Michael Lonsdale, mort d’une âme secrète

Michael Lonsdale, mort d’une âme secrète

22 septembre 2020
Cinéma
Michael Lonsdale
Michael Lonsdale Collections de la Cinémathèque francaise
L’acteur à la voix si particulière et aux manières si douces s’est éteint à l’âge de 89 ans. Homme de radio, de télévision, de théâtre et de cinéma, il a joué pour François Truffaut, Jean Eustache, Marguerite Duras, Fred Zinnemann, Jean-Pierre Mocky, Luis Buñuel, Xavier Beauvois ou Steven Spielberg. Michael Lonsdale aura varié les plaisirs du jeu sans jamais se départir de sa grâce souveraine. Portrait.

Michael Lonsdale aimait raconter son enfance ballotée entre la France, l’Angleterre et le Maroc alors que la Seconde Guerre mondiale faisait rage. Le futur comédien était obligé de s’inventer des mondes pour ne pas sombrer. Ce passé dont il ne tirait aucune fierté particulière sinon celle d’en avoir « fait quelque chose », il le portait en lui comme un trésor intime. Il expliquait aussi que l’école ne l’avait jamais beaucoup intéressé et que les livres, le théâtre, la poésie ou la peinture étaient venus plus tard. Qu’au départ, « jouer », c’est-à-dire « s’amuser », suffisait alors. Être comédien était une solution pratique pour devenir quelqu’un d’autre. Au micro de Laure Adler pour l’émission Hors-champs qui accompagnait en 2011 l’incroyable succès du film Des hommes et des dieux de Xavier Beauvois (et qui lui valut son seul et unique César), Michael Lonsdale expliquait de sa voix magnifiquement traînante : « Au début, je voulais devenir archéologue, ambassadeur, des beaux métiers comme ça ! » L’animatrice lui rétorque alors que « vice-consul pour Marguerite Duras, ce n’était déjà pas si mal ! », en référence à l’un des rôles-clefs de sa carrière au cinéma dans India Song en 1975. « C’est vrai ! », ponctuait-il avec ce falsetto malicieux qu’il savait placer à la fin de chacune de ses phrases. Lonsdale jouait à être ces autres « qu’on ne sera jamais ». Il jouait pour être un autre forcément plus grand, plus fort, plus important. Mais il jouait aussi, paradoxalement, pour valider sa propre existence.

Enfant du scandale

Michael Lonsdale, né Crouch, est un enfant adultérin. Sa mère, issue d’une grande famille bourgeoise française, est tombée follement amoureuse d’un militaire britannique croisé par hasard qui lui fera quitter son mari. Le futur comédien est le fruit de cette union. Scandale dans la famille française. Le grand-père maternel qui subvient aux besoins de la famille, impose un exil sur l’île de Jersey pour cacher l’enfant du « péché ». Michael Lonsdale expliquera que son avenir s’est sûrement scellé à ce moment-là. « On m'a caché pendant longtemps, c'était la honte de la famille, confiait-il toujours en 2011 dans les colonnes de L’Express. Comme les enfants ressentent tout, il est possible que j'aie voulu montrer depuis, que j'existais malgré tout. J'ai besoin d'être sous le soleil, d'attirer l'attention pour compenser le fait que je n'y ai pas eu droit dans mon enfance. »  L’autre pilier de sa vie sera la foi catholique. Lui qui à 20 ans a décidé de se faire baptiser, a toujours fait figure de grand sage, capable de supporter les fracas du monde avec une dignité exemplaire. C’est en cela que sa prestation dans Des hommes et des dieux, inspiré de l’assassinat des moines de Tibhirine, avait ce supplément d’âme que seul quelqu’un « d’habité » pouvait insuffler.

Rigueur morale et libertés

Si cet attachement religieux imposait à l’homme une rigueur morale exemplaire, cela n’a pas empêché le comédien d’accompagner les avant-gardes les plus radicales, de tutoyer l’absurde et de flirter avec la provocation aux côtés de Luis Buñuel (Le fantôme de la liberté), d’Alain Robbe-Grillet (Glissements progressifs du plaisir) ou de Jean Eustache. Dans Une sale histoire, réalisé par l’auteur de La maman et la putain en 1977, il joue ainsi un homme confortablement installé dans un canapé, qui parvient à captiver une audience de plus en plus nombreuse en racontant son passé de voyeur. Lonsdale, dans la peau de ce dandy, séduit autant par sa façon de poser sa voix avec autorité que par ses manières raffinées qui semblent en contradiction avec les actes décrits. Cette apparente dualité, où l’ironie pouvait rejoindre la tristesse, où la retenue est ponctuée de sautes d’humeur mémorables, rendait son jeu imprévisible. Dans Baisers volés de François Truffaut, il était le sinistre Monsieur Tabard, propriétaire d’une usine de chaussures. Sur un ton calme et magnifiquement pondéré, son personnage affirmait : « Personne ne m’aime et j’aimerais savoir pourquoi ? Je sens bien que je suis détesté mais je ne sais pas par qui. C’est dans l’air, quand je sors en public, au restaurant, au cinéma... Ma femme rit tout le temps sauf quand je raconte quelque chose de drôle. » Mais la grande force de ce comédien hors normes, c’est sa liberté. Michael Lonsdale n’a jamais appartenu à aucune école et si, au théâtre comme au cinéma, son parcours est marqué par les révolutions historiques à partir des années soixante (Beckett, Duras, Sarraute...), sa filmographie alterne tous les plaisirs du jeu et ressemble à une maison joyeuse où tout le monde aurait sa place : Gérard Oury, Michel Deville, Orson Welles, Fred Zinnemann, Jean-Pierre Mocky, Louis Malle, Marguerite Duras, James Ivory, Claude Sautet, Josiane Balasko ou John Frankenheimer. L’homme, qui avait la double nationalité franco-anglaise, était bilingue et il aura même flirté avec Hollywood le temps d’un James Bond, Moonraker (Lewis Gilbert) ou du Munich de Steven Spielberg.

Un recueillement

Pour comprendre cette insatiable curiosité, il faut revenir une fois encore sur les rives de l’enfance et à une rencontre décisive. Marcel Arland, pilier de le NRF, est son oncle. C’est lui qui lui donne à lire les classiques (Stendhal, Chateaubriand...), l’ouvre au monde de la culture. « C’est lui qui m’a instruit ! » explique-t-il à Laure Adler. C’est de ce moment-là que date sa soif de tout apprendre et c’est ce qui lui permettra d’oser se lancer dans la vie d’artiste. Il prendra des cours d’art dramatique auprès de Tania Balachova et perfectionnera dans son coin ses talents de peintre. A 20 ans, Michael Lonsdale apprend la mort d’André Gide. Il se rend le plus naturellement du monde au domicile parisien de Théo van Rysselberghe où repose le corps de l’auteur des Nourritures Terrestres. Il en sortira submergé par l’émotion et en larmes. Cette anecdote illustre au fond la profondeur et l’humilité de cet homme discret, qui, une fois le rideau baissé, aimait s’échapper. La vie avait pour lui tout d’un recueillement. La mort ne lui faisait pas peur. Michael Lonsdale est resté éternellement ce jeune homme intrépide, hypersensible et passionné, guidé par les aventures humaines, toujours humble face à la grandeur des choses.