Comment êtes-vous arrivé à produire ce court métrage en russe, tourné à Moscou ?
Le réalisateur Vladilen Vierny a fait la Fémis, à Paris, et j'avais beaucoup aimé son film de fin d'études, Exil. Avril Besson, la monteuse du film, également issue de la Fémis, était aussi la monteuse d'une production Local Films : Une jeunesse allemande de Jean-Gabriel Périot, sorti en 2015. Ce dernier connaissait très bien Vladilen Vierny, puisqu'il a été son tuteur à la Fémis... C'est Jean-Gabriel qui nous a fait suivre son scénario de A marche forcée, qui à l'époque s'appelait En piste. Ce scénario m'a tout de suite semblé bien écrit : nous avons obtenu du CNC une aide avant réalisation, pour la réécriture, mais nous ne voyions pas vraiment ce qui pouvait être réécrit. Heureusement, Claire Chausson, membre du comité du CNC, également scénariste, nous a fait un retour détaillé sur certaines corrections. Notamment pour éclaircir le sens de certaines scènes, facilement compréhensibles pour un public russe mais peut-être plus obscures pour un public français.
Mais vous n'avez pas envisagé de « délocaliser » le film, par exemple en France ?
Non, bien sûr. C'est un film russe, par un réalisateur russe, parlé en russe et qui se déroule à Moscou. Et qui parle des manifestations contre Poutine. Ça aurait été compliqué de le tourner en France ! Le film n'aurait plus eu aucun sens.
Là-bas, on dit clairement que les parents sont incapables d'élever leurs enfants. Et que le système est là pour les empêcher de manifester. Il y a un message politique très fort, qui m'importait.
Comment s'est passé le tournage ?
Première contrainte : il fallait tourner en hiver, entre octobre et février, pour avoir de la neige à Moscou. Nous étions prêts à tourner fin janvier, mais nous n'avons eu les derniers accords de financement que début février. Nous avons donc tourné fin février, et il n'y avait plus de neige. Ensuite, le problème d'une production en Russie, c’est qu’il est difficile de tourner sans se faire racketter... Et comme le script était très marqué « anti-Poutine », on ne pouvait pas le faire passer aux autorités pour validation !
Nous avons pu faire venir un seul technicien français, le chef opérateur du son, sous prétexte de venir donner des cours sur la prise de son aux étudiants au cinéma. Ainsi nous avons pu tourner sans trop d'autorisations, et passer entre les mailles du filet. Enfin, là-bas, tout se paye en liquide, il y a très peu de factures : nous avons dû trouver une société pour gérer cela, mais avec les bakchichs, c'était difficile de maintenir le budget du film...
Et la post-production ?
Le confinement est tombé fin mars, juste après la fin de notre tournage. Notre technicien est rentré en France mais Vladilen Vierny, qui vit en Belgique mais réside en France, est resté en Russie. Il ne pouvait plus sortir. Pratiquement toute la post-production s'est faite à distance, virtuellement. Les dernières retouches ont commencé en juillet, quand Vladilen a pu revenir en France. Le film s'est achevé en septembre, et il a pu être sélectionné au Festival de Clermont. Nous avons aussi obtenu un financement d'Arte, qui était le seul financement que nous pouvions obtenir parce que nous n'avons pas tourné dans une région de France. Il n'y a pas d'aide au court métrage en Russie : il n'y a d'ailleurs aucun apport de financement russe. En termes de financement, le film est 100% français ; en termes de langue, il est 100% russe.
Dans le catalogue de Local Films, on trouve d'ailleurs des films italiens, anglais...
Oui, j'ai même fait des coproductions avec la Roumanie ou Taiwan. Pour les courts métrages, ce n'est pas forcément très naturel puisque les aides au financement sont très localisées. Notre réalisatrice italienne et notre réalisateur anglais ont dû tourner en français. Mais ça me plaît : on se confronte à d'autres univers, d'autres visions. D'autres talents qui ont une manière différente d'envisager la mise en scène, ce qui est très enrichissant. Un scénario n'arrive que très rarement par la poste ! Quelles que soient leurs nationalités, les projets arrivent presque tout le temps par des liens entre personnes, noués au fur et à mesure des années.