Comment "Chien Pourri" est devenu une série d’animation

Comment "Chien Pourri" est devenu une série d’animation

06 novembre 2020
Séries et TV
Chien pourri réalisé par Davy Durand, Vincent Patar et Stéphane Aubier
"Chien pourri" réalisé par Davy Durand, Vincent Patar et Stéphane Aubier Folivari - Dandelooo - Panique - Pikkukala - Shelterprod - Corporació Catalana de Mitjans Audiovisuals, SA - RTBF (télévision belge)
Aussi sale et naïf que gentil, Chien Pourri est un héros littéraire imaginé par Colas Gutman (textes) et Marc Boutavant (illustrations). De cette série de livres jeunesse éditée par L’École des Loisirs, Jean Regnaud a fait – avec Vincent Patar et Stéphane Aubier –, une série d’animation diffusée sur France 3, Okoo et France.tv. Il décrypte pour le CNC le processus d’adaptation.

Qui a eu l’idée de transposer Chien pourri à l’écran ?

Je pense que ce sont les producteurs de Dandelooo, et notamment Emmanuele Petry Sirvin, qui ont initié le projet, même si tout le monde y pensait avant. Les auteurs avaient eux aussi le désir de voir leur petit chien s’animer, ça leur tenait vraiment à cœur.

Quelle a été la réaction de France Télévisions face à ce « chien pourri » ?

Que le héros soit sale n’a pas été un problème, les enfants adorent ça et ce type de personnage a toujours marché à la télévision. Mais il a fallu convaincre la chaîne que la sorte de « méchanceté littéraire » importante et essentielle dans les livres deviendrait à l’écran de la naïveté, ce qui était un gros atout.

Les personnages naïfs sont les meilleurs héros des séries télévisées. Bob l’éponge, Les Simpson… Ces personnages sont, en général, dans leur monde, ils ont leur propre logique interne dysfonctionnelle sans pour autant être bêtes.

Chien Pourri a également un copain plus futé que lui, Chaplapla, ce qui permet de faire avancer les histoires. La seule bascule que nous avons faite est classique pour une adaptation : dans les livres tout est permis, il est possible de créer autant de décors que l’on souhaite, de se balader dans tous les pays du monde… Il faut restreindre ce périmètre dans une série animée, car ce n’est pas financièrement envisageable.

Est-ce la raison pour laquelle vous avez ancré Chien Pourri à Paris ?

Effectivement. Il y a certains éléments un peu obscurs dans les livres – et c’est tout le talent de Colas Gutman de ne pas les avoir clarifiés – comme le rôle qu’ont les humains ou la ville dans laquelle vit Chien Pourri. Dans un épisode, il se rend à Paris, nous avons donc décidé d’en faire le décor de la série animée. Nous avons choisi de l’installer dans une impasse du 16e arrondissement, avec des chiens très riches qui habitent juste au-dessus de chez lui. La tour Eiffel, la Seine : Paris est un décor que tout le monde connaît, il était donc facile à manipuler. Nous avons également ajouté des personnages – des adversaires, des rats – et avons fait vivre Chien Pourri à côté d’une pizzeria pour qu’il ait des croûtes de pizza à volonté.

Les intrigues de la série ne sont pas les mêmes que celles des livres. Comment s’est passée l’adaptation ?

Nous avons redéfini l’univers de Chien Pourri en le cloisonnant, d’où le décor parisien. Nous nous sommes posé plusieurs questions : « Où habite-t-il géographiquement ? », « Qui sont ses voisins ? », « Quels sont les personnages principaux ? » Dans une série animée, le temps laissé pour installer une histoire est très court : les héros et les adversaires doivent donc être reconnus rapidement par les enfants. Certaines aventures de la série ressemblent à celles des livres et d’autres sont totalement différentes. Nous avons par exemple un épisode « Chien Pourri amoureux » dans lequel il ne se passe pas la même chose que dans le livre. Nous avons aussi imaginé une histoire de poubelle à remonter le temps différente de celle que Colas Gutman vient de publier.

