Vatican, la cité qui voulait devenir éternelle est un film hybride, mêlant documentaire et animation. Pourquoi ce choix ?
Sur l’ensemble des films de cette série [ce film fait partie d’une collection d’Arte consacrée aux grands lieux de pouvoir, avec par exemple des documentaires sur Chambord, Versailles et le Mont Saint-Michel ndlr], il y a toujours une part de restitution de la vie de ces endroits qui, sans cela, pourraient sembler froids. Il existe plusieurs manières de le faire. Dans certains films, nous avons opté pour de la mise en scène, avec des situations jouées par des acteurs. Dans d’autres, comme celui-ci, nous avons choisi de le faire via des séquences animées. J’avoue avoir une préférence pour cette option. Avec le Vatican, on traverse plus de douze siècles d’histoire. Opter pour des acteurs aurait été une solution compliquée ; il aurait fallu beaucoup de costumes et de situations différents. Cela aurait posé un problème de budget et de lieux de tournage.
Sur le plan narratif, quels sont les avantages des séquences animées ?

Quand on voit un acteur à l’écran, on se demande d’abord s’il joue bien, s’il est crédible, s’il ressemble au personnage qu’il doit incarner. Quand on fait un film de fiction qui dure deux heures, on a le temps d’installer le personnage et de lui donner une identité forte. Mais quand ce sont des séquences de 30 secondes ou une minute, on ne peut pas jouer sur ce levier. L’animation nous permet d’avoir davantage de distance, mais en même temps de garder un pouvoir évocateur intact pour mettre en scène des situations. Et elle n’a ici pas simplement vocation à illustrer mais aussi à raconter et apporter de nouvelles informations, à faire progresser le récit. Ce ne sont pas juste des respirations qui font joli !
A quel moment avez-vous écrit ces séquences animées ?
Elles sont écrites et décrites dès le début, quand le documentaire est scénarisé. On ne pourrait d’ailleurs pas faire autrement car il faut du temps pour que les séquences animées soient réalisées. Mais il y a ensuite beaucoup de moments où il faut ajuster les choses. Du côté du documentaire classique, déjà, car même si on fait beaucoup de préparation, qu’on rencontre les intervenants en amont et qu’on sait en gros ce qu’ils vont nous raconter, il se passe des choses parfois imprévues. Des petits raccords doivent donc être faits entre le documentaire classique et ces séquences d’animation, qu’il faut ajuster en cours de montage. Mais 90% du contenu est prévu et calé à l’avance, c’est un scénario qui est très précis. Par exemple, je sais exactement la phrase qu’il faut avant la séquence d’animation pour permettre de passer à une mise en images animées, et l’image qu’il faut juste avant également, pour que le raccord entre les deux soit le plus fluide possible.
Comment avez-vous choisi le studio qui allait réaliser ces séquences animées ?
Nous en avons vu 4 ou 5. Le studio Blue Spirit a adhéré au projet et a été très réactif. Leurs retours nous ont donné envie de travailler avec eux. C’est un gros studio, ce qui est bien mais un peu compliqué aussi car ils ont des habitudes de travail pour des productions plus importantes. Dans notre cas, il doit y avoir au total une quinzaine ou tout au plus une vingtaine de minutes d’images d’animation. Nous avons beaucoup échangé avec eux. La difficulté principale, c’était de trouver le style de l’animation. C’est un film où il y a beaucoup d’images et beaucoup d’œuvres d’art (fresques, tableaux, sculptures…).

Il fallait réfléchir au type de représentation, au mode de lumière qu’on allait installer… Il y a un mélange de décors en 2D et de personnages en 3D, tout en évitant de se retrouver dans quelque chose de trop lisse.
Comment s’est organisé le travail avec Blue Spirit ?
Nous avons eu des aller-retours permanents avec Fernando Lira, notre interlocuteur en direction artistique. Avant même de commencer la réalisation à proprement parler, il y a eu beaucoup d’échanges sur des exemples de traitements de l’image pendant lesquels nous avons essayé de mettre au point le graphisme, la lumière, les type d’effets de contraste... Arrive ensuite une phase de scénario. De mon côté, je donne des indications sur ce qu’on veut voir à l’image, mais cela reste assez vague. Puis, avec Fernando, nous travaillons image par image, tout en l’alimentant en documentation historique et représentations des lieux pour qu’il s’en fasse une meilleure idée. Il y a ensuite une étape storyboardée : Fernando nous propose un découpage très graphique du récit, sans couleurs, pour voir les angles et vérifier si la durée nous convient. Il travaille et dessine ensuite les décors de son côté, puis crée les personnages. Blue Spirit a une sorte de catalogue de mannequins, une librairie à partir de laquelle on compose, qu’ils habillent, animent… Enfin, il y a l’animation proprement dite, qui est faite dans un autre de leurs studios, situé à Angoulême. Une autre équipe met les personnages en mouvement, avec là aussi, comme à chaque étape, des échanges entre nous et des ajustements.
Avez-vous rencontré des difficultés particulières dans ce processus de création ?
Une des difficultés, ça a été les personnages. On est presque trop, par moments, dans une sorte de caricature. On raconte quelqu’un ; or, ce quelqu’un, il faut lui donner une présence. Mais les visages et les expressions, dans l’animation, sont très compliqués à rendre de façon crédible. On est soit très vite dans quelque chose qui s’approche de la caricature, soit dans un hyper-réalisme qui n’est pas raccord avec l’ensemble du procédé. C’est un petit peu difficile à faire. Après, c’est vrai que le process est long, et qu’il y a beaucoup d’aller-retours. La mise au point doit être extrêmement fine, car il est difficile (et cher !) de revenir en arrière ensuite.
Les enjeux d’un tournage au Vatican
Coproduit par Gédéon Programmes, Arte France et NHK avec CTV-Vatican Media, « Vatican, la cité qui voulait devenir éternelle » est diffusé sur Arte samedi 12 décembre et est d’ores et déjà disponible sur Arte.tv. Ce film documentaire a été soutenu par le CNC.