« Maroni » : un tournage polaire épique à Saint-Pierre-et-Miquelon

« Maroni » : un tournage polaire épique à Saint-Pierre-et-Miquelon

22 avril 2021
Séries et TV
Maroni s2
Maroni s2 David Bersanetti - JC Lespagnol

Après la Guyane en saison 1, le réalisateur et scénariste Olivier Abbou envoie sa jeune héroïne gendarme sur la petite île française nichée au large du Canada. Il nous raconte la rudesse d’un tournage au cœur de l’hiver, unique en son genre, mais qui offre des images incroyables et permet d’explorer ce territoire méconnu de la République.


Après le succès de la première saison en Guyane, vous déplacez l’intrigue de Maroni dans l’Atlantique Nord, à Saint-Pierre-et-Miquelon. Pourquoi ce changement de décor ?

On a essayé de retrouver ce qui a fait la sève et le succès de la première saison, et en même temps, je n’avais pas du tout envie de me répéter. C’est toujours un peu dangereux les saisons 2, parce que les gens ont envie qu’on leur redonne ce qu’ils ont aimé. Mais c’est la recette facile pour faire un truc raté et décevoir tout le monde. Alors, j’ai eu ce désir de créer un gros contraste. De passer de la chaleur et de la moiteur de la Guyane à la glace et au froid de Saint-Pierre-et-Miquelon. Passer de l’été à l’hiver.

 

Comment organise-t-on un tournage sur une petite île comme celle-là, isolée de tout ?

Bien sûr, c’est compliqué ! C’est loin. C’est à 5 heures d’avion depuis Paris, en été, quand il y a des vols directs. Sinon, il faut compter 12 ou 16 heures pour rejoindre Saint-Pierre-et-Miquelon en hiver, parce qu’il y a des transferts par Halifax, Montréal ou autres. J’ai fait beaucoup d’allers-retours personnellement. Et puis, ce qui n’a rien simplifié, c’est que j’ai absolument souhaité tourner en hiver. C’était une condition sine qua non. La production aurait préféré qu’on tourne en automne, mais cela nous aurait privés de décors magnifiques et de leurs spécificités. Je voulais qu’on se confronte aux éléments. Cela fait partie aussi de l’aventure humaine. Maintenant, c’est vrai que tout a été plus compliqué, que ce soit pour des questions d’accessibilité, de matériel, de déplacements ou encore les risques qu’on peut prendre au quotidien avec les intempéries. On a bien évidemment essuyé des tempêtes de neige durant lesquelles on ne pouvait pas tourner les scènes prévues... même si on en a quand même profité. On n’allait pas se priver d’une telle beauté ! Il est arrivé, un jour, qu’on ait un mètre de neige devant nos portes. On ne pouvait même plus sortir. Mais je me souviens avoir appelé mon chef op' et le premier assistant, pour leur proposer de profiter de ces paysages pour aller faire des images !

On a fait bosser des salariés de la chaîne locale
 


Concrètement, sur place, avez-vous trouvé l’équipement nécessaire ou a-t-il fallu tout amener depuis la France ?

Il y a un container qui est parti par bateau et qui est arrivé sur l’île un mois après nous. Parce qu’à Saint-Pierre, il n’y a quasiment jamais eu de tournage. Je crois que Patrice Leconte, pour La Veuve de Saint-Pierre, avait fait quelques plans là-bas, mais les conditions sont telles que le gros du film avait été tourné, il me semble, du côté de Terre-Neuve, la grande île canadienne située à quelques kilomètres. Du coup, sur place, il n’y a pas vraiment de techniciens. Mais on a quand même fait bosser des salariés de la chaîne locale, pour faire du son, comme assistants, comme stagiaires. Le régisseur a constitué une bonne équipe de locaux qui ont découvert les métiers du cinéma à travers ce tournage. Pareil, pour trouver des acteurs, c’était compliqué. Il y avait une petite troupe de théâtre locale, avec laquelle j’ai fait pas mal d’essais. J’ai fait venir une coach de Paris, pour faire travailler ces acteurs amateurs qui se retrouvaient sur un tournage professionnel ! On a vraiment bossé avec les gens sur place, c’est aussi une façon d’être bien accueillis par la population. On a, en quelque sorte, transformé la petite ville de Saint-Pierre en studio à ciel ouvert. Ce tournage a été vécu comme un véritable événement par les gens, et du coup, tout s’est très bien passé. Quand on est rentrés en France, en mars 2020, après trois mois de tournage sur l’île, on était déjà un peu habitués à une forme de confinement. (Rires.)

