Les Enfants des Lumière(s) sous les projecteurs

Les Enfants des Lumière(s) sous les projecteurs

31 mai 2023
Cinéma
Image
Projection du court métrage "Je suis Personne" des élèves du collège Amédée Laplace de Créteil (94) CNC

Le 20 avril 2023, les Enfants des Lumière(s) voyaient leurs courts métrages projetés au Forum des images. Un moment fort pour ces élèves qui ont bénéficié du dispositif d’éducation à l’image du CNC et ont travaillé pendant deux ans sur ce projet.


Il est presque 14h : il y a déjà du monde devant le Forum des images. Au cœur de Paris, trois étages en dessous des Halles, les élèves patientent avec agitation pendant que les derniers préparatifs s’organisent à l’intérieur. On monte un escalier, on suit le parcours indiqué au milieu des couloirs aux allures futuristes du Forum avant de pénétrer dans la salle 500 – la plus grande – tapissée de fauteuils rouges et baignée d’une lumière tamisée.

La première classe arrive. Il s’agit des élèves de 3e du collège République de Bobigny (93). Ils découvrent la salle dans un mélange d’excitation et d’émerveillement puis finissent par gagner leurs places. On retire les manteaux, il est temps de descendre sur la scène pour une photo de groupe. Entrent à leur tour les élèves de Terminale du Lycée des métiers du bâtiment Le Corbusier de Cormeilles-en-Parisis (95). Lucie, l’une des deux seules filles d’une classe de 23 élèves, témoigne de son appréhension : « Je redoute de me voir sur grand écran, et surtout d’entendre ma voix ». Le film qu’elle a réalisé avec sa classe s’appelle Zortie de classe. Elle y joue l’un des rôles principaux. Comme son nom le suggère, il s’agit de l’histoire d’une attaque de zombies pendant une sortie scolaire, tournée dans le Fort de Cormeilles-en-Parisis. Un lieu lugubre, idéal pour leur histoire, qu’ils ont choisi eux-mêmes pendant des repérages menés autour de leur établissement.

J’étais cadreuse, donc si c’est mal filmé c’est ma faute !
Unam, 11 ans

Les CM2 de l’école Planchat du 20e arrondissement de Paris sont eux-aussi arrivés. Unam, 11 ans, est installée à l’avant de la salle avec sa classe. « J’étais cadreuse, donc si c’est mal filmé c’est ma faute ! ». Elle fait partie des plus jeunes de la salle. Sa classe est la seule élémentaire à présenter un film cette année. À côté d’elle, son amie Maria semble plus sereine. Pourtant, elle joue le rôle principal du court métrage Emma et l’invasion des créatures venues du monde du Dessous, l’histoire d’une jeune fille, moquée par ses camarades, et enlevée par des créatures souterraines. Ce film fantastique entre rêve et réalité a demandé un travail important sur les costumes et les décors.

Les élèves de 4e SEGPA du collège Les Grands Champs de Poissy (78) CNC

Toutes les classes sont arrivées, la séance photo est terminée. Les 444 places de la salle obscure sont presque toutes occupées. Les lumières s’éteignent. Des centaines d’yeux émerveillés et intimidés regardent l’écran. Fassliter et la lampe fantôme, réalisé par les élèves de 4e SEGPA du collège Les Grands Champs de Poissy (78), est le premier film projeté. Il raconte la destinée d’un fantôme, M. Fassliter, à la recherche de cinq âmes humaines pour lui permettre de ressusciter. Un court métrage tourné en partie à l’Opéra-Comique. Quelques minutes avant la projection, Tony, 14 ans, manifestait son inquiétude : « J’ai revu le film hier et je suis stressé de le montrer devant autant de gens. La salle est gigantesque ! ».

Un accompagnement personnalisé

Développé en 2015 par le CNC, le dispositif d’éducation à l’image des Enfants des Lumière(s) permet chaque année à dix classes (écoles, collèges et lycées) des Académies de Paris, Créteil et Versailles d’appréhender les métiers du cinéma. Pendant deux ans, les élèves – accompagnés de leurs professeurs et de professionnels de l’audiovisuel – visionnent des films, étudient l’histoire du septième art et travaillent sur la réalisation d’un court métrage de dix minutes. L’objectif est de solliciter tous les professeurs d’une classe pour proposer un enseignement pluridisciplinaire et faire travailler les élèves différemment en intégrant le cinéma dans chaque discipline. Il s’agit aussi de permettre aux élèves en difficulté de trouver leur place et donner un sens aux apprentissages grâce à un travail concret. Une expérience à la fois théorique, pratique et personnalisée puisque chaque classe découvre des films différents. La sélection est adaptée à leur âge et au scénario qu’ils sont en train de travailler.

