Antonin Baudry : « Ce que j’aime dans les sons, c’est leur ambiguïté »

Quelle place occupent les effets visuels dans votre travail de réalisateur ?

Il en existe de deux types : ceux qui sont faits dans l’optique qu’on ne les voie pas, et l’inverse. Les premiers ne sont pas toujours les plus amusants à faire, mais sont nécessaires dans de nombreux films : il s’agit de résoudre des problèmes, de supprimer des éléments… Dans le second cas, on crée des choses qui vont au contraire être visibles et participer à la dramaturgie visuelle. Par exemple, dans Le Chant du loup, nous avons créé une explosion sous-marine. Au lieu de reprendre l’imagerie en vigueur et d’en faire une explosion banale, nous avons modélisé les lois de la physique sous l’eau. C’était excitant et stimulant. Les effets visuels sont importants, car ils font partie de la création du film et de son univers.

Ce que je trouve assez délicat, c’est de gérer des images de natures hétérogènes : quand certaines choses sont filmées et d’autres créées pixel par pixel, il faut arriver à recréer une harmonie visuelle.
 

Quand ça se marie mal, le résultat peut être assez terrible ; l’articulation entre effets visuels et le reste est une partie du travail tout aussi importante que la création même de ces effets.

Et les effets sonores ?

Je leur accorde une place extrêmement importante. Je suis très sensible au son. Je crois avoir un petit problème d’hyperacousie : je perçois des sons que la plupart des gens autour de moi ne perçoivent pas.

Quand j’imagine un film, le son vient presque avant l’image : c’est à partir de lui que je vais me dérouler la scène.
 

Les sons qu’on enregistre dans le réel sont très beaux, mais il faut parfois en inventer. Ce travail de création sonore est extraordinaire. C’est un mariage de mille sons juxtaposés qui à la fin créent le bon son, et le chemin pour y arriver est parfois un labyrinthe infini et magnifique.

Auriez-vous un exemple illustrant ce travail de création sonore ?

Oui, par exemple le son des torpilles dans Le Chant du loup. Personne n’a jamais entendu le son d’une torpille sous l’eau. On peut entendre de vagues enregistrements, mais c’est un son moche, qui n’est pas intéressant. Nous voulions qu’il soit beau et fasse peur. Nous avons cherché pendant très longtemps, en travaillant à partir de tous types de sons mais sans résultat. Rien n’était convaincant, d’autant que je voulais un son mi-organique mi-industriel, comme si les sous-marins et les torpilles étaient des êtres vivants. Finalement, quelqu’un dans l’équipe a trouvé, en mélangeant un sifflement de serpent et un rugissement de lion et en les mixant d’une certaine manière. C’étaient mes torpilles, je les ai reconnues tout de suite. Et personne jusqu’ici ne m’a dit que ça ne ressemblait pas à un son de torpille ! Je tenais à ce côté animal. Ce que j’aime dans les sons, c’est leur ambiguïté.

Y a-t-il eu dans votre parcours de cinéphile un film qui vous a marqué pour la qualité de ses effets visuels et/ou sonores ?

Sur le plan du son, mon film culte, que j’adore et revois très régulièrement, est Conversation secrète, de Francis Ford Coppola. C’est un film merveilleux sur l’obsession sonore, sur ce qu’on entend et ce qu’on n’entend pas. Côté visuel, rien ne remplace la magie des tout premiers films des frères Lumière. Je ne me lasse jamais de Sortie d’usine. C’est comme regarder les flammes jaillir des mains qui ont inventé le feu.

 

Qu’est-ce que cela représente pour vous de présider la commission CVS du CNC ?

Je trouve extrêmement important que l’on puisse, en France, faire nos propres films, nos propres images, et traiter de sujets ambitieux avec le plus de moyens de cinéma possible, sans se faire vampiriser par Hollywood. Que l’on puisse ainsi créer nos propres représentations du monde. 

Et cette commission a un rôle important à jouer là-dessus, à deux niveaux. Le premier, c’est d’encourager ceux qui entreprennent des projets ambitieux et innovants sur le plan visuel et sonore. Le deuxième, c’est de consolider les artisanats et les industries que l’on a en France et de les aider à augmenter leurs moyens et leurs savoir-faire. Elles sont déjà très bonnes, mais en termes de quantité d’investissements, on est pas du tout au même niveau, évidemment, que les films américains, car il y a moins de commandes. C’est là où le CNC a un rôle à jouer, pour qu’en France on puisse créer nos propres images. Je pense que c’est un enjeu majeur pour notre société.

 

A quels critères êtes-vous particulièrement attentif lorsque vous étudiez une demande d’aides CVS ?

Tout d’abord, est-ce qu’il y a vraiment une innovation, une recherche d’exigence qui va permettre de produire des types d’images qu’on ne voyait pas jusque-là. Et ensuite, est-ce que cela va permettre aux entreprises d’effets visuels et sonores françaises de perfectionner leur savoir-faire. Avec un piège, selon moi, qui est de céder aux sirènes du sous-Hollywood ; il faut se garder de toute fascination pour des choses qui ressemblent à ce que font les Américains mais en moins bien.

Chaque fois qu’on importe des choses des Etats-Unis, qu’on copie leur imagerie, je suis un peu sceptique. Alors que quand je vois des artistes qui essaient de créer des images en mélangeant diverses techniques qui n’ont auparavant jamais été mélangées, et qui vont grâce à ça faire quelque chose qu’ils n’auraient pas pu faire autrement et que je n’ai jamais vu, je me dis qu’il faut les aider.

Que j’aime ou que je n’aime pas, d’ailleurs : le jugement de goût n’est pas un critère pour nous, il nous arrive de soutenir des projets auxquels esthétiquement on n’adhère pas.  
 

Vous avez participé à plusieurs commissions depuis votre nomination. Que retenez-vous de ces premières expériences ?

La principale, c’est que les débats sont très riches et, chose que je trouve très agréable, qu’on arrive à se convaincre les uns les autres. On ne campe pas sur nos positions. En plus, nous n’avons pas eu de chance, car nous avons commencé juste après le premier confinement ; on ne s’est donc jamais rencontrés en vrai, les commissions ont toujours eu lieu en virtuel, ce qui n’est pas pour faciliter la complicité, les échanges… Malgré ça, les débats sont très sincères et j’ai vu plusieurs fois la commission se retourner suite à la plaidoirie de tel ou tel membre qui est arrivé à nous convaincre. Il y a un vrai débat et on progresse au fil des discussions sur la compréhension de chaque dossier. On passe vraiment du temps sur chaque projet, quelle que soit sa taille et son pedigree.

L’aide CVS

L’aide CVS (aide à la création visuelle ou sonore par l'utilisation des technologies numériques de l'image et du son) accompagne les entreprises de production déléguées qui contribuent au renouvellement de la création visuelle ou sonore en recourant aux technologies numériques de fabrication et de traitement de l’image et du son, lorsque l’utilisation de ces technologies constitue un aspect essentiel de la démarche artistique de création. Les genres suivants sont éligibles : fiction, animation, documentaire, recréation de spectacle vivant. Les formats suivants sont éligibles : long métrage, court métrage, œuvre audiovisuelle et œuvre « Expérience Numérique », pilote de long métrage et de série audiovisuelle. Les informations sur cette aide et sur les démarches à effectuer pour l’obtenir sont disponibles ici.