Disparition de Michel Legrand, compositeur aux trois oscars

Disparition de Michel Legrand, compositeur aux trois oscars

26 janvier 2019
Cinéma
Il était une fois… Les Parapluies de Cherbourg, de Serge July et Marie Genin
Il était une fois… Les Parapluies de Cherbourg, de Serge July et Marie Genin CNC Images de la culture
Couronné de 3 Oscars et de deux Palmes d’Or, Michel Legrand a écrit près de 200 musiques de films. Compositeur de génie, il signa quelques-unes des plus belles partitions du cinéma : Les Parapluies de Cherbourg de Jacques Demy, L’Affaire Thomas Crown de Norman Jewison, Un été 42 de Robert Mulligan, Yentl de Barbra Streisand. Retour sur un artiste légendaire, qui a bercé des générations de cinéphiles.

Né en 1932, Michel Legrand grandit dans une famille de musiciens. Son père, Raymond Legrand, est compositeur  (il a signé notamment les musiques des films Manon des Sources de Marcel Pagnol et Carnaval d’Henri Verneuil), son oncle, Jacques Hélian, est chef d’orchestre.  

Il entre au Conservatoire de Paris à l’âge de dix ans, où il étudie le solfège, le piano, et une dizaine d’instruments  auprès de Lucette Descaves et Nadia Boulanger. En 1949, Michel Legrand découvre le jazz et débute une carrière d’accompagnateur et d’arrangeur auprès de grands noms de la chanson française : Juliette Gréco, Henri Salvador, Zizi Jeanmaire, Charles Aznavour. Après une première expérience en 1955 sur le film Les Amants du Tage d’Henri Verneuil pour lequel il compose le thème principal, Michel Legrand écrit la musique du documentaire L'Amérique insolite de François Reichenbach, qui le fait connaître des metteurs en scène de la Nouvelle Vague. Il s’impose dès lors comme un compositeur incontournable. Il raconte : « Rapidement, avec Godard, Demy, Truffaut, Varda, Delerue, on a formé une famille, un collectif de création. On se retrouvait au bureau des Cahiers du cinéma, autour de Doniol-Valcroze. Souvent, les metteurs en scène commençaient à tourner sans être certains de pouvoir terminer leur film ! On a passé quelques années à travailler dans l’enthousiasme et la liberté, sans aucun sens de la logistique ni du commerce. On avait vraiment le sentiment de repartir à zéro. »

 

Palme d’or pour Les Parapluies de Cherbourg

Michel Legrand entame une belle et longue histoire d’amour avec le cinéma. Il met en musique plusieurs films de Jean-Luc Godard (Une Femme est une Femme avec Anna Karina, La Chinoise, Bande à part), mais aussi Cléo de 5 à 7 d’Agnès Varda (1962) dans lequel il joue le rôle du pianiste. Sa rencontre avec Jacques Demy, l’époux d’Agnès Varda, est décisive. Après avoir écrit la musique de Lola, suite au désistement de Quincy Jones, le compositeur imagine l’une des belles partitions du cinéma français : celle des Parapluies de Cherbourg (1964). Le film, entièrement chanté, obtient la Palme d’Or au Festival de Cannes 1964 et est nommé aux Oscars en 1966. Le réalisateur et le compositeur écrivent ensemble une dizaine de films au cours des trente années d’amitié qui les lient, parmi lesquels de grands films musicaux devenus, pour certains, des classiques du cinéma : Les Demoiselles de Rochefort (1967), Peau d’âne (avec Catherine Deneuve et Jean Marais, 1970), Trois Places pour le 26 (avec Yves Montand, 1988). De cette époque, il raconte : «  Nous ne faisions pas d'argent, pas ou peu d'entrées, mais nous faisions du cinéma. Les réalisateurs commençaient les films sans savoir qui allait payer. Le premier Demy, Lola, était muet. Il n'avait pas eu les moyens de s'offrir un preneur de son. Tout le cinéma, alors, était comme ça. De l'amour pur.»
Capable de s’adapter à toutes les grammaires cinématographiques, Michel Legrand conçoit la musique de film comme un second dialogue. Selon lui, « un musicien de cinéma doit être comme une plaque photographique sensible. Il lui faut impérativement adhérer au contenu du film, en devenir un élément de l'intérieur. Avec aussi l'impératif d'être capable de s’exprimer dans tous les styles possibles, sans aucune limitation. » Il collabore ainsi avec des cinéastes aux univers artistiques très différents, comme Gilles Grangier (Le Cave se rebiffe, 1961, sur des dialogues de Michel Audiard), Chris Maker (Le Joli mai, 1962), Yves Robert (Monnaie de singe, 1966).
 

Deux Oscars et une deuxième Palme d’Or

Michel Legrand, qui a eu l’occasion de travailler à plusieurs reprises aux Etats-Unis - accompagnant Maurice Chevalier, dont il était le directeur musical, au cours de ses tournées, ou dirigeant des sessions de studio à New York – s’installe à Los Angeles en 1966.  Il écrit la bande originale de L'Affaire Thomas Crown de Norman Jewison, avec Steeve McQueen et Faye Dunaway. La chanson originale Les Moulins de mon cœur (The Windmills Of Your Mind, dont le texte français est signé Eddy Marnay, et le texte anglais Alan et Marilyn Bergman) est récompensée de l'Oscar de la meilleure chanson originale de film en 1969.
Il renouvelle l’exploit en 1972 en remportant l'Oscar de la meilleure musique de film pour Un Eté 42, de Robert Mulligan, célèbre pour son thème