La première année du dispositif est dédiée à une initiation au cinéma sous forme d’ateliers encadrés par les enseignants participants. Alexis, 11 ans, élève de l’école Planchat du 20e arrondissement de Paris, confie avoir « appris beaucoup de choses. Non seulement à faire un film mais aussi à découvrir l’histoire du cinéma ». Ils participent également à des ateliers avec le réalisateur ou la réalisatrice qui intervient dans le projet. Par la suite, ils commencent à travailler sur le film qu’ils devront réaliser lors de la deuxième année. D’abord le pitch, le moodboard, puis les premières versions du scénario. Vient ensuite le tournage où chacun peut découvrir la diversité des métiers du cinéma et choisir le rôle qui lui convient le mieux (son, caméra, acting…).

L’aboutissement de deux ans de travail

Le dispositif des Enfants des Lumière(s) permet aussi aux enseignants de repenser leur pédagogie et de l’adapter à des élèves parfois en difficulté. Fabienne Berthe de Pommery, coordinatrice REP+ et coordinatrice du projet a constaté de nets progrès chez les 4e SEGPA du collège Les Grands Champs. « Avant cette expérience, cette classe connaissait des difficultés de cohésion, de comportement, mais aussi un niveau de lecture très faible pour certains. L’écriture du scénario a permis de travailler des compétences linguistiques, mais aussi culturelles et sociales. Les élèves ont eu accès à des œuvres cinématographiques, littéraires… Ce travail leur a ouvert le champ des possibles ».

Le projet des Enfants des Lumière(s) était une première pour Margaux Bennini, réalisatrice d’Emma et l’invasion des créatures venues du monde du Dessous. Son défi était de trouver le bon équilibre. Il fallait jongler entre les contraintes d’un tournage et celles d’une école primaire. Elle a su adapter sa pédagogie au fil des ateliers pour orienter les élèves dans l’écriture et tenter de cadrer leur imagination sans limites. « Je participerais à nouveau sans hésiter à ce dispositif, mais je prendrais plus de temps pour leur expliquer le fonctionnement d’un tournage. Par exemple, ils ne comprenaient pas pourquoi on répétait les prises. Ils pensaient qu’une seule suffisait ».

Daphné Bruneau, Directrice adjointe des Politiques Territoriales du CNC s’adressant aux élèves CNC

Et après ?

En 2015, année de création des Enfants des Lumière(s), seulement trois classes participaient au programme contre dix aujourd’hui (cinq en première année et cinq en deuxième). À l’époque, l’accompagnement était moins personnalisé. Le dispositif s’ajuste et se perfectionne d’année en année pour s’adapter à chaque classe. L’objectif est de pérenniser l’action dans les établissements par le biais de ciné-clubs, de sorties au cinéma ou encore d’analyses d’extraits. Il s’agit aussi de donner aux élèves l’envie de se rendre au cinéma par eux-mêmes. D’où la mise en place d’une collaboration avec les cinémas de proximité dans lesquels les élèves se rendent pendant les deux ans. Une façon de créer une habitude culturelle et un sentiment de légitimité à y retourner.

J’aime quand il y a une caméra […] tu peux libérer toutes tes émotions.
Tony, 15 ans
 

Des élèves choisissent d’ailleurs de poursuivre dans le cinéma. Certains rejoignent des filières audiovisuelles au lycée, d’autres s’orientent vers des écoles de théâtre ou de cinéma après le Baccalauréat. À 15 ans, Tony du collège Les Grands Champs l’envisage. Il souhaite devenir acteur : « J’aime quand il y a une caméra, ça sort de la vie réelle. Tu peux libérer toutes tes émotions ». Son camarade Alexandre, qui incarne le rôle principal de M. Fassliter, approuve. Au début, il avait du mal à se laisser aller devant la caméra, pourtant il crève l’écran. Devant lui, Nathan confirme : « Tu as du talent toi, Alexandre ! ».

Vivement l’année prochaine !

La projection terminée, les lumières se rallument et laissent apparaître les sourires des cinéastes en herbe. Le public applaudit avec entrain pour féliciter le résultat digne de professionnels. Au fond de la salle, cinq autres classes en première année du dispositif ont suivi la projection avec grande attention. L’année prochaine, leurs noms feront partie des génériques qui défilent sur le grand écran. Mais il reste du travail : un scénario à peaufiner, un film à tourner et toute la postproduction à suivre de près !