« La Promesse » : Le compagnonnage de deux scénaristes

« La Promesse » : Le compagnonnage de deux scénaristes

25 janvier 2021
Séries et TV
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La Promesse
"La Promesse" Marie Etchegoyen - SORTILEGES PRODUCTIONS - TF1 - LES GENS - RTBF (Télévision Belge)

Anne Landois, scénariste réputée et showrunner de plusieurs saisons d’Engrenages, a fait appel à Gaëlle Bellan – qui a travaillé sur la saison 6 d’Engrenages – pour écrire La Promesse, minisérie policière diffusée sur TF1, et également disponible sur Salto. Elles nous racontent leur parcours et leur compagnonnage.


Revenons à l’origine de votre rencontre avec Engrenages. Pensiez-vous que cette série allait modifier le paysage audiovisuel français ?

Anne Landois : Oui, je l’ai senti. J’ai commencé ma carrière sur M6 où régnait une grande liberté car la chaîne lançait de jeunes auteurs et réalisateurs. Mais avec l’arrivée de Loft Story en 2001, la fiction s’est tarie. On me demandait alors des intrigues spectaculaires au détriment de la crédibilité de l’histoire ou des procédures. À l’inverse, Engrenages était une série réaliste.

Gaëlle Bellan : Oui, Engrenages sortait des sentiers battus. Il y avait une vraie proposition sérielle, ce qui manquait en France à l’époque, car on avait plutôt l’habitude des séries bouclées [dont l’intrigue se résout sur un épisode, NDLR] alors même que le feuilleton est dans notre tradition littéraire.

AL : Quand on m’a demandé de travailler sur la troisième saison d’Engrenages, je me suis dit que c’était vraiment ainsi que je concevais mon métier : avec beaucoup de recherches, un travail de documentation intense, des rencontres avec des experts… Thierry Depambour dirigeait l’écriture et accompagnait les auteurs. J’ai écrit les arches, puis les synopsis détaillés avec un commissaire de police qui apportait beaucoup d’histoires et de profondeur aux personnages. Cette configuration s’est reproduite pour la saison 4 et, à partir de la saison 5, j’ai pris les rênes de l’écriture, de la direction littéraire et de la direction artistique.

La saison 5 d’Engrenages a reçu l’International Emmy Award de la meilleure série dramatique en 2015.

AL : C’était une sacrée récompense parce qu’on venait de changer toutes nos méthodes de travail. C’était le couronnement d’une révolution à la fois dans l’organisation de l’écriture et sur les personnages. C’est la saison qui met le plus en avant les deux personnages féminins, Laure Berthaud [Caroline Proust, NDLR] et Joséphine Karlsson [Audrey Fleurot, NDLR]. En fait, Engrenages est devenue une série sur les femmes, à partir de la saison 5. Il y avait d’ailleurs plusieurs scénaristes femmes dans l’équipe.

GB : Je me souviens de ton discours de remerciement. C’était juste après les attentats de novembre 2015. Tu avais rendu hommage au travail quotidien des policiers.

Être une femme scénariste, ça change quelque chose ?

AL : Le métier est très féminin, mais il y a peu de femmes dans le polar. J’ai souvent eu des réflexions du style : « Comment une femme peut-elle écrire des trucs aussi glauques ? » Comme si c’était totalement incompatible ! J’ai beaucoup été interrogée sur ma féminité. Je pense que c’est en mettant des femmes en valeur dans les fictions qu’on peut faire bouger la société et montrer que les femmes ont toute leur place dans des catégories qu’on pense réservées aux hommes.

Vous avez commencé à travailler ensemble sur la saison 6…

AL : Il se trouve que Gaëlle, tout juste diplômée du CEEA [Conservatoire européen d’écriture audiovisuelle, NDLR] a choisi d’intégrer la même agence que moi, celle de Catherine Winckelmuller, qui nous a mises en contact. Ce qui m’a plu chez Gaëlle, c’est d’abord son tempérament. Elle est très heureuse, chaleureuse, souriante. Elle m’a aussi beaucoup parlé de son expérience comme juré en procès d’assises, car elle avait été confrontée en tant que citoyenne à la difficulté de juger un homme, à devoir prendre cette responsabilité.

GB : La particularité d’Engrenages est de se servir des spécificités du système judiciaire français au lieu de singer les séries américaines, comme la plupart des autres séries françaises. J’étais donc ravie qu’Anne me donne ma chance.

AL : Gaëlle a écrit deux épisodes de la saison 6. J’aime travailler avec les jeunes auteurs parce que c’est une génération qui a d’autres choses à dire et une vision différente de l’écriture scénaristique. J’ai aussi trouvé en Gaëlle une jeune femme à l’aise avec le polar.

GB : J’étais une consommatrice de romans policiers, mais je n’avais pas eu d’appétence particulière pour l’écriture de polars pendant ma formation. J’avais même soigneusement évité le genre. Il se trouve que mon premier boulot – une série sur la BAC, dix ans avant Les Misérables, qui n’a finalement pas vu le jour – a été une véritable épiphanie. J’ai été moi-même surprise par cette expérience. Ça m’a donné envie de cultiver ce goût pour la série policière.

C’est important pour vous la transmission ?

GB : Je peux considérer Anne comme un mentor.

J’ai eu la chance de rencontrer des personnalités fortes qui m’ont mis le pied à l’étrier et m’ont formée. Je trouve ce système de compagnonnage très vertueux. Pour moi, le métier de scénariste est un artisanat

AL : Oui, j’interviens régulièrement auprès des étudiants de la Fémis, du CEEA. J’aime faire appel à de jeunes diplômés comme Laurent Mercier (sorti du CEEA) ou Thomas Finkielkraut (issu de la Fémis) dans mon équipe.

GB : J’ai appris énormément au contact d’Anne et des autres auteurs. Elle est très précise, très méticuleuse. Elle est incollable en faits divers. Elle insiste beaucoup sur le travail avec les consultants qui sont une source intarissable d’anecdotes. Tout est relu, décortiqué. C’était une expérience incroyable.

AL : La transmission n’est pas qu’une histoire de génération, c’est un état d’esprit. Je fais partie du comité éditorial de Série Series, le festival des séries européennes, qui se déroule à Fontainebleau. On échange sur nos méthodes de travail. L’accent est mis sur les équipes et la fabrication, nous mettons en relation des talents européens. Pendant l’année, le festival poursuit des actions de formation à destination des jeunes pour les encourager à se décomplexer par rapport à l’écriture. J’interviens dans des lycées, notamment dans des lycées professionnels, pour les encourager à franchir le pas. J’ai aussi été consultante sur le rapport de la mission Sullivan qui a dressé un état des lieux de l’apprentissage de l’écriture.

 

Comment est née La Promesse ?

AL : Après la saison 6, j’avais décidé d’arrêter Engrenages parce que cela faisait plus de dix ans que je travaillais sur la série. J’ai créé une société avec le producteur Vassili Clert, Sortilèges Production.

La Promesse était une idée qui me trottait dans la tête depuis un petit moment parce que je voulais traiter de la frustration des flics sur les enquêtes qui n’aboutissent pas. J’ai eu envie de travailler sur l’échec.

J’ai envisagé la série avec cette idée de double temporalité : les disparitions de petites filles, un flic qui échoue, sa fille qui reprend l’enquête vingt ans plus tard, une famille brisée… Mon pitch a immédiatement plu à TF1. Entre le moment où on a développé le projet avec Gaëlle et la fin de l’écriture, il s’est passé deux ans.

GB : C’était très enthousiasmant. Sur Engrenages, j’avais une expérience de scénariste au sein d’une équipe, de « staff writer » comme on dit aux États-Unis. Là, c’était un travail un peu plus en autarcie avec Anne pendant plusieurs mois – comme dans une bulle – où on échangeait des coupures de presse sur des faits divers, des recommandations de lecture. C’était un vrai laboratoire.

Comment avez-vous construit la série ?

AL : Le point de départ, c’est la disparition de la petite Charlotte Meyer, une tragédie qui va éclabousser toute une communauté, anéantir sa famille et détruire Pierre Castaing [Olivier Marchal, NDLR], le flic qui enquête sur cette affaire. Ma source d’inspiration était This is Us. J’ai été complètement bluffée par le premier épisode de cette série où on joue sur une double temporalité sans qu’on sache vraiment avec qui et dans quelle époque on est, jusqu’à la toute fin de l’épisode. Ça m’a décomplexée. Souvent, quand il y a des choses que je trouve assez audacieuses dans les scénarios de mes confrères européens ou américains, ça m’aide beaucoup. Avec La Promesse, j’ai aussi voulu rompre avec l’aspect ultra-réaliste et très urbain d’Engrenages et aller vers un récit introspectif et intimiste en lien avec la nature. Il me tenait à cœur de démarrer l’intrigue lors de la tempête de 1999 pour que le déchaînement de la violence soit concomitant avec celui de la nature.

GB : La Promesse, c’est aussi l’histoire d’une fille qui rétablit la mémoire de son père. Sarah Castaing [Sofia Essaïdi, NDLR], c’est un peu Antigone.

Qu’est-ce qui a été le plus compliqué à mettre en place ?

AL : La double temporalité, c’est très excitant et en même temps très complexe. Avec Gaëlle, on avait établi deux histoires en parallèle sur de grandes feuilles. On avait marqué tous les événements de l’année 1999, tous les rebondissements et on avait fait pareil pour l’année 2019. Puis on les a entrecroisés. Le secret, c’est de ne jamais créer de moment du passé sans savoir quelle répercussion il pourrait avoir dans le présent, et vice versa. On a vraiment construit cette histoire comme un puzzle en miroir.

GB : En découpant en épisodes notre bloc de glaise qu’était l’histoire de La Promesse, on taillait ce qui était en trop. On a dû mettre de côté des éléments du passé pour plus d’efficacité. Le maillage et le tricotage des deux récits nous ont parfois demandé de tordre des intrigues dans l’autre sens. C’était une gymnastique mentale plaisante. De toute façon, il y a toujours dans l’élaboration d’une série des moments où on a l’impression qu’on ne s’en sortira jamais, on coince sur un truc, on n’arrive pas à surmonter une difficulté. Éric Rochant, avec lequel j’ai collaboré sur Le Bureau des légendes, en parle très bien.

Avez-vous été surprises par le succès d’audience de la série ?

AL : On espérait que ça marche, mais pas à ce point-là ! On a senti qu’il y avait une curiosité pour cette minisérie dès qu’elle a été disponible en avant-première sur Salto, en décembre. Ensuite, dès le lundi qui précédait sa diffusion sur TF1, les demandes d’interviews ont commencé à affluer. C’est vraiment une fierté parce que c’est un travail d’équipe et j’étais ravie de voir que le souci du détail que nous avions mis dans chaque étape portait ses fruits.

GB : Je ne suis pas surprise, en toute modestie ! Le sujet est fort. Le parcours de cette fille qui fait tout pour rétablir la mémoire de son père, c’est quelque chose d’universel. Le casting joue aussi : Sofia Essaïdi et Olivier Marchal sont formidables.

AL : Ce succès d’audience, c’est une belle récompense car on accumulait pas mal de handicaps au départ. D’abord, nous sommes une jeune société – même si Vassili Clert et moi-même avons de l’expérience dans le métier –, ensuite, on avait une intrigue avec une double temporalité, des effets spéciaux, une jeune réalisatrice et, en plus, on a eu la Covid et une interruption du tournage.

Comment avez-vous géré ces aléas liés à la crise sanitaire ?

AL : On avait commencé le tournage début février 2020, on s’est arrêté mi-mars comme tout le monde. On ne savait pas du tout quand on allait pouvoir recommencer à tourner. On s’est demandé si la série allait pouvoir se terminer. On faisait une nouvelle préparation, on revoyait les textes. Après que le déconfinement a été annoncé, on a hésité à attendre l’automne pour être raccord avec l’histoire qui se déroule en hiver. Vassili nous a incités à reprendre immédiatement le tournage. Il a fallu chercher de nouveaux décors, notamment les hôpitaux qui ne pouvaient plus nous accueillir, retrouver des hébergements pour l’équipe en pleine saison estivale. Nos comédiens ont repris le tournage mi-juin jusqu’à mi-août. Dans les Landes, par 40 degrés, ils étaient tous en doudoune ! Ils ont vraiment souffert. Heureusement qu’on avait choisi cette région cependant, parce que les pins ne perdent pas leurs épines… Dans la forêt de Fontainebleau, on aurait été très mal. On a eu de la chance que les scènes principales sur la plage aient été tournées en hiver. Néanmoins, le chef opérateur et l’étalonneur ont fait un boulot hallucinant pour qu’on ne se rende pas compte du changement de lumière. Ça a beaucoup soudé l’équipe autour de Laure de Butler, la réalisatrice qui a embarqué tout le monde dans cette aventure.

Anne, vous avez continué votre collaboration avec Gaëlle Bellan sur une autre série, Coup de froid

AL : Oui, mais malheureusement le projet n’a pas abouti. Il s’agit de l’adaptation d’un polar des années 90, signé Lynda La Plante.

GB : C’était un projet formidable et passionnant avec un personnage féminin comme on en voit peu, mais qui, hélas, n’a pas trouvé de diffuseur. Je crois que le livre est en train d’être adapté par les Américains.

La Promesse
Créée par Anne Landois et Gaëlle Bellan
Réalisé par Laure de Butler
Scénario et dialogues : Gaëlle Bellan, Thomas Finkielkraut, Anne Landois, Simon Jablonka, Laurent Mercier
Production : RTBF, TF, Sortilèges; Les Gens