Clara et Julia Kuperberg, les sœurs d’Hollywood

Clara et Julia Kuperberg, les sœurs d’Hollywood

18 mai 2020
Julia et Clara Kuperberg
Julia et Clara Kuperberg Sylvie Castioni - Wichita Films
Depuis près de quinze ans, ces deux sœurs passionnées de l’âge d’or hollywoodien signent des documentaires sur le passé glorieux mais aussi les failles et les contradictions d’une usine à rêve en perpétuelle mutation. Portrait.

Les titres de leurs films parlent d’eux-mêmes : Les Espions qui venaient d’Hollywood, Los Angeles, cité du film noir, This is Orson Welles, Douglas Fairbanks - je suis une légende, Et la femme créa Hollywood … A travers leurs documentaires diffusés principalement sur Arte ou OCS, les Françaises Clara et Julia Kuperberg auscultent l’envers du décor hollywoodien, là où la beauté cache des blessures plus ou moins secrètes. Il y a chez elles le désir revendiqué de célébrer l’âge d’or d’une industrie dont le rayonnement aura servi de phare à toute la planète. Des débuts du cinéma jusqu’à la fin des années 50, le système des studios hollywoodiens aura, en effet, permis d’imprimer sur pellicule les rêves « plus grands que la vie ». Ces rêves, Julia et Clara ont grandi avec. « Notre chance, explique la première, est d’avoir eu des parents cinéphiles, passionnés du cinéma américain. Tous les jours nous voyions avec eux des comédies musicales, des westerns, des films noirs… Nous aurions pu rejeter ce cinéma qui ne nous était pas du tout contemporain... C’est tout l’inverse qui s’est produit.»  

Robert Kuperberg, leur père, est réalisateur et producteur. Il a notamment collaboré avec Joseph Losey sur son long métrage Monsieur Klein. Clara, l’aînée, travaille très vite avec lui. La cadette, Julia, fait ses gammes en tant que journaliste pour l’émission culturelle Tracks. Mais très vite, l’idée de former un trio pour « raconter Hollywood » s’impose. « On a ainsi créé en 2005 notre société de production Wichita Films, poursuit Julia. Wichita, c’est la ville de Wyatt Earp, la cité des règlements de compte. » Julia, marque une pause, et lance dans un éclat de rire : « … On s’est dit qu’en travaillant en famille, on allait bien finir nous aussi par nous entretuer… C’est d’ailleurs ce qui s’est passé… » Pas de mort heureusement, mais Robert quitte le navire laissant seules ses filles tenir la barre. Au départ, l’ambition est de créer des ponts entre le Hollywood d’hier et d’aujourd’hui, quitte à ne voir que la partie reluisante de cette industrie. « Notre inquiétude, reprend Clara, était que cet héritage disparaisse, que les nouvelles générations ne s’en emparent pas. Les films de l’âge d’or étaient pourtant plus beaux, plus forts, plus puissants qu’aujourd’hui. » « Je ne sais plus qui a dit qu’un film n’est vieux que quand vous ne l’avez pas vu !, embraie Julia. Il faut donner envie de découvrir ce patrimoine, de montrer son actualité… »

Déconstruire les légendes

L’un de leurs premiers films s’intéresse à la place de la femme dans le cinéma américain. Un sujet qui d’emblée met à jour les inégalités au sein d’une industrie où le pouvoir - donc les décisions - sont entre les mains d’une poignée... d’hommes. « C’est l’envers d’Hollywood qui nous a sauté au visage, confie Julia, sa face sombre. Il ne fallait pas uniquement célébrer mais aussi déconstruire les légendes. Les manuels d’Histoire évitent de parler du racisme, du sexisme, de l’homophobie… Nous nous sommes emparées de ces sujets-là ! L’émergence du mouvement #Metoo nous a confortées dans cette direction… » Les modèles avoués sont Kenneth Anger et son Hollywood Babylone, les romans noirs de James Ellroy et plus récemment, la mini-série Hollywood de Ryan Murphy.
  « A Hollywood c’est l’argent qui guide les esprits, précise Clara. Si l’industrie accepte si facilement de se remettre en question, c’est qu’elle a conscience des profits que peuvent rapporter ces changements. Les noirs, les femmes représentent un public conséquent, il faut savoir les séduire. » Les deux réalisatrices signent entre trois et quatre films par an. Depuis deux ans, elles produisent d’autres auteurs, ainsi le récent Les sorcières à Hollywood de Sophie Peyrard diffusé sur OCS. Elles travaillent actuellement sur un portrait d’Anthony Hopkins, un film sur les relations entre Olivia de Havilland et sa sœur Joan Fontaine, l’histoire du Blackface ainsi qu’une mini-série de fiction autour des pionnières d’Hollywood. Pour cet ambitieux projet, les auteurs américains de la série Feud, sur la rivalité des actrices Joan Crawford – Bette Davis sur le tournage de Qu’est-il arrivé à Baby Jane ?, sont même venus les voir pour l’écriture.  

Clara et Julia Kuperberg fourmillent donc d’idées et continuent d’avancer avec leur complémentarité en étendard. Quand l’une préfère s’occuper du montage et choisir les musiques, l’autre fouille dans les archives, cherche des documents rares. L’écriture, elle, se fait à deux. Hollywood ne leur a pas encore dévoilé tous ses secrets.