Comment Costa-Gavras a réussi à faire son film phare, « Z »

Comment Costa-Gavras a réussi à faire son film phare, « Z »

Z de Costa-Gavras
Z de Costa-Gavras Valoria - DR - TCD - Reggane Films - l'Office national pour le commerce et l'industrie cinématographique

Il y a 50 ans sortait Z, le thriller politique signé Costa-Gavras. Tout à la fois allégorie des dictatures du bassin méditerranéen et énigme policière, le film est un maître-étalon dans son domaine.


Dans le cinéma français, il y a un avant et un après Z. Le cinéma politique, après ce film, n’aura plus jamais la même couleur. Un député assassiné, un juge qui mène l’enquête, les pressions, l’armée, la police, rarement l’ambiance d’un thriller n’a été aussi pesante. Prix du jury et prix d’interprétation pour Jean-Louis Trintignant au Festival de Cannes 1969, Oscar du meilleur film étranger, Z a pourtant failli ne jamais exister.

Tout commence par un échec, celui du deuxième film de Costa-Gavras, L’homme de trop. En 1967, désabusé, le réalisateur décide de retourner en Grèce, sa terre natale, pour voir ses parents et son frère, Tolis. Ce dernier lui glisse un livre dans son sac de voyage en le raccompagnant à l’aéroport. « Dans l’avion, raconte Costa-Gavras dans ses mémoires Va où il est impossible d’aller (ed. Seuil), je sors le livre de mon sac. Un énorme Z orne la couverture, l’auteur : Vassilis Vassilikos. Première réaction atavique, impulsive : « Un titre idiot » (…) J’y entre sur la pointe des pieds, comme on entre dans un lieu tout en se demandant : qu’est-ce que je fais là ? Je découvre au fil des pages les détails d’un assassinat que je ne connais que très vaguement. Des assassinats, dans la Grèce d’après-guerre, il y en a eu pour tous les goûts, politiques, crapuleux, extrémistes… Celui-ci est de nature inédite. L’enquête est passionnante, avec des découvertes imprévisibles, des personnages d’une vérité poignante. »

Z en réponse à la dictature

Deux jours plus tard, le 21 avril 1967, les Grecs se réveillent sous l’autorité d’une junte militaire qui vient de renverser le gouvernement. C’est le début de la dictature des colonels. Costa-Gavras retrouve ses amis Yves Montand et Simone Signoret, Jorge Semprun et sa femme Colette à Paris dans un bistrot où ils ont leurs habitudes. Le déjeuner « se transforme en réunion de crise, empreint d’une émotion furieuse, se souvient le cinéaste. Les questions restent sans réponses. Quelle attitude adopter ? Jorge a, sinon les réponses, les analyses les plus justes. » Les deux amis décident alors d’adapter Z. Première étape : acheter les droits du roman. Vassillis Vassilikos est en fuite en Italie. Costa-Gavras le retrouve à Rome. Etonné, l’écrivain donne son accord et vient trouver refuge en France à l’invitation du cinéaste.

Sauvé par Jacques Perrin

Le scénario est achevé après des mois de travail financés par un petit pécule versé par United Artists. Les premiers retours tombent : impossible à tourner. Trop long, trop bavard, sans personnage principal et sans histoire d’amour, Z désarçonne les producteurs. Seule bonne nouvelle au milieu des refus : « Le Centre National du cinéma nous accorde l’avance sur recettes. La commission, présidée par Edgar Morin, donne son label à notre scénario. » Si le casting se monte sans difficulté, Costa-Gavras n’a toujours pas d’argent. C’est de Jacques Perrin que va venir la solution en devenant un producteur passionné. C’est lui qui a l’idée que le film se tourne en Algérie, où il vient de produire un documentaire. « Pour moi, il y avait l’architecture, les rues, le port, la mer, tout ce que je cherchais. Comme à Salonique, où se passait l’action du film », conclut Costa-Gavras.

Un contrat sur un paquet de cigarettes

Pour l’image, Raoul Coutard, le directeur de la photo d’A bout de souffle, est envisagé. Costa-Gavras hésite à engager cet ancien sergent, ancien de la Guerre d’Indochine, aux idées plutôt conservatrices. « Il s’avère être un formidable compagnon de travail, dans cette proximité que crée le tournage et face aux contraintes qui unissent un metteur en scène à son chef opérateur. » Ils poursuivront leur collaboration avec L’aveu.
Mai 1968 interrompt la préparation du film. En juin, elle reprend et le tournage débute en juillet en Algérie. Les Algérois se souviendront longtemps de ce film français qui a bloqué la circulation de la place principale pendant dix nuits !
Reste à monter le film avec Françoise Bonnot. « La musique du film ne pouvait être que celle de Mikis Theodorakis [Zorba le Grec]. J’avais fait plusieurs essais en cours de montage, elle se mariait harmonieusement avec les images en leur apportant un souffle d’émotion. Mais Mikis était exilé par les colonels dans un village du Péloponnèse, Zatouna, et j’avais besoin de son accord. » Il lui faudra procéder aux ruses les plus recherchées pour finalement obtenir le soutien du compositeur grec sur un paquet de cigarettes.
Le reste est historique. « Le premier grand film politique », titre L’Express. Sorti en février 1969, le film grossit ses entrées de semaine en semaine jusqu’à devenir « le phénomène de l’année ». Puis Z est choisi pour représenter la France au Festival de Cannes. C’est pour l’Algérie, en revanche, que Z a gagné l’Oscar du meilleur film étranger.

Les citations de Costa-Gavras sont extraites de son autobiographie Va où il est impossible d’aller (éditions Seuil).