèle, comme la mienne ! À partir de là, je ne les ai plus lâchés.

Comment avez-vous pensé cette immersion de trois ans ?

Je ne l’ai pas vraiment pensé. Je viens du documentaire et de l’école de la réalité, donc je m’adapte au sujet. À la base, ce n’était pas un documentaire pour la télévision. J’y suis allé pour aider Bernard et Sylvie et pour témoigner sur ma chaîne Au nom de la terre.tv. C’était quelque chose de très protéiforme. Cela étant, ce n’était pas difficile à filmer. Tout a été simple, parce que tout est vrai. Au bout du compte, j’ai très peu tourné, parce que chaque moment était d’une justesse étonnante. Comme lorsque je suis tombé sur la grand-mère en train de boire une chicorée. Ce n’était pas calculé et ça a donné une séquence de douze minutes ! Peut-être la plus touchante du film. C’est de l’instantané. Il faut être là au bon endroit au bon moment. C’est comme ça que se construit ce genre de documentaire selon moi. Cela veut dire aussi beaucoup de temps sans caméra. On parle, on échange, on crée du lien, de la confiance et pendant ce temps-là, la caméra sort très peu.

Il faut être là au bon endroit au bon moment. C’est comme ça que se construit ce genre de documentaire.

Qu’avez-vous voulu transmettre avec ce film documentaire ?

C’est un documentaire de société tout autant qu’un documentaire sur le monde agricole. Je trouvais important de filmer Sylvie, de montrer qu’on se déplace en voiture et non à vélo quand on vit à la campagne, que le premier employeur c’est la grande distribution ou le service à la personne et qu’on peut passer trente-deux années au SMIC. C’est un film qui raconte beaucoup de choses en fait, et notamment une grande histoire d’amour : Bernard et Sylvie sont tout le temps ensemble. Et puis c’est aussi une déclaration d’amour des éleveurs à leurs animaux. En France, les animaux sont très souvent bien traités et Bernard, il traite ses vaches comme ses enfants ! On a pris le temps de montrer cette relation avec les bêtes. Les éleveurs aiment leurs bêtes, c’est viscéral.


Votre film Au nom de la terre a réalisé 2 millions d’entrées au cinéma : avez-vous le sentiment que le grand public est de plus en plus touché par les difficultés du monde agricole ?

Oui… mais c’est un public rural qui est y d’abord sensible. Si l’on regarde les chiffres dans le détail, les habitants des villes ne sont pas venus voir mon film. Il y a effectivement cette envie d’acheter mieux, d’acheter plus local, mais encore faut-il qu’elle se convertisse concrètement dans l’acte d’achat ! On n’y est pas encore tout à fait… Mais avec de la pédagogie, de l’éducation, on y arrivera. Je suis un grand optimiste. C’est pourquoi je fais ce genre de films. D’ailleurs, l’histoire de Bernard et Sylvie se termine bien. Une note positive, c’est essentiel. Avec Au nom de la terre, ce n’était pas le cas, parce que je voulais marquer les esprits. Mais je crois toujours qu’il y a des solutions. C’est pour ça que j’ai pris du temps, trois années, pour aller au bout de l’histoire avec eux. Et à la fin, on respire.

L’Amour vache

L'Amour vache

Réalisation : Edouard Bergeon

Le 5 mars à 20 h 55 sur France 5 ou dès à présent sur France.tv

Soutien du CNC : Fonds de soutien audiovisuel