Philippe Lombard : « La langue d’Audiard est inventée »

Philippe Lombard : « La langue d’Audiard est inventée »

28 juillet 2020
Cinéma
Jean Gabin et Michel Vitold dans Maigret et l'affaire Saint-Fiacre de Jean Delannoy
Jean Gabin et Michel Vitold dans Maigret et l'affaire Saint-Fiacre de Jean Delannoy Filmsonor - Titanus - DR - T.C.D
Avec Sous la casquette de Michel Audiard, le journaliste et auteur de nombreux livres sur le cinéma Philippe Lombard tente de percer le secret de ses grandes répliques. Il partage avec le CNC les sources d’inspiration du dialoguiste, disparu voilà 35 ans, le 28 juillet 1985.

Parmi les premières inspirations que vous citez pour les dialogues d’Audiard, il y a sa vie. Etonnant de la part d’un homme qui a souvent écrit des histoires de flics ou de voyous…

Philippe Lombart DR

Philippe Lombard : En étudiant sa vie, je me suis rendu compte que Michel Audiard se dévoilait beaucoup plus qu’on ne le pense. Quand, à un moment donné, dans Maigret et l’Affaire Saint-Fiacre on voit Maigret qui retourne sur les lieux de son enfance et parle de son premier vélo à la vieille baronne qu’il a connue quand il était jeune, ce n’est pas du Simenon, ce n’est pas l’enfance de Maigret mais la sienne. L’Incorrigible qu’interprète Jean-Paul Belmondo, c’est lui. Audiard était un grand menteur. Tous les gens qui ont coécrit des scénarios avec lui, de Jean Herman (Jean Vautrin ndlr) à France Roche, le voyaient mener en bateau tout le monde. Il inventait des histoires abracadabrantes pour justifier ses retards dans le rendu des scénarios.

Etait-il souvent à l’origine des sujets de film ?

Il aimait choisir un livre – pas forcément bien écrit- dans lequel une ou deux idées lui plaisaient. Il en achetait même parfois lui-même les droits. Puis, il imaginait un acteur ou une actrice dans le rôle et proposait le package à un producteur. Souvent, il ne restait pas grand-chose du livre adapté. De Tendre poulet, par exemple, il n’a gardé que la femme commissaire et le tueur au poinçon.

Une des références récurrentes dans ses scénarios était la Deuxième Guerre mondiale. Il a ainsi souvent glissé ça ou là des échos sur l’Occupation, même dans des films qui n’ont aucun rapport. Pour quelle raison ?

C’est une période qui l’a beaucoup marqué. Dans les interviews, il a souvent répété que la France est le pays où on a le plus dénoncé en Europe. Dans Carambolages, une comédie assez anodine produite par la Gaumont, il fait apparaître un personnage de flic joué par Michel Serrault qui se présente comme un ancien collabo de la rue Lauriston. Cela arrive un peu comme un cheveu sur la soupe. Dans Garde à vue, un polar contemporain, il évoque les lettres de délation. En même temps, cette haine de la collaboration a été mise à mal quand on a révélé qu’il avait écrit pendant la guerre pour un journal collaborationniste et ouvertement antisémite. Son petit-fils explique qu’il l’a fait par opportunisme afin d’avoir la possibilité d’écrire, plus que par conviction.

Contrairement à l’image qu’on en a, la langue d’Audiard est très fournie en références littéraires et peu en mots d’argot… Grâce à vous, on apprend même que la célèbre réplique « Les cons ça ose tout, c’est même à ça qu’on les reconnait » est inspirée de Saint Thomas d’Aquin.

Audiard était un passionné de littérature. Il vient d’un milieu où, a priori, on ne lit pas mais le hasard le fait tomber sur Proust et Céline et la passion naît. On pense souvent à tort qu’Audiard c’est du langage populaire, de l’argot. Mais personne ne parlait comme il fait parler ses personnages. Aucun flic, aucun plombier, aucun truand ne parlait une langue aussi fleurie, aussi riche. Il fait citer du Apollinaire à Jean Gabin dans Un singe en hiver Elle s’était mise sur la paille/ Pour un maquereau roux et rose… »), du Rimbaud à Philippe Noiret dans On a volé la cuisse de Jupiter (« Mon auberge était à la Grande Ourse/ Mes étoiles au ciel avaient un doux frou-frou. ») Quand on s’intéresse vraiment à Audiard, on se rend compte que ce côté prolo à casquette était une façade, un peu comme Gabin qui faisait croire qu’il ne lisait que la page des sports et Paris-Turf. La littérature les portait. Le grand projet d’Audiard, c’était d’adapter Voyage au bout de la nuit de Louis-Ferdinand Céline. Et ainsi rendre hommage à celui qui lui avait donné envie d’écrire.

L’acteur qui jouait son texte changeait-il son écriture ?

Tout à fait. Il n’écrivait pas pour Jean-Paul Belmondo comme il écrivait pour Alain Delon. Si jamais le casting changeait, il réécrivait. Les acteurs étaient en plus des gens qu’il fréquentait en dehors des films et il connaissait très bien leur manière de s’exprimer. Après, on a souvent dit que la langue d’Audiard enfermait ses acteurs dans une façon de parler. Mais cela n’a pas empêché Gabin de jouer des rôles très différents bien qu’écrits pour lui. Entre le président du Conseil du Président et le clochard dans Archimède, le clochard, il y a un monde ! Michel Audiard revendiquait aussi reprendre certaines expressions de Jean Gabin ou Bernard Blier qui avaient un langage riche et fleuri pour les insérer dans ses scénarios. C’est ainsi par exemple qu’il a écrit sur mesure pour Blier la tirade des Tontons Flingueurs « éparpillés façon puzzle ».

L’observation de ses contemporains lui a aussi inspiré quelques trouvailles. Est-ce vrai qu’il a piqué la réplique « Quand on mettra les cons sur orbite, t’as pas fini de tourner » à un chauffeur de taxi ?

Audiard avait coutume de dire : « Je ne prends jamais un taxi sans parler au chauffeur ». Quand il écrivait dans sa maison de Dourdan, il revenait souvent à Paris pour écouter les discussions dans les bistrots. Il disait que pour être un bon dialoguiste, il fallait être un voleur. Cependant, il y a un peu de légende dans l’histoire de cette réplique du Pacha que vous évoquez. Michel Audiard empruntait et puis il modifiait. C’est sa patte qui a rendu cultes ces répliques de la rue. Il prenait par exemple soin de ne jamais adapter le langage au milieu de ses personnages. Audiard n’a jamais fait parler les bandits comme des bandits, ni les caissières comme des caissières. Il disait d’ailleurs souvent que personne ne parlait sa langue, elle était inventée.

Sous la casquette de Michel Audiard. Le secret de ses grandes répliques, de Philippe Lombard Editions Dunod. 2020.