Cinq salles de cinéma atypiques

Cinq salles de cinéma atypiques

19 septembre 2019
Cinéma
Cinéma Louxor à Paris
Cinéma Louxor à Paris Le Louxor - DR
« Une salle doit être à la mesure du cinéma, du plaisir et du spectacle ». C’est ainsi que Claude Lelouch évoquait la salle de cinéma. Plus qu’un lieu anonyme, un temple. A l’occasion du congrès de la FNCF, petit tour de quelques salles mythiques de France.

Le Louxor - Paris

Les années 1920 représentent l’âge d’or du cinéma : le public se masse dans les salles obscures à la recherche de nouvelles sensations et, pour faire face à cette nouvelle demande, les salles se multiplient – et tentent d’en mettre plein la vue. La concurrence est rude : les cabarets, les cafés concert, les théâtres rivalisent d’audace et de propositions… Les cinémas deviennent plus que des salles de projections, de véritables défis architecturaux. En 1919, Henri Silberberg achète le magasin « Au Sacré-Cœur Nouveautés », un bâtiment haussmannien de cinq étages. Ancien négociant en chaussures qui vient de faire faillite, il s’est lancé dans le monde du spectacle, tout en continuant ses activités de commerçant. Pour sa salle, Silberberg fait appel à Henri Zipcy, un architecte né à Constantinople. Il lui demande de construire plus qu’un cinéma, un palace. Le Louxor sera sa plus grande réalisation.

Sa décoration extérieure et intérieure évoque l’Égypte Pharaonique, très à la mode à cette époque. Colonnes et mosaïques, frise de lotus, papyrus, bas-reliefs, peintures au pochoir… le décorum est impressionnant. Jusqu’aux poutres ornées de hiéroglyphes. Le cinéma dispose d’une fosse pour un orchestre, de trois niveaux et de près de 1000 places. Inauguré le 6 octobre 1921, c’est un succès. Mais Silberberg ne profitera pas longtemps de son nouveau jouet. Il meurt le 23 novembre 1921 et son cinéma est vendu. Il sera racheté par Pathé qui refait toute la déco (dans un style néo-grec). Le cinéma qui avait baissé le rideau en 1987, rouvre de nouveau en 2013, racheté par la Mairie de Paris, et labellisé cinéma « art et essai ».
 

La Pagode - Paris

Illustration de la Pagode après travaux DR -  Loci Anima

A la fin du 19e, l’Orient est à la mode, le japonisme surtout. François-Emile Morin, directeur du Bon Marché, commande à Alexandre Marcel, l’architecte du Petit Palais, l’édification d’une pagode dans le jardin qu’il possède rue de Babylone. Il le destine à sa femme (qui le quittera avant la fin des travaux). En 1896, il inaugure cette pagode construite avec des boiseries importées du pays du Soleil Levant. Lieu de réceptions mondaines et de fêtes privées pendant près de trente ans, la Pagode ferme ses portes en 1928. Elle est rachetée par l’ambassade de Chine qui s’en sépare un an plus tard (les fresques représentant le conflit sino-japonais n’auraient pas plu à l’ambassadeur).

La salle est rachetée en 1930 par un certain Monsieur Sucre. Il transforme l’endroit en cinéma et ouvre ses portes au public. Très vite, la Pagode rejoint le cercle des salles spécialisées. On y joue des films d’Epstein, de Grémillon, de Renoir ou L’Herbier. Après-guerre, ce cinéma du VIIème arrondissement devient un haut-lieu de la cinéphilie et participe à la Nouvelle Vague en programmant les films de Truffaut, Rohmer ou Jacques Rozier. La Pagode est entièrement repensée en 1972 par Louis Malle, qui l'exploitait à l'époque, et transformée en complexe de deux salles. La façade a été rénovée et on a redonné vie au petit jardin japonais. En 1979, Gaumont prend possession des lieux, tout en en respectant la philosophie. Il faut voir les décorations murales ou les motifs des tentures pour se rappeler l’histoire de l’endroit : dragons et oiseaux fantastiques, femmes à ombrelles et diablotins, peints ou sculptés dans le bois doré, confèrent à la salle principale une dimension quasi-fantastique…
 

