Quelle a été la genèse du Blackmaria ?
Jérôme Descamps : Le Blackmaria est issu de la volonté du CNC de développer des pôles d’éducation aux images afin de coordonner en région les actions d’éducation artistique au cinéma et à l’audiovisuel. C’est ainsi qu’en 2018, les deux associations de l’ex-Région Champagne-Ardenne, Télé Centre Bernon et La Pellicule Ensorcelée, sont réunies pour former le Blackmaria – nom du premier studio de l’histoire du cinéma inventé par l’équipe de Thomas Edison aux États-Unis, ndlr. Télé Centre Bernon se situant au sud de l’ex-région et La Pellicule Ensorcelée au nord, nos deux associations se partagent géographiquement les actions. Soutenus par le CNC, par la DRAC Grand-Est et la Région Grand Est, nous avons pour objectifs d’accompagner le cinéma, le développement des images, les projets pédagogiques de la région mais aussi de servir d’observatoire pour informer la région des initiatives cinématographiques et audiovisuelles. En tant que pôle régional d’éducation aux images, nous relayons tous les programmes nationaux tels que Ecole et cinéma, Collège au cinéma ou encore Lycéens et apprentis au cinéma.
Pourquoi avoir développé un kit consacré aux handicaps ?
Ce n’est pas la première fois que le Blackmaria met en place ce type d’outil. Nous avons déjà développé auparavant un kit pour raconter le conflit 14-18 aux collégiens ainsi qu’un kit contre les LGBT phobies pour les étudiants de 16 à 25 ans. À travers ce format de kit, nous souhaitions mettre à disposition des outils pédagogiques simples de fonctionnement, accessibles et gratuits pour les enseignants et animateurs sociaux culturels. C’est à partir du kit contre les LGBT phobies que le Blackmaria a décidé de consacrer ses prochains outils pédagogiques à des sujets discriminants. Le kit Handicaps se situe donc dans la continuité de ce premier outil puisqu’il vise à engager la réflexion autour des besoins de chacun, des différences en les reconnaissant comme des richesses et à faire de l’école un lieu plus inclusif.
Comment avez-vous imaginé cet outil ?
Le kit Handicaps est constitué de 13 courts métrages qui abordent le handicap. Tous les films sont sous-titrés et audiodécrits et les droits ont été acquis afin de permettre leur diffusion non commerciale. Il est destiné à des adolescents et des jeunes adolescents, valides et en situation de handicap. Des fiches pédagogiques ont été imaginées par des professionnels de l’enseignement afin d’animer une session de cours ou d’atelier pour aborder le fond (question sociétale, notions à aborder en cours…) et la forme (langage des images, histoire des arts). Enfin, un dossier artistique sur la fabrication cinématographique de chaque film a été élaboré avec l’aide des producteurs et réalisateurs de chaque court métrage. Le kit Handicaps est mis à disposition des enseignants de collèges et de lycées ainsi que des animateurs des associations de l’éducation populaire. Des documents de travail sont en libre accès sur le site internet de l’association : www.leblackmaria.org.
Quels ont été les critères de sélection des courts métrages ?
Nous avons misé sur le choc esthétique et artistique de ces films pour engager la réflexion sur le handicap chez les élèves. Ainsi, la puissance cinématographique et le mode de narration étaient des critères de sélection essentiels. En choisissant des courts métrages allant de la fiction à l’animation en passant par le documentaire, venant de France (Mon amoureux, 2011), d’Allemagne (The Present, 2014) ou encore d’Inde (Three of us, 2008), le Blackmaria souhaite mettre en avant une grande diversité de narrations et de perspectives sur les handicaps. Pour que la sensibilisation auprès de ces publics soit la plus efficace, les films ont été visionnés, jugés puis sélectionnés par un groupe de travail composé d’enseignants, de conseillers pédagogiques et d’infirmiers. Autre point essentiel pour le Blackmaria : pouvoir produire des versions audiodécrites et sous-titrées de chaque film avec l’association Retour d’images. Cela permet d’organiser des séances inclusives pour les personnes en situation de handicap mais aussi de faire travailler des jeunes valides sur ces versions adaptées afin de les sensibiliser sur le quotidien de leurs camarades. Si ce n’était pas le cas de nos deux kits précédents, dorénavant le Blackmaria souhaite mettre à disposition des versions adaptées de chaque film dans les prochains kits.
Comment se déroule une séance de sensibilisation au handicap ?
Il n’y a pas de consignes ou de méthodologie à suivre : chaque enseignant et animateur est libre de composer sa propre séance. Il peut décider d’utiliser tous les documents mis à disposition dans le kit ou seulement quelques-uns. De travailler sur les 13 courts métrages ou uniquement sur deux ou trois. L’essentiel est que ces professionnels de l’éducation s’emparent de ces clés et les adaptent aux publics visés. Par exemple, dans l’un des collèges bénéficiant du kit Handicaps, une professeure de français et une professeure d’éducation physique et sportive (EPS) ont utilisé les outils disponibles et les ont repris de manière très différente. La professeure d’EPS a réalisé un chemin semé d’embuches et d’obstacles que les élèves devaient franchir par deux. L’un avait les yeux bandés, l’autre servait de guide. Cela a permis aux jeunes adolescents d’appréhender le quotidien d’une personne aveugle. Quant à la professeure de français, elle a décidé d’aborder le sujet du handicap en réalisant des quizz et des photogrammes pour décrire les films du kit. C’est en s’appropriant les documents du kit du Blackmaria que la sensibilisation sera plus efficace.
Ce kit pédagogique est depuis peu diffusé à l’échelle nationale…
En effet ! À l’origine, le kit était à disposition de tous les enseignants et animateurs des quatre départements de l’ex-Région Champagne Ardenne, à savoir Ardennes, Aube, Marne et Haute-Marne. L’association l’Archipel des Lucioles diffuse et relaye le kit Handicaps à l’échelle nationale depuis juin 2023. Le kit Handicaps est désormais disponible dans 160 établissements scolaires et 109 associations de l’éducation populaire dans toute la France. Cet élargissement permet à la fois de faire connaître et de valoriser les actions du Blackmaria mais aussi de libérer la parole sur le handicap à plus grande échelle.
Quels sont vos projets à venir ?
Nous souhaitons continuer sur notre lancée et développer d’autres outils pédagogiques sur des sujets discriminants. Ainsi, en 2025, le Blackmaria a pour projet de proposer un kit pour lutter contre les inégalités entre les hommes et les femmes. Il s’agit d’une inégalité majeure dont en découlent de nombreuses autres telles que l’accessibilité à l’emploi, l’inégalité interprofessionnelle ou encore l’inégalité dans le partage du travail domestique. Ce kit prendra la même forme que les précédents et comporterait une vingtaine de films. Initiées avec ce kit Handicaps, des versions audiodécrites et sous-titrées seront disponibles pour cet outil qui s’adressera aux enfants d’écoles primaires.