Avez-vous d’ailleurs collaboré avec Colas Gutman pour adapter ses livres ?

J’ai fait des pieds et des mains pendant un an pour que Colas collabore avec moi. Mais il avait peur que travailler sur la série casse son ressort littéraire. Il a longuement hésité avant de refuser et il nous a laissés faire. Je lui ai dit : « Si ça ne te plaît pas, ce n’est pas grave, tu me feras un procès. » (Rires). Il aime certaines choses de la série, d’autres moins. Mais je pense que ce qui lui plaît avant tout, c’est d’entendre les enfants rire. Son univers a été codifié mais son héros, lui, n’a pas changé.

Chien pourri réalisé par Davy Durand, Vincent Patar et Stéphane Aubier Folivari/Dandelooo/Panique/Pikkukala/Shelterprod/Corporació Catalana de Mitjans Audioviuals, SA/RTBF

 

Aviez-vous une ligne rouge à ne pas franchir ?

Nous nous sommes tout permis dans le respect des contraintes liées au média télévision. Il y a en effet beaucoup de choses interdites, notamment lorsque les héros sont des enfants. Si un jeune garçon fait du vélo, par exemple, il faut lui mettre un casque, car il faut faire attention à la reproductibilité des actions. Pour Chien Pourri c’était plus facile : faire sauter un animal du haut d’une gouttière ne pose pas de souci alors que ça aurait été impossible avec un personnage humain.

Vous avez commencé l’adaptation avant d’être rejoint par les scénaristes et réalisateurs Stéphane Aubier et Vincent Patar. Qu’a changé pour vous cette arrivée ?

Ils ont rejoint le projet très tôt, j’avais seulement posé des éléments de la bible littéraire. Je n’aurai pas réussi, seul, à adapter Chien Pourri. Ils ont amené une folie belge et une énergie qui étaient essentielles. Leur arrivée a permis aux personnages de vraiment sortir des livres. Mes scénarios sont des phrases imagées, mais ça reste des phrases. Eux dessinent. Dès qu’une idée se présente, ils prennent leurs crayons et on se rend compte rapidement de la faisabilité, ce qui permet de gagner un temps fou. Nous nous sommes complétés et avons travaillé main dans la main avec Jean-Louis Momus, le directeur d’écriture qui tenait le gouvernail de l’adaptation.

De nombreuses séries animées sont adaptées de livres. Pourquoi y a-t-il un tel intérêt pour ce type de projets ?

En France, une grande partie des séries animées sont des adaptations, ce qui pour moi est une erreur. À mon sens, il est plus facile, si on veut vraiment faire quelque chose qui fonctionne très bien, de créer spécialement pour l’animation. Nous avons adapté Chien Pourri pour qu’il entre dans une case animation. Mais les auteurs sont parfois frileux à l’idée que leur création subisse de nombreux changements. On adapte des livres parce qu’ils ont du succès, mais on se retrouve parfois avec des séries qui ne marchent pas tant qu’on ne fait pas vivre autrement des éléments du matériel originel. En général, il faut s’éloigner du livre pour que ça marche. Dans un ouvrage, les dialogues et jeux de mots sont amusants mais à l’écran les dialogues sont là avant tout pour faire avancer l’histoire alors que l’animation, elle, est essentielle. Les ressorts de comédie et la durée ne sont pas les mêmes. Créer entièrement une série est donc plus simple pour moi, mais ça demande du temps et souvent les producteurs n’en ont pas. Ils préfèrent donc utiliser des choses déjà testées et qui ont eu du succès. Pour réussir à passer du livre à la série, le héros doit être puissant. Ce qui était le cas de Chien Pourri. C’est pour ça que nous avons accepté cette adaptation, même si nous savions que le travail serait long. Ce chien est génial, nous l’adorons. Le dessin de Marc Boutavant n’y est pas pour rien.