L’Eden Theatre – La Ciotat

L'Eden L'Eden Théâtre - DR

Plus qu’une salle de cinéma, une relique. L’Eden Théâtre, inaugurée comme théâtre en juin 1889 est en effet la plus vieille salle de cinéma du monde ! D’abord conçu comme une salle de spectacles accueillant des spectacles de variété, de théâtre ou de concerts, c’est le 14 octobre 1895 que ce théâtre à l’italienne, avec sa façade jaune ocre et ses mosaïques sublimes (entièrement reconstruite parce que l’originale ne peut être retouchée) accueille sa première projection de cinéma. Ce jour-là, les frères Lumière organisent une des premières projections cinématographiques privées. Louis Lumière venait de tourner une vingtaine de ses vues photographiques animées dans la ville et il voulait les projeter sur place.

À partir du 21 mars 1899, Raoul Gallaud, le propriétaire de la salle, diffusa régulièrement des films Lumière en alternance avec d’autres programmes de divertissement. Plus tard de jeunes artistes comme Bernard Blier ou Fernandel firent leurs premiers pas sur cette même scène où se mêlait music-hall et cinéma. Avec le déclin du port, le cinéma était menacé, mais le classement de la salle en 1996 à l’inventaire des Monuments Historiques l’a définitivement préservée des éventuels projets de transformation ou de destruction.

 

Le Rex - Paris

Le Grand Rex DR

C’est un lieu mythique, la plus célèbre et la plus fréquentée des salles parisiennes. Tout commence en 1930. Jacques Haïk est un producteur et distributeur de cinéma célébrissime. C’est lui qui a imposé Charles Chaplin en France et qui l’a baptisé Charlot. Il est surtout le propriétaire de l’Olympia et veut créer un autre music-hall de 5000 places sur le boulevard Poissonnière. Plus réduit, ce sera finalement le premier cinéma à salle atmosphérique de France, d’une capacité de 3500 places.

Pour la réalisation de ce monument, Haïk a fait appel à trois spécialistes : Auguste Bluysen (qui a déjà réalisé la salle classicisante du théâtre du Casino de Paris) fait équipe avec l’ingénieur John Eberson, spécialiste des salles atmosphériques, et avec le décorateur Maurice Dufrène. Le résultat est impressionnant : la façade quasiment aveugle frappe par ses proportions gigantesques, la tour octogonale qui s’élève à l’angle fait fureur. Mais l’intérieur est encore plus fou : la salle atmosphérique avec son ciel doté d’étoiles scintillantes fascine les premiers spectateurs, les éléments d’architecture néo-méditerranéens et la scène encadrée d’un arc-en-ciel lumineux aussi. Les fauteuils sont répartis en trois niveaux avec balcon et amphithéâtre. Le luxe est zénithal. La salle connaît un succès foudroyant, mais Jacques Haïk va déposer le bilan rapidement. Gaumont la rachète avant de la céder quelques années plus tard à Jean Hellmann qui fera quelques travaux de rénovation (dont un escalator rendu célèbre grâce à l’inauguration par… Gary Cooper en 57).  Elle fonctionne toujours et reste un lieu emblématique du cinéma parisien.
 

Le Castillet - Perpignan

Le Castillet DR

Les deux premiers cinémas de Perpignan, le Castillet et l'Apollo, sont créés en 1911. Si L'Apollo disparaît vite, le Castillet est encore en activité. C’est la famille Font qui lance la construction du lieu. A la tête d’un complexe de cinéma à Barcelone, Jean Font cherche à ouvrir une nouvelle salle en France. Il regarde du côté de Marseille ou de Montpellier et décide sur le chemin du retour de s’installer à Perpignan.

Font fait appel à l’architecte Eugène Montès pour la façade et pour les plans, et au sculpteur toulousain Alexandre Guénot pour la décoration. Inspiré des théâtres italiens du 19e siècle mais aussi des pavillons d'expositions universelles, le cinéma est en effet orné d'éléments sculptés et de frises en faïence polychrome très Art Nouveau. L’inauguration a lieu en 1911 et le cinéma fonctionne très vite (grâce notamment à la diversité de son programme, à la projection de films à épisodes mais aussi à la présence de petites opérettes ou troupes de théâtre). Dès 1930, le matériel pour le cinéma parlant est installé. En plus de cent ans d’existence, le Castillet s’est imposé comme une véritable institution du Sud-Ouest.