Cédric Kahn, maître d'oeuvres

Cédric Kahn, maître d'oeuvres

23 janvier 2019
Cinéma
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Cédric Kahn sur le tournage de La Prière
Cédric Kahn sur le tournage de La Prière Carole Bethuel - Les films du Worso - DR

Le cinéaste qui aime aussi faire l’acteur, est le président du Jury longs métrages de la 31ème édition du festival Premiers Plans d’Angers, qui se tient du 25 janvier au 3 février. Portrait.


Cédric Kahn a 26 ans lorsqu’il présente au festival Premiers Plans d’Angers son long métrage, Bar des rails. Nous sommes en 1992, le jeune homme qui a vécu avec ses parents la vie en communauté au milieu des champs et des chèvres dans un élan post-68, envisage alors le monde du cinéma comme un nouveau cercle où il pourra s’exprimer et s’émanciper. Moins libre peut-être de ses mouvements mais bien décidé à rompre les liens (financiers…) qui serrent parfois les poings des réalisateurs débutants.  27 ans plus tard, c’est sûrement ce combat sous-terrain que Cédric Kahn, président du jury longs métrages de cette 31e édition du Festival d’Angers, va observer en découvrant les films des cinéastes en compétition. Ce festival dédié aux premières œuvres européennes prend le pouls de la jeunesse.

Cédric Kahn ne vient pas avec des préceptes du professeur censé prêcher la bonne parole du haut de son vécu, donc de sa filmographie. « On peut avoir fait quinze bons films et ne plus être inspiré, ou, à l'inverse, n'en avoir jamais fait et révéler des choses intéressantes, expliquait-il en 2012 dans les colonnes de StudioCineLive à la sortie de son huitième long métrage Une vie meilleure, avant d’ajouter : À chaque nouveau long métrage, le metteur en scène doit repartir de zéro. »

Une carrière tous azimuths

La saillie n’est pas à prendre à la légère et pourrait même avoir valeur d’axiome pour un cinéaste qui a toujours aimé changer de vitesse, de genre, voire de métier si on observe sa carrière d’acteur qui commence sérieusement à s’étoffer. Kahn a déjà été vu et entendu chez Axelle Ropert (Tirez la langue, mademoiselle), Laurent Tirard (Un homme à la hauteur), Joachim Lafosse (L’Economie du couple) ou plus récemment dans la série Dix pour cent au côté d’Isabelle Huppert. Mais revenons au cinéaste et à sa carrière tous azimuts qui offrent pourtant une belle cohérence. On y voit des explorations tendues et charnelles autour du désir (L’Ennui, Les Regrets), des thrillers incandescents (Roberto Succo, Feux rouges), une irruption ludique dans le fantastique (L’Avion) ou encore des drames sociaux (Une vie meilleure, Vie sauvage, La Prière). Les longs métrages de Kahn tentent d’ausculter la nature humaine lorsque celle-ci est confrontée à des vents plus ou moins contraires. Si le cinéaste change souvent d’horizon c’est sûrement par peur de l’usure et de se retrouver enfermé dans des certitudes de classes vis-à-vis d’un milieu qui aime bien être rassuré dans ses repères. Toujours dans son interview à StudioCineLive, Cédric Kahn confie ici et là: « Le cinéma n'est pas un métier de techniciens, mais d'inspiration » ou encore : « Je pense qu'avec l'expérience, j'ai perdu des choses que j'essaye de regagner, comme la spontanéité. » Dont acte.

L'ombre de Pialat

Le réalisateur reste attaché à la figure de Maurice Pialat dont l’intransigeance continue d’infuser chez beaucoup d’autres cinéastes français qui essaient eux-aussi d’arracher au réel sa vérité brute et parfois brutale. Dans ses années de formation Cédric Kahn s’est ainsi retrouvé assistant monteur de Yann Dedet pour Sous le soleil de Satan. Une expérience forcément fondatrice même si cette adaptation de Bernanos n’a à priori que peu de choses à voir avec la gravité contemporaine que l’on retrouve aujourd’hui dans l’œuvre du cinéaste. Si on regarde d’un peu plus près La Prière son dernier long métrage autour d’un jeune garçon dépendant à la drogue qui essaie de se sevrer en intégrant une communauté religieuse, on retrouve cependant cette même recherche d’absolu et la façon de la représenter à l’écran. Ni le Satan de Pialat ni La Prière de Kahn ne sont des œuvres prosélytes ou exaltées, elles cherchent l’une et l’autre à se confronter à l’indicible et interrogent la puissance et les mécanismes de la foi. Une foi ici ébranlée mais qu’il convient d’embrasser si on veut survivre au chaos. Cédric Kahn croit dur comme fer à la puissance du cinéma et à sa possibilité de mettre en perspective le monde dans lequel on vit. Face aux images en perpétuel mouvement, le bon cinéaste est bien celui qui sait se réapproprier l’espace et le temps pour traduire le vertige de nos existences incertaines. A Angers, comme dans ses films, Cédric Kahn essaiera de capturer l’essence même de ce souffle sans cesse renouvelé.