Comment les acteurs ont-ils vécu le fait d’être ainsi isolés, dans ces conditions climatiques particulières ?

Globalement, ils l’ont tous bien vécu, ou avec pas mal de philosophie. Très peu ont pu faire un aller-retour. Parce que c’était très cher, très lourd et très risqué pour notre calendrier de tournage. La majorité du casting est donc restée deux mois sur place et, parfois, certains ne tournaient qu’une demi-journée dans la semaine ! Et puis notre actrice principale, Stéphane Caillard, était là avec son bébé qui avait tout juste 4 mois… Les petits jeunes de la distribution se sont également organisés une vie, autour du club de sport. Tout le monde est devenu Saint-pierrais finalement.

C’est extrêmement fatigant physiquement
 


Le froid, la neige, c’est ce qu’il y a de plus difficile quand on filme ?

Oui, le froid, sans aucun doute ! Le corps est bien fichu parce qu’il s’habitue. Il ne fait pas spécialement froid au niveau des valeurs, mais le ressenti est vraiment terrible, à cause du vent permanent et de l’humidité liés à l’Atlantique. On a vite l’impression qu’il fait -10 °C. Et les tournages de nuit sont très difficiles. Mais on avait des équipements, des petites tentes chauffées, de quoi tenir le coup. Après, je dirais que c’est surtout extrêmement fatigant physiquement. On sent que le corps turbine toute la journée pour rester à température.

En revanche, la lumière est superbe, les décors sont uniques, et en tant que metteur en scène, c’est un plaisir de jouer avec ces éléments, non ?

C’est sûr que c’est un cadre incroyable. D’autant que je travaille avec la même équipe, celle de la saison 1 de Maroni et de mon dernier film, Furie (2019). Antoine Sanier, le chef opérateur, a fait un boulot extraordinaire. L’image est superbe. Grâce aussi au travail de David Bersanetti, mon directeur artistique. J’ai pu déléguer ainsi et c’est important pour un tournage aussi ambitieux, avec un budget limité, où beaucoup d’argent passe finalement dans le voyage et la logistique...

Explorer ces territoires quelque peu oubliés de la République
 


On voit très rarement Saint-Pierre-et-Miquelon dans la fiction française. Cette saison 2 de Maroni est donc aussi une façon de mettre en avant ce territoire lointain ?

Oui, c’est une forme d’exploration de ces territoires quelque peu oubliés de la République. Parce que c’est vraiment intéressant à raconter, même d’un point de vue social ou économique. Un peu comme le Nord ou le Grand Est de l’Hexagone souffrent de la désindustrialisation, ici c’est la disparition de la pêche qui a fait mal. Pendant plusieurs siècles, la pêche fut le poumon économique de l’île, mais s’est réduite à peau de chagrin après des accords signés en 1995 entre la France et le Canada, autour des eaux territoriales. La principale ressource de Saint-Pierre-et-Miquelon s’est totalement effondrée et c’est aujourd’hui un territoire qui se cherche économiquement. Ils essayent par exemple de développer le tourisme, parce que c’est un très bel endroit, avec des paysages extraordinaires, comme cet isthme qui relie les deux presqu’îles de Grande Miquelon et Langlade, et qui s’est construit naturellement sur des centaines et des centaines de bateaux échoués !

Vous avez filmé en Guyane, puis à Saint-Pierre-et-Miquelon. D’où vous vient cet attrait pour les DOM-TOM ?

Ce n’est pas particulièrement les DOM-TOM en fait. J’ai tourné au Canada mon premier long métrage, Territoire (2011). J’avais déjà envie d’ailleurs. Puis j’ai filmé un unitaire pour Arte en Afrique du Sud... Je n’aime pas beaucoup tourner en France, mais c’est principalement parce qu’on regarde mal les choses quand on baigne dans son quotidien. Alors que lorsqu’on filme quelque part où tout est inédit, ça écarquille les yeux, on est beaucoup plus réceptif aux paysages, à l’histoire, aux rencontres... Tout ça vient infuser un projet.

 

Maroni, saison 2

Diffusé en intégralité sur Arte.tv dès le 13 mai 2021, puis diffusée sur Arte les jeudis 20 et 27 mai à 20 h 55.

Minisérie (6x45') réalisée par Olivier Abbou
Scénario : Olivier Abbou, Camille Lugan, Angelo Cianci, Jean-Charles Paugam
Avec la collaboration de Nicolas Peufaillit
Avec Stéphane Caillard, Adama Niane, Axel Granberger, Samuel Jouy, Paul Hamy, Brigitte Sy, Patricia B. Thibault
Coproroduction : ARTE France, Frenchkiss Pictures