Comment travaille un fixeur pour les productions audiovisuelles

Comment travaille un fixeur pour les productions audiovisuelles

03 décembre 2019
Cinéma
Demain est a nous
Demain est a nous Apollo Films - Mai Juin Production - Echo Studio
C’est l’un des rouages essentiels de la production audiovisuelle et pourtant, c’est également l’une des professions les moins connues. Éric Charles Tassel, fondateur de Brama Production, réseau de fixeurs en Amérique du Sud, nous expose les enjeux de ce métier de l’ombre.

Comment définir le métier de fixeur ?

C’est assez difficile à définir, car ce n’est pas un métier normalisé. Il n’y a pas de formation pour devenir fixeur, aucun cadre juridique pour cette profession. Ça pourrait s’apparenter à ce qu’était le régisseur à une époque.

Le fixeur est un rouage dans le déroulement d’une production audiovisuelle, il sert de lien entre les populations et les porteurs du projet audiovisuel. Les populations, ça peut aussi bien être des peuplades isolées que des gens importants comme des présidents, des ministres… Il faut être capable de s’adapter à tous ces milieux, tous ces mondes.

Après, le métier varie aussi en fonction du pays dans lequel on se trouve. Est-ce un pays en guerre ou un pays calme ? Il y a des fixeurs qui sont amenés à prendre beaucoup de risques et d’autres beaucoup moins.

Le fixeur intervient donc à différentes étapes du projet… 

Oui, en amont du tournage, il fait des repérages, des enquêtes, des castings, il peut jouer le rôle de « boîte à idées » pour des réalisateurs qui sont en phase d’écriture et qui ne sont pas forcément sur place. Puis il y a la partie logistique : chercher des chauffeurs et des voitures fiables, s’occuper des autorisations administratives, de la sécurité des équipes… C’est très large. Et très intéressant : moi, par exemple, je connais aujourd’hui mieux la Bolivie que la France, mon pays d’origine. J’ai participé à la réalisation d’une quinzaine de documentaires, ce qui m’a amené à bourlinguer sur ce vaste territoire, à aller rencontrer des tribus reculées de l’Amazonie, à m’intéresser à des mouvements sociaux, à remonter le fil de l’histoire grâce à un documentaire sur Klaus Barbie (La Traque de Klaus Barbie, de Christophe Brûlé). C’est très épanouissant, on apprend beaucoup.

Comment devient-on fixeur ?

Quand j’ai créé Brama Production en 2014, c’était l’un des premiers réseaux de fixeurs au monde. Le concept était plutôt bon, car aujourd’hui, il y a beaucoup de réseaux similaires ! Mais un grand nombre d’entre eux sont plutôt des plateformes technologiques, ils mettent surtout l’accent sur la location de matériel vidéo. Moi, je préfère privilégier la dimension anthropologique et « intimiste » du métier. Dans les profils que je recrute, j’ai tendance à choisir des binationaux, qui vivent sur place depuis longtemps et ont des doubles casquettes. Au Pérou, Sébastien Jallade est écrivain, chercheur universitaire, réalisateur ; en Colombie, Mônika Barrios Cabrera est directrice artistique de la Nuit blanche de Bogota ; en Argentine, Mathieu Orcel est également réalisateur… Pour être fixeur, il faut avoir une très grande connaissance d’un pays. Connaître les gens des provinces profondes, des milieux populaires aussi bien que de la haute société.

Est-ce un métier qui s’enseigne ?

Cela pourrait, oui. J’ai d’ailleurs créé un groupe Facebook privé dans lequel je donne des conseils, sur des lieux de tournage, sur la structuration d’un devis, etc. C’est un métier d’avenir dans le sens ou les chaînes de télévision ont de moins en moins de budget pour envoyer des équipes sur place, donc on fait parfois office de structures de réalisation offshore. Dans le cadre du documentaire sur Klaus Barbie par exemple, on avait fait des interviews sur place. Au-delà du fixing, on peut donc aider à la réalisation. Il faut envisager ce métier de manière large pour pouvoir en vivre.

Quelles sont vos relations avec les réalisateurs ?

Le réalisateur peut parfois se sentir en compétition avec le fixeur, qui connaît mieux le pays que lui. D’autres confondent le fixeur avec une agence de voyages, chargée de faire en sorte que tout se passe bien. Mais nous ne sommes pas des gentils organisateurs, nous n’organisons pas des vacances pour les touristes ! Ce genre d’approche a généré des relations tendues avec des réalisateurs un peu « mercenaires », payés à la mission. Mais d’autres sortent du lot. Gilles de Maistre, par exemple, avec qui j’ai travaillé sur Demain est à nous. C’est un grand professionnel, discret, qui travaille seul et a une vraie démarche d’auteur. Ou encore Maria de Medeiros, qui, grâce à une carte blanche offerte par Arte, était venue faire un reportage d’une trentaine de minutes. Elle avait une vraie logique d’auteur, elle aussi. Elle a fait des recherches en profondeur et a noué une véritable relation avec le pays. Ce sont bien sûr ce genre de collaborations qu’on a envie de privilégier.