Agnès Vincent-Deray : « Jacques Deray était un exceptionnel technicien »

Agnès Vincent-Deray : « Jacques Deray était un exceptionnel technicien »

19 août 2018
Cinéma
Jacques Deray, Charlotte Rampling et Michel Serrault sur le tournage du film On ne meurt que deux fois (1985)
Jacques Deray, Charlotte Rampling et Michel Serrault sur le tournage du film On ne meurt que deux fois (1985) Swanie - TF1 Prod - DR - TCD

Agnès Vincent-Deray a partagé pendant plus de 20 ans la vie de Jacques Deray. Pour commémorer les 15 ans de sa disparition, elle lui a consacré un documentaire, Jacques Deray, j’ai connu une belle époque, à découvrir lors du prochain Festival du Film Francophone d’Angoulême. Interrogée par le CNC, la journaliste dresse le portrait de ce cinéaste, fier représentant du polar.


Que souhaitiez-vous montrer avec ce documentaire reprenant le titre de son autobiographie sortie en 2003 ?

Agnès Vincent-Deray : J'ai eu envie de lui rendre hommage et de faire découvrir un homme que peu de gens connaissaient. C'était un metteur en scène reconnu et célèbre, mais c'était un homme différent de l'image qu'on avait de lui.

Quelle différence existait entre son image publique et ce qu'il était en privé ?

Sur les plateaux, il y a, en général, une certaine familiarité entre le metteur en scène et son équipe. Sur les tournages de Jacques Deray, tout le monde l'appelait « Monsieur ». Il était impressionnant. Jacques ne supportait pas un bruit, que quelqu'un ne soit pas attentif à ce qu'il disait, qu'on le tutoie, qu'on soit familier avec lui… Alors que pour moi, c'était un homme simple, gentil. Quand j'ai confié que j'avais rencontré Jacques Deray, tout le monde m'a dit : « Tu ne vas pas rigoler tous les jours ». Et j'ai ri tous les jours pendant 20 ans.

Il a commencé sa carrière comme assistant de réalisateur. C'est cette expérience qui a forgé son style ?

C'était un grand perfectionniste, un exceptionnel technicien alors qu'il n'avait fait aucune école de cinéma. Je crois que l'assistanat lui a beaucoup apporté grâce au talent de ceux avec qui il a travaillé. Quand Jules Dassin a tourné La Loi, Jacques était premier assistant. Je suis allée en Grèce des années plus tard et il m'a dit d'aller embrasser Dassin pour lui. Ce dernier m'a confié : "Ton mari, c'était le plus grand assistant qu'on pouvait avoir. Il était meilleur réalisateur que moi et j'ai beaucoup utilisé ces compétences ». Yves Montand m'en a également beaucoup parlé. Quand ils ont tourné ensemble pour Netchaïev est de retour, il venait diner à la maison tous les soirs et il me disait : « Ton mec, quand je l'ai vu assistant sur le film de Dassin, je savais qu'on se retrouverait et qu'il serait metteur en scène. »

D'où lui venait le grand respect qu'il avait pour les acteurs ?

Avant d'être assistant, il voulait être comédien : il a fait le cours Florent, il préparait le Conservatoire… Jacques raconte dans le documentaire, dans des archives, qu'il s'est rendu compte très vite qu'il préférait être derrière la caméra que devant. Il était groupie, amoureux de ses comédiens. Grâce à ses années de jeune acteur, où il a fait pas mal de figuration, il avait beaucoup de respect pour les petits rôles. Charlotte Rampling témoigne d'une manière extraordinaire en parlant de la façon dont Jacques traitait les comédiens et les techniciens sur le plateau. Elle dit dans le documentaire : « C'est l'un des rares que j'ai vu être comme ça, à traiter avec respect, admiration, amour, tendresse, protection et désir. Ce n'est pas le cas de tous les metteurs en scène... » Jean-Louis Trintignant affirme, par exemple, que « c'est l'un des réalisateurs les plus exquis » avec qui il a tourné.

C'est l'un des maîtres du polar de l'époque. Où trouvait-il son inspiration ?

Des films de série B américains. Certains de ses polars sont comparés à des longs métrages de Capra, d'Hitchcock… Jacques lisait deux à trois romans policiers par jour, tous les jours, pour trouver son inspiration.

S'impliquer dans les adaptations, pour ses films, était très important pour lui. Pourquoi ?

Il le raconte très bien dans le documentaire. Il disait : "Je me vois mal arriver sur un tournage le premier jour, sans avoir au moins travaillé avec l'auteur à l'adaptation et aux dialogues ». Jean-Claude Carrière raconte que le scénario et les dialogues de la Piscine (auxquels il a participé ndlr) ne faisaient que 7 pages. Jacques aimait aussi pouvoir donner libre court à son esprit créatif de réalisation en n'étant pas attaché aux mots.

Il se définissait comme un « raconteur d'histoires »…

C'est un peu réducteur. Il a joué un rôle pour la défense des créateurs et des auteurs, que ce soit au niveau des instances françaises, européennes ou internationales, en luttant pour défendre le droit d'auteur, le droit à l'image, la création. Il s'est beaucoup battu pour que le metteur en scène français ou européen ait le « final cult », pour que l'expression culturelle soit reconnue de la manière la plus large possible… C'est un combat très actuel.

Quel est le film de Jacques Deray que vous appréciez le plus ?

Mon préféré, c'est On ne meurt que deux fois. Je trouve qu'il est d'une sensualité, d'une perversité extraordinaire. Je n'ai jamais été autant troublée et touchée par un film. C'est le dernier scénarisé par Michel Audiard : il est mort avant la sortie. Malheureusement, ce long métrage est très peu connu. Un film comme Symphonie pour un massacre, qui est un polar extraordinaire pour moi, est lui aussi totalement inconnu. Ce sont des films qui ont 50 ans, voire plus, et dont la notoriété a été grande à l'époque. Ils ont eu leur heure de gloire quand ils sont sortis. Bien sûr, on est loin des films qu'on voit aujourd'hui, mais ce sont de formidables polars. Ils font partie de l'histoire du cinéma.

La mise en scène de Symphonie pour un massacre est très sobre et froide…

Jacques était quelqu'un d'assez froid dans son travail. Il avait une rigueur. Sa singularité, ce sont ses travellings, sa manière de rentrer dans une pièce, de tourner et la façon avec laquelle il filmait les femmes. Jacques avait une manière de les mettre en confiance et il leur donnait l'impression d'être la plus grande star de France. Elles adoraient ça.

hommage à Jacques Deray au Festival du Film Francophone d'Angoulême

Organisée du 21 au 26 août 2018, la 11ème édition du Festival du Film Francophone d'Angoulême rendra hommage à Jacques Deray en diffusant trois de ses films : Symphonie pour un massacre, Borsalino et On ne meurt que deux fois. Sera également projeté le documentaire inédit Jacques Deray, j'ai connu une belle époque réalisé par sa femme Agnès Vincent-Deray. Au programme également de l'événement : un hommage au cinéma haïtien, une exposition de Tony Frank rassemblant des clichés de Johnny Hallyday acteur et les avant-premières du Grand bain, de Bonhomme ou encore Des chatouilles.