De l'Opéra à l'Opéraims, un siècle de cinémas dans la ville des sacres

De l'Opéra à l'Opéraims, un siècle de cinémas dans la ville des sacres

06 juillet 2020
Cinéma
Cinéma L'Opéraims
Cinéma L'Opéraims Opéraims

Pendant près de 100 ans, les deux grandes salles du centre de Reims ont vécu des destins entremêlés, jusqu'à s'unir l'an dernier, dans une conjugaison raisonnée de leurs atouts respectifs. Explications avec le propriétaire des lieux, Jean-Fabrice Reynaud.


Les Rémois s'amusent parfois de son nom un peu désuet, mais si L'Opéraims s'appelle ainsi, c'est parce que le nouveau cinéma - qui a ouvert l'an passé dans le cœur de la ville des sacres - concentre un siècle d'histoire, que Jean-Fabrice Reynaud a tenu à préserver. Une histoire riche dans laquelle les destins des deux vieilles salles du centre se croisent et s'entrecroisent, au fil des décennies, des évolutions de la profession et des envies des spectateurs.

Tout commence en 1921, avec l'ouverture du Palais Rémois, une salle de spectacle de 1 600 fauteuils située en plein centre - sur la Place d’Erlon -, qui deviendra l'Empire en 1929 et projettera alors ses premiers films. À la même époque, en 1924, naît L'Opéra de Reims à quelques rues de là. Sa façade, classée aux Monuments historiques, est un bijou architectural de style Art Nouveau et Art Déco. Tandis que Gaumont prend possession de l'Empire en 1930, la Paramount cède L'Opéra à la famille Reynaud en 1957. « Il est dans le giron familial depuis cette date. C'était une salle de cinéma de 1 200 places réparties entre une scène avec fosse d'orchestre et un grand balcon que précède le foyer. On y faisait aussi des concerts. Moi-même, je me rappelle être allé voir Johnny Hallyday ou le groupe Ange à l'époque... », se souvient l'actuel directeur des lieux, Jean-Fabrice Reynaud.

Des complexes de centre-ville

Son père, Pierre Reynaud, décède dans un accident de voiture en juin 1968. Et c'est son frère, Daniel Reynaud, qui entreprend de transformer la salle unique en un complexe de 5 salles. L’une d’entre elles, qui comporte 800 places, est directement aménagée sous la coupole de l'ancienne salle qui pouvait s'ouvrir en cas de beau temps. « En fait, depuis 1973, L'Empire était devenu le Gaumont 123, un complexe comme la plupart des cinémas de l'époque. L'Opéra a fait de même en 1981 et en 1986, après le décès de mon oncle, j'ai racheté le cinéma à ma famille. »

Arrivent les années 1990 et la transformation drastique de la profession, avec la création du premier multiplexe en France en 1993 du côté de Toulon. « Les cinémas rémois cherchaient un emplacement pour monter leur propre projet. A l'époque, on s'était penchés sur un projet périphérique avec UGC, puisque j'avais commencé ma carrière comme chauffeur du président d'UGC dans les années 1970. Dans le même temps, Gaumont souhaitait créer son propre multiplexe. Mais ce qu'on ignorait, c'est que Kinépolis était aussi sur le coup, et avait également un projet, encore plus avancé que le nôtre ! Je suis donc allé voir Nicolas Seydoux et nous avons uni nos forces avec Gaumont. On a retenu le meilleur des deux projets, celui du multiplexe Gaumont dans la zone de Thillois, et on a trouvé des arguments auprès de la mairie pour maintenir en parallèle nos activités de cœur de ville. En tant qu'opérateurs historiques du 7e art à Reims, on s'est engagés à maintenir l'activité de centre-ville, avec un cinéma commercial (le Gaumont), et L'Opéra, qui a alors fait le choix de se transformer en salle d'art et essai.»

Une alliance de circonstance entre les rivaux historiques

Les deux complexes rivaux s'allient donc pour perdurer. Un virage historique drastique pour le cinéma familial de Jean-Fabrice Reynaud, qui change alors de stratégie commerciale pour s'adapter au nouveau paysage rémois : « A partir de l’an 2000 et pendant des années, les recettes du multiplexe Gaumont ont ainsi permis à l'Opéra de continuer à vivre, malgré une chute de la fréquentation de 50% liée à cette nouvelle programmation nous privant des blockbusters et autres. »

Mais rapidement, le propriétaire des lieux se rend compte que la situation ne pourra pas perdurer : « Au fur et à mesure, les gens qui fréquentaient le multiplexe en périphérie ont apprécié le confort, les écrans géants, le parking gratuit... Comparé aux complexes de centre-ville, les spectateurs ont vite vu la différence... Ne restaient plus en centre-ville que des consommateurs citoyens, qui privilégiaient les salles d'art et essai indépendantes. Mais chaque mois qui passait rendait nos salles de plus en plus obsolètes. A L'Opéra, on a même dû fermer la plus grande, inchauffable l'hiver, une fournaise l'été, à cause de sa coupole donnant sur l'air libre. »

« Faire cohabiter art et essai et cinéma commercial »

L'Opéra a alors cherché un moyen de transférer ses activités. « Sur notre site historique, après avoir fait de nombreuses études, nous nous sommes rendu compte qu'il était impossible de nous transformer en multiplexe. » Chemin faisant, le groupe Gaumont décide à son tour d'abandonner le centre-ville et propose donc de céder sa place et son bâtiment à L'Opéra, que Jean-Fabrice Reynaud rachète en 2017. En septembre 2019, L'Opéra déménage ses projecteurs, investit les murs du vieux concurrent rémois, et devient L'Opéraims : « Nous avons entrepris quelques travaux pour faire 11 salles en cœur de ville, et je crois que nous en avons tiré le maximum... Le bâtiment de l'époque a été détruit à 60%, et nous n’avons gardé que le rectangle principal. Nous avons recréé un beau foyer qui est un espace de réception et nous avons conservé la très belle façade à laquelle je tenais beaucoup, même si, cette dernière n'est pas classée aux Monuments historiques. Elle arbore, par le plus beau des hasards, trois grandes baies vitrées en arc de cercle, comme celle de L'Opéra ! Nous avons donc eu envie de reprendre ce détail pour en faire notre logo et c'est aussi pour cela que nous avons décidé d'appeler ce nouveau cinéma L'Opéraims. J'aurais trouvé dommage de perdre cette racine, c'est notre histoire ! »

Une histoire qui ne se limite pas à un logo ou à un nom. C'est aussi une manière d’envisager la fréquentation que Jean-Fabrice Reynaud a tenu à emmener avec lui à L'Opéraims : « On s'est donné comme objectif, au sein de ce multiplexe, de faire cohabiter tous les genres, avec un maintien de notre activité historique. Nous faisons donc au moins autant d'art et essai qu’avant à l'Opéra. C'était notre engagement fort (auprès de la mairie) et nous allons le tenir, malgré les circonstances actuelles [le confinement et la crise sanitaire, NDLR] pour la profession. Mon rêve, c'est que tous les publics cohabitent, qu'il y ait des passerelles, parce que la frontière entre l'art et essai et le cinéma commercial n'existe pas vraiment. Cela peut se jouer simplement à une séance en VO. Au bout du compte, tout cela nous permettra de faire passer l'histoire de l'Opéra dans l'Opéraims. »