Dans les coulisses des effets spéciaux de « Chien 51 »

Dans les coulisses des effets spéciaux de « Chien 51 »

10 octobre 2025
Cinéma
« Chien 51 »
« Chien 51 » réalisé par Cédric Jimenez Cédric Bertrand - 2025 - Chi-Fou-Mi Productions- Studiocanal - France 2 Cinéma - Jim Films

Superviseur VFX chevronné, passé par les films d’Albert Dupontel ou de Jacques Audiard, Cédric Fayolle signe avec Chien 51 de Cédric Jimenez l’un de ses travaux les plus ambitieux. Chargé d’imaginer un Paris futuriste crédible mais non dystopique, il a coordonné plus de 130 artistes sur plus de 500 plans truqués. Entre rigueur architecturale, précision technique et refus du tout numérique, il raconte la fabrique visuelle de ce grand film d’anticipation à la française.


En regardant votre filmographie, on se rend compte que Chien 51 est presque un projet à part.

Cédric Fayolle : Effectivement, je n’avais jamais travaillé sur un film d’anticipation, et l’exercice était plus qu’intéressant. Quand on s’occupe des VFX d’un film d’époque, on s’appuie sur des archives, des références. Mais avec le futur, il faut par définition inventer.

Cédric Jimenez avait-il une consigne claire dès le départ sur la création de ce Paris futuriste ?

Oui, il avait la volonté de ne pas trop aller vers la science-fiction et souhaitait une sorte de réalité augmentée où l’on reconnaîtrait Paris et son style haussmannien. Par ailleurs, et c’est sa façon de travailler, il ne voulait pas que les acteurs jouent devant un fond vert. Il fallait donc tourner dans de vrais décors, pour capter le maximum de choses en live. Ensuite, nous avons ajouté des codes architecturaux très précis en fonction des trois zones définies dans le film, qui sont toutes très différentes.

C’est l’un des plus gros films que j’ai eu à gérer […] Cela représente environ 130 personnes au total, sur près de huit mois de travail. Plus de 500 plans contiennent des VFX, soit plus de la moitié du film. C’est colossal.

Chacune devait-elle avoir un esprit bien marqué ?

Tout à fait. Mais c’est compliqué de filmer Paris sous une loupe futuriste, il faut rester cohérent avec l’identité de la capitale. Ajoutez une tour de verre sur de l’haussmannien, et ça ne fonctionne plus ! Il y a toute une logique architecturale qui correspond à la capitale. L’idée était plutôt d’imaginer une ville qui aurait grandi au fil des années. Nous avons eu une longue phase de préparation avec le chef décorateur pour définir les choses, comme cette zone 3 qui est plus ou moins à l’abandon. Sur ce point précis, on s’est demandé comment la surpopulation pourrait être gérée. Alors nous avons décidé d’ajouter des étages aux immeubles déjà existants. Et chaque zone a eu droit à son code couleur ; la deuxième tire vers un bleu électrique, alors que la troisième est dominée par des tons jaunes/sodium.

A-t-il fallu de nombreux allers-retours pour que tout le monde se mette d’accord ?

Non, car Cédric savait ce qu’il voulait, notamment sur les différences entre les zones, qui devaient respirer l’inégalité. Une fois le système de couleurs dont je vous parlais établi, nous avons réfléchi aux endroits où l’on souhaitait placer des écrans, des publicités ou des tags. Les grandes « masses » (les ajouts de décors sur les immeubles, notamment) ont vite été définies. Ensuite, il s’agissait de rentrer dans le détail. Le gros du dossier concernait également les interfaces d’ALMA, l’intelligence artificielle du film.

 

On sent qu’elles ont été conçues comme un agglomérat de beaucoup de références cinématographiques.

Oui, et j’ai fait appel à un motion designer spécialisé pour les imaginer. Le piège, c’était d’aller vers quelque chose de trop technologique, presque gadget, qui n’aurait pas paru crédible. La crédibilité était essentielle, il fallait que cela ressemble à un véritable environnement de travail que la police pourrait avoir dans le futur.

Que ce soit très concret, finalement.

C’est ça. La personne que j’ai embauchée est très pointue sur tout ce qui concerne les typos et les interfaces. Et nous avons fait un énorme travail sur les reconstitutions de crimes qu’ALMA génère pour les policiers. C’était essentiel : qu’est-ce que cette interface ? Et comment génère-t-elle ces reconstitutions ? À un moment, nous avons tenté quelque chose de totalement « photoréaliste », avec des prises de vues réelles. Mais le rendu était très étrange et peu convaincant, il semblait bizarre d’avoir du live action à cet endroit. Nous avons écarté cette piste et accentué le côté « data », pour donner l’impression que cette IA réfléchit et manipule des données.

Combien de personnes ont-elles travaillé sur les effets spéciaux numériques de Chien 51 ?

C’est l’un des plus gros films que j’ai eu à gérer. Quatre studios différents ont travaillé dessus : Digital District, UFX Studios en Belgique, ainsi que NOID et AddFiction quand il y a eu plus de demandes de plans vers la fin, et que les deux studios principaux ne pouvaient plus gérer la charge de travail. Cela représente environ 130 personnes au total, sur près de huit mois de travail. Plus de 500 plans contiennent des VFX, soit plus de la moitié du film. C’est colossal. Toutes les scènes avec des drones ont nécessité notre implication puisqu’ils sont entièrement numériques. Des tests ont été faits avec des drones physiques, mais chargés avec les armes, ils ne pouvaient pas faire les mouvements rapides dont on avait besoin. Pour certaines séquences avec Adèle Exarchopoulos, des petits drones servaient de repères sur le tournage, mais sinon tout est sorti de notre imagination. Il a fallu un long travail de recherche pour trouver le bon design, ne pas aller trop loin dans le futurisme, tout en leur donnant une crédibilité absolue à l’écran. Nous avons étudié les drones militaires mais ils pouvaient avoir un aspect un peu trop inquiétant. Dans Chien 51, les drones sont censés protéger la population, ils ne devaient pas paraître trop menaçants.

Avez-vous travaillé avec un système de prévisualisation 3D ?

Non, car encore une fois, ce n’est pas le cinéma de Cédric Jimenez. Il avait besoin de voir son décor et ses acteurs dedans. Il s’agissait plutôt pour nous de travailler à partir de concepts pour imaginer les plans qui allaient satisfaire tout le monde. Il y avait un côté très libre là-dedans.

C’est compliqué de filmer Paris sous une loupe futuriste, il faut rester cohérent avec l’identité de la capitale. Ajoutez une tour de verre sur de l’haussmannien, et ça ne fonctionne plus ! Il y a toute une logique architecturale qui correspond à la capitale. L’idée était plutôt d’imaginer une ville qui aurait grandi au fil des années.

La majorité de votre travail a donc eu lieu avant et après le tournage, pas pendant ?

À l’exception de la scène du karaoké, où les personnages d’Adèle Exarchopoulos et Gilles Lellouche chantent ensemble. L’idée était de reproduire l’intérieur d’une salle de concert sur un immense écran LED, afin que les acteurs se sentent immergés. Nous avons estimé que dans le futur, ce serait quelque chose de possible pour un karaoké. Et cela évitait aux acteurs de tourner devant un écran vert !

Certains plans ont dû être plus compliqués que d’autres techniquement…

Oui, et je pense notamment à celui qui se déroule sur le périphérique, où l’on a d’ailleurs réellement tourné. À l’écran, il fallait avoir une vue sur la zone 2 d’un côté et sur la zone 3 de l’autre. C’était compliqué mais pour les bonnes raisons : cela donnait de l’ampleur au film et cela situait immédiatement l’univers. Il a fallu construire les zones et les différencier l’une par rapport à l’autre dans une même image. Ce fut un travail conséquent et il nous a fallu beaucoup de temps pour fabriquer cette séquence qui nécessitait de nombreux immeubles. Mais finalement, cela donne quelque chose de formidable à l’écran, au point qu’on nous a demandé de rallonger de quatre fois le plan. C’était très gratifiant pour l’équipe.

Contrairement aux films américains à gros budget, qui sont souvent dans la démonstration de force en matière de VFX, votre travail est presque de vous rendre invisible pour le bien du film.

Effectivement, c’est toujours l’objectif. En l’occurrence, j’ai vite compris que le Paris qu’on dépeint ne pouvait pas être trop changé, car sinon, quel intérêt de tourner sur place ? Il s’agissait de l’amplifier, d’être aux bons endroits et de faire preuve de minutie. C’était un travail d’ampleur mais chirurgical.
 

Chien 51

Affiche de « Chien 51 »
Chien 51 StudioCanal

Réalisation : Cédric Jimenez
Scénario : Cédric Jimenez et Olivier Demangel
Production : Chi-Fou-Mi Productions
Supervision effets visuels : Cédric Fayolle
Distribution France : StudioCanal
Ventes internationales : StudioCanal

Soutien sélectif du CNC Aide sélective aux effets visuels numériques