Quels souvenirs gardez-vous du tournage de Ce qui me meut ?
Cédric Klapisch : Je me souviens d’un tournage très lourd. Pour un court métrage, c’était vraiment une espèce de superproduction ! Comme Ce qui me meut prenait la forme d’un vieux film muet, on tournait avec une caméra ancienne, avec une manivelle, et ça rendait le tournage particulier. A côté du caméraman, il y avait un tourneur de manivelle qui essayait de garder un rythme régulier. C’était assez technique, et en même temps on faisait tout pour que l’image soit mauvaise, un peu pourrie… C’était paradoxal : une superproduction, oui, mais avec un aspect volontairement bricolé.
Ce défi technique avait nourri votre désir de faire le film ?
Oui, ça m’excitait. Je parlerais plutôt de défi visuel. Et souvent, c’est vrai, les défis visuels au cinéma sont aussi techniques. C’était attirant, même si je ne me doutais pas de la somme de travail que ça représenterait. C’est compliqué de faire à la fois quelque chose de sophistiqué et de « low-tech », comme on dit. Mais c’est ce qui faisait le charme du film. C’était un film d’époque, ce qui n’est pas courant pour un court métrage, un film qui se passait en 1900, avec des costumes, des décors, toute une infrastructure technique… Ça donnait vraiment à l’ensemble un côté Ben-Hur du pauvre ! (Rires)
Comment et pourquoi vous étiez-vous intéressé à la figure d’Etienne-Jules Marey ?
Mon désir de faire un faux vieux film était vraiment lié à Zelig de Woody Allen. J’avais adoré ce concept de la fausse archive et j’avais le sentiment que Woody Allen venait de créer un nouveau genre cinématographique, comme le western ou la comédie musicale. Je venais de passer deux ans dans une école de cinéma à New York, j’avais fait là-bas le court métrage In Transit et, en revenant à Paris, je devais prouver aux gens que je savais faire des films.

Sa vie est ultra intéressante, il y avait plein de choses à raconter. J’ai mis beaucoup de temps – deux ans – à écrire le court métrage. Le film a un côté farce, comédie, mais il est très documenté. Ce que je trouvais intéressant, c’était l’idée que le cinéma avait été inventé par hasard par un chercheur, un scientifique. Marey a inventé un outil, et il n’a pas trop su quoi en faire, à part étudier la locomotion chez les animaux, c’est-à-dire quelque chose qui était plus du domaine de la physiologie et de la médecine. Il a ensuite donné son outil aux frères Lumière qui, eux, l’ont rendu plus industriel, commercial et artistique.
Avez-vous revu votre film récemment ?
Pas récemment, non. Je l’avais revu quand on avait fait un nouvel étalonnage pour sa sortie vidéo, il y a huit ou dix ans.
Et quels sentiments aviez-vous éprouvés alors ?
J’étais impressionné ! (Rires) Je ne pensais pas que c’était aussi sophistiqué… J’ai réalisé avec le recul que j’avais bien fait les choses, autant dans la reconstitution que dans le projet lui-même. Pour un premier film, je m’étais quand même confronté à quelque chose de complexe. Et c’est assez réussi parce que c’est assez « entier ». Par la suite, en faisant des longs métrages, je me suis d’ailleurs longtemps dit que je n’avais plus réussi à fabriquer quelque chose d’aussi élaboré, où le fond et la forme sont autant liés, autant travaillés. C’était vraiment bien fait. A l’époque, certains n’arrivaient pas à croire que c’était une reconstitution. Il y a eu des projections où les gens n’arrivaient même pas à comprendre le projet du film ! C’était très bizarre.
Quelques années après, avec Forgotten Silver, Peter Jackson réalisait un film sur un concept assez proche du vôtre. C’est un peu comme si une nouvelle génération arrivait avec l’intention de jeter sur l’histoire du cinéma un regard nouveau, à la fois révérencieux et léger, dans un mélange de sérieux et de fantaisie…
Oui, il y avait de ça. Il faut se rappeler qu’à l’époque, les gens ne juraient que par la Nouvelle Vague. On ne pouvait pas faire autre chose. Ce film, c’était une façon de dire : il y a eu d’autres gens avant, plein d’autres courants importants, notamment tous ceux qui ont inventé le cinéma, Méliès, Lumière, Alice Guy… C’était une manière de remettre les pendules à l’heure, pas seulement par rapport à moi, mais aussi, plus globalement, par rapport à l’histoire du cinéma.
Vous avez eu le sentiment d’être entendu ?
Pas du tout ! (Rires) Il n’y a que moi qui ai compris le message…Même si, en réalité, on était plusieurs dans cette génération, avec Jean-Pierre Jeunet ou Mathieu Kassovitz, à faire des courts métrages au même moment et à souhaiter revenir à des choses plus anciennes. Des choses qui étaient considérées comme ringardes. A l’époque, les premiers films de Jean-Pierre Jeunet se référaient beaucoup au réalisme poétique, à Marcel Carné, aux années 40-50, et ce n’était pas branché du tout. Ce qui était moderne, c’était le cinéma post-Nouvelle Vague. Malgré tout, on a réussi à affirmer que d’autres choses comptaient, que René Clair, par exemple, était quelqu’un d’extrêmement inventif, que Julien Duvivier était important… Ça n’a peut-être pas été compris ou entendu à l’époque, mais au moins on l’a dit.
Est-ce qu’Etienne-Jules Marey annonce à vos yeux les futurs héros « klapischiens » ?

Marey avait cette créativité scientifique que j’ai toujours aimée chez des gens comme Boris Vian ou Raymond Queneau. Et puis, il y a le thème du mouvement… On dit que le cinéma, c’est des images et des sons, mais il ne faut pas oublier le mouvement, qui est fondamental. Le cinéma est né parce que quelqu’un a étudié le mouvement. Le titre, Ce qui me meut, joue sur le fait que le mot émotion fait appel au mouvement. Être ému, c’est être en mouvement. C’est une idée fondatrice pour tous les films que j’ai pu faire ensuite.