Comment Mimi Lempicka a créé les costumes d'Au revoir là-haut, Cloclo et Les Beaux gosses

Comment Mimi Lempicka a créé les costumes d'Au revoir là-haut, Cloclo et Les Beaux gosses

04 février 2019
Cinéma
Tags :
Les Costumes font leur cinéma – Les Carnets de Mimi Lempicka
Les Costumes font leur cinéma – Les Carnets de Mimi Lempicka E/P/A, Gaumont, StudioCanal, Pathé
A l’occasion de la parution du livre Les Costumes font leur cinéma – Les Carnets de Mimi Lempicka, l’artiste détaille son processus créatif, au travers de trois projets très différents : Au revoir là-haut (2017), d’Albert Dupontel, Cloclo, de Florent Emilio-Siri (2012) et Les Beaux Gosses (2009), de Riad Sattouf.

"J’adore le cinéma, s’exclame Mimi Lempicka en préambule. Créer des costumes, c’est passionnant. Travailler en équipe, partager des intentions, des opinions, trouver des idées… C’est loin du vêtement, et c’est justement ce que j’ai essayé de raconter dans le livre : la rencontre avec un réalisateur et son univers, la création des personnages qui se fait ensemble. On réfléchit aux costumes seulement après : nous aussi on raconte des histoires à notre façon. On n’est pas là pour habiller ou déshabiller, mais on crée des personnages. S’ils sont réussis, on s’y attache, on les suit, on est avec eux… et on oublie complètement qu’ils sont costumés. Peu importe l’époque, même en contemporain. Comme je l'explique en introduction du livre, pour moi, les costumes sont réussis lorsque le spectateur ne peut en décrire précisément aucun, qu'il les a oubliés. C’est assez ingrat, c'est vrai ! (rires) Mais c’est un gage de qualité."  

Au revoir là-haut : redonner vie à l’Histoire

Mimi Lempicka a reçu le César des meilleurs costumes pour ce film historique d’Albert Dupontel, inspiré par le roman de Pierre Lemaître, qui raconte comment deux vétérans de la Première Guerre Mondiale montent une arnaque aux monuments aux morts.  

"Une collaboration, ça commence par un réalisateur qui veut travailler avec moi. Avec Albert, on se connaissait depuis L’Ennemi intime (de Florent Emilio-Siri, 2007), dans lequel il jouait.  Il m’a rappelée au moment de faire 9 Mois Ferme, pour qu’on développe son univers. Et encore une fois pour Au revoir là-haut. On est évidemment partis du livre, et je lui ai présenté Cécile Kretschmar pour la création des masques, qui étaient très importants dans le roman. Ces masques, c’était presque un élément de mise en scène, tout le monde se demandait comment ils allaient être montrés à l’écran. Je connaissais son travail pour l’opéra, qui est très poétique, et j’ai pensé à elle. Ils se sont entendus tout de suite.

Pour les costumes à proprement parler, l’important c’était de ne pas chercher une reconstitution stricte. Evidemment, au début, j’ai proposé de l’iconographie des années 1920, des visuels de l’époque, pour avoir une idée du style du Paris de l’après-guerre. En brassant toutes ces images, je voulais proposer un contexte, un vocabulaire. Albert m’a dit qu’il imaginait plutôt quelque chose de moderne, qu'il ne voulait pas être 'coincé' dans une époque. Ca a été libérateur pour moi : oui, faisons des personnages vivants, ne soyons pas prisonniers d’une reconstitution historique en tout point ! Ca nous a aidés à créer des coupes dans lesquelles les acteurs seraient à l’aise, tout en gardant un 'look' 1920. Un exemple frappant : pour les scènes de guerre, on a fait attention à ce que les uniformes ne soient pas uniformes. Qu’ils aient été plus ou moins portés, qu’il y ait plusieurs teintes de bleu. On aurait pu coller à la réalité, mais on aimait ce côté bric-à-brac, et surtout cet aspect 'vivant'.

Concernant l’apparence d’Albert en particulier, on voulait lui donner une certaine fragilité, une maladresse, alors que ce n'est pas le plus évident quand on pense à lui. Pour moi, Buster Keaton incarnait tout ça : c’était un acteur de l’époque, déjà, il était poétique et très populaire, mais un peu de guingois, avec un costume pas tout à fait à sa taille… Une fois qu’on était d’accord sur cette idée, on a tout fabriqué sur le même patron. Tous les vêtements d'Albert sont un peu trop grands, jamais parfaitement ajustés. Et ça marche."    

Cloclo : Traverser les époques avec fluidité    

En 2012, Florent Emilio-Siri retrouve Mimi Lempicka sur Cloclo avec une demande particulière : créer une soixantaine de costumes rien que pour le personnage de Claude François (joué par Jérémie Renier). Le réalisateur veut montrer à l’écran le dynamisme de l’artiste et cela passe par le fait qu’il était toujours à la pointe de la mode.

"Le sujet, c’était de créer un personnage survolté, toujours en mouvement, et de traiter 20 ans d’histoire. Florent Emilio-Siri voulait qu’on alterne entre sa vie privée et sa vie publique en permanence, qu’on ne cesse de passer du show, de la scène, à son intimité. J’avais proposé de tout fabriquer en stretch, pour laisser place aux mouvements. Ca illustre bien le dynamisme du chanteur. Il fallait aussi montrer qu’on changeait d’époque, tout en le faisant avec subtilité, car on n’était pas là pour faire un catalogue. Le vrai défi, c’était que ce soit fluide, il fallait qu’on croie à l’évolution du personnage d’année en année. Pour Cloclo, qui faisait tout fabriquer sur mesure, on a donc créé des costumes toujours à la pointe de la mode de son temps, alors que pour les figurants, il fallait montrer qu’ils représentaient 'la vie normale' : ils portent aussi bien des vêtements neufs que des trucs achetés trois ou quatre ans avant. Pour ça, on n’a pas tout fabriqué en atelier, on a aussi pioché dans des fripes, on a loué des vêtements de l’époque, qu’ils soient neufs ou déjà portés. Alors que pour Cloclo, il fallait TOUT créer, et il était au cœur de plus de 300 séquences."  

Les Beaux gosses : un code couleurs fidèle à l’esprit des jeunes

En 2009, Riad Sattouf adapte ses BD La Vie secrète des jeunes, qui suit deux collégiens rêvant d’embrasser une fille. "Pour porter la BD à l’écran avec Les Beaux gosses, j’ai proposé de diviser en gammes de couleurs, afin que chaque groupe soit immédiatement distingué des autres. C’est directement tiré de l’humour de Riad : il racontait son histoire sur les ados d’un point de vue cruel, ils sont tous un peu ratés, moches, mal dans leur peaux… alors que les adultes sont magnifiés. Parce que dans l’esprit des jeunes, les adultes sont beaux, alors qu’eux-mêmes se sentent insignifiants. On devait donc garder cet axe en tête et pour styliser les groupes d’adolescents à l’écran, on leur a donné un code couleur. Les figurants étaient en bleu, un peu effacés et flous mais tout de même là et en mouvement ; puis au sein de la classe, il y avait les beaux, qui portaient des couleurs vives, pétantes, à l’inverse des puceaux, en gris, kakis, beiges délavés ; les molles étaient en mauve, jugé comme une couleur de filles… Une fois dans la cour, ça évitait que tout se mélange, on comprend d’emblée qui appartient à quel groupe.

C’est encore plus frappant pour distinguer les héros, qui ont un costume unique. C’est difficile à faire car il ne faut pas se louper ! Si c'est raté, c'est pour tout le film. L'idée, c'est d'oublier le passage du temps, l’hygiène, les détails du quotidien, pour que ça donne des personnages qui traversent l’histoire, qui sont dessinés. C’était intéressant par rapport au fait que ça venait d’une BD. Ils agissent comme un logo dans le film, je trouvais ça très fort. En général, j’adore travailler sur des adaptations de BD, car ça demande toujours une création très riche. Au début des années 1990, j’avais collaboré à Jesuit Joe, tiré d’une œuvre de Hugo Pratt, pour laquelle on n’avait que trois couleurs : rouge, noir et blanc. C’était très stylisé. Plus tard, j’ai fait Immortel Ad Vitam, d’Enki Bilal, qui adaptait ses propres BD, son univers futuriste… A chaque fois, c’est très différent, ça me plait beaucoup ce type de projets."  

Les projets de Mimi Lempicka

"Maintenant que le livre est sorti, je vais proposer certains dessins préparatoires dans le cadre d’une exposition, sur Paris. Ce sera en février et ça me permettra de présenter directement tout ce travail au public. Après ? C’est l’appel du cinéma ! Toujours. J’ai travaillé sur Le Chant du loup (d'Antonin Baudry, sortie le 20 février), un film d’espionnage qui se déroule dans un sous-marin. C’est très intéressant car plus proche de la réalité, mais il y a tout de même un traitement d’images particulier, et c’est bourré de détails. Je vais bientôt démarrer la série de Damien Chazelle sur le jazz, qui sera tournée à Paris. Puis je dois retrouver Albert Dupontel. C’est trop tôt pour en parler, mais ce sont de beaux projets, très différents encore une fois."

Les Costumes font leur cinéma - Les Carnets de Mimi Lempicka est disponible en librairies, édité par E/P/A, pour 39,90 euros. L'artiste y présente ses créations pour 8 films : Au revoir là-haut, Les Rois Maudits, Cloclo, Les Beaux Gosses, Iznogoud, Immortel Ad Vitam, Nikita et Le Grand bleu.