Comment Lola Quivoron a réalisé son film de fin d’études ?

Comment Lola Quivoron a réalisé son film de fin d’études ?

23 avril 2021
Cinéma
Au loin Baltimore de Lola Quivoron
"Au loin, Baltimore" de Lola Quivoron
Lola Quivoron, diplômée de la section réalisation de l'école de cinéma de la Fémis en 2016, raconte les coulisses de Au loin, Baltimore, son film de fin d'études qui plonge dans l'univers des motards du cross-bitume.

 

La découverte

« J'ai grandi dans un quartier populaire, dans le 93, à Epinay-sur-Seine. J'ai rencontré le cinéma de manière un peu douloureuse, quand mes parents ont déménagé à Bordeaux alors que je devais rentrer en classe de 3ème. Je perdais mes amis, mon quartier, et je débarquais dans une ville que je n'arrivais pas à aimer. Je suis tombée dans une sorte de dépression, très rude, et le seul moyen de me guérir fut d'aller à la médiathèque pour me bourrer la tête de films. Ensuite, il y eut au lycée la rencontre avec le professeur de l'atelier cinéma. Et c'est à ce moment-là que j'entends parler de la Fémis. C'était l'une des seules écoles publiques de cinéma en France, et je n'avais pas les moyens d'intégrer une école privée.

J'ai décidé de faire une classe préparatoire dans le seul but d'intégrer la Fémis. J'ai préparé le concours à Paris et je l'ai passé un peu à l'aveugle. C'est un concours pour lequel, au fond, il n'y a pas vraiment de préparation : la préparation c'est la vie.

Je suis rentrée en 2012 en section réalisation et j'en suis sortie diplômée en 2016. »

Dossier d'entrée

« Pour rentrer à la Fémis, il faut préparer un dossier d'enquête sur un thème. Moi j'ai choisi « la trace », et j'ai réalisé un dossier sur ma grand-mère. Sur son corps. Je m'étais intéressée à ses cicatrices, qu'elle avait eu suite à un accident de voiture très grave... Toute petite, elle me racontait l'histoire de ses blessures. C’était une cartographie de son corps. A partir de son accident, mon dossier racontait toute sa vie, toute son histoire. Évidemment, j'ai photographié ses cicatrices. »

Tournages

« Quand j'étais à la Fémis, en réalisation - ça a dû changer avec le Covid - on tournait au moins un film par an. Si j'ai beaucoup aimé rencontrer les camarades de promotion, il y avait quand même un côté très parisien et j'ai vite ressenti le besoin de sortir de ce cadre. Je suis retournée dans la banlieue de ma jeunesse, sur les territoires que j'avais perdus. J'ai écrit Fils du loup, sur un jeune maître-chien qui entraîne son chien d'attaque à Domont dans le 95. En deuxième année, j'ai réalisé Stand, un documentaire sur l'organisation d'un stand de tir à Porte de la Chapelle, entre les échangeurs d'autoroutes, avec des hommes qui tiraient au gros calibre. Depuis, le bâtiment a été détruit. Aucun de mes films ne se situait à Paris. C'était une façon de raconter mon histoire. Le chien d'attaque, le stand de tir, les riders... au fond, je m'intéresse au désir de puissance, à des communautés très masculines, très fermées, avec des codes particuliers. Et quel que soit le sujet, mon processus d'écriture est toujours le même : je viens, je photographie, je rencontre les gens. Pour Stand, j'ai passé six mois dans le club de tirs. La photo me permet de créer du lien et de commencer à imaginer mes personnages. »

Origine

« Je pars toujours d'une base documentaire. J'ai passé beaucoup, beaucoup de temps avec les riders de Au loin, Baltimore : sur les routes, dans les camions, les garages, et parfois même sur les motos. Le film s'est écrit comme ça. Mon film partait d'une envie de filmer Clark, qui joue Akro. Cette pratique est assez violente : ce sont des motos non homologuées, les moteurs crient, les acrobaties peuvent leur coûter la vie, les flics rôdent... Et Clark dégageait énormément de douceur, ce qui contrastait avec l'univers que j'observais. J'ai écrit le rôle pour lui, en lui imaginant un personnage. J’avais envie de travailler sur son intériorité, sur ses émotions.

Quelles sont les forces qui poussent ces jeunes à sortir les motos pour se retrouver défier la mort et aller, comme ils disent « froisser la ville » ? C'était mon point de départ pour Au loin Baltimore. »

Filmer le mouvement

« Je n'ai pas fait répéter Clark. Son rôle était taillé sur mesure. Avec le recul, c'était très risqué mais il fallait que je le préserve de toute la machinerie du cinéma. Tous mes courts métrages racontent ma volonté de filmer des « performances ». Quand j'ai rencontré les Dirty Riderz et qu'ils m'ont emmenée sur leur « ligne d’entraînement », j'ai ressenti une telle décharge d'énergie que je me suis dit que cela allait être génial à filmer. Avec mon chef opérateur Maxence Lemonnier - qui était en section Image à la Fémis et a fait la photo de tous mes films à l'école -, on a travaillé avec des optiques à courte focale pour mettre en valeur le mouvement, être dans un corps à corps. Pour les scènes de ride, on a travaillé avec des focales encore plus courtes pour qu’on ait vraiment l'impression que ces monstres motorisés vous arrivent en pleine figure. On a travaillé avec des cascadeurs en quad équipés de steadycam pour tourner des travellings avant et arrière et filmer les acrobaties des motos. Tout devait être très préparé. »

Quatre années

« En première année, le principe est que tout le monde réalise un film, toutes sections confondues. Tous les élèves occupent tous les postes, à tour de rôle, sur les films des uns et des autres. J'ai fait le son sur le film d'un camarade, par exemple. En première année, j'ai fait un deuxième film, Grande ourse, qui dure dix minutes, tourné dans un studio - c'était la contrainte formelle, il fallait absolument tourner en studio. En deuxième année, il faut faire un documentaire et une fiction avec des acteurs imposés. En troisième année, c'est un plus gros film et des scénaristes viennent de l'extérieur nous accompagner. J’ai fabriqué ainsi Le Fils du loup. Enfin, il y a le film de fin d'études. On a plus de moyens mais pas forcément plus de libertés. Je n'aurais pas pu faire l'image de mon film, par exemple. Les équipes sont fixées pour faire travailler tous les départements. L'écriture de Au loin, Baltimore a commencé en juin 2015, on a tourné en novembre et le film a été terminé en avril 2016. Il y a un bureau des festivals à la Fémis qui s'occupe de nos films pour qu’ils soient sélectionnés et montrés au public. Au loin, Baltimore a beaucoup tourné en festival et a reçu pas mal de prix, il a été diffusé sur Canal+. Je le projette aussi beaucoup dans des Maisons de Quartiers et des lycées. Le film parle beaucoup aux jeunes des banlieues. »

Avenir

« Ce film commence à dater, mais il a catalysé tous les projets que j'ai pu réaliser par la suite. L'approche de ce milieu, les liens d'amitié sur la route avec les riders... Par exemple le clip Androgyne que j'ai réalisé pour l'artiste électro Chloé fin 2018. Ensuite, j'ai tourné un moyen métrage monté pendant le confinement avec un motard de 18 ans, Khaled Refsi qui joue aussi dans le clip. Et j'écris Rodéo, mon premier long métrage, qui se passe aussi dans le milieu du cross-bitume. Mais ce n'est pas vraiment une suite de Au loin, Baltimore. On y suit une jeune femme, voleuse et très douée en moto qui infiltre ce milieu masculin. Le film regarde comment elle va y trouver sa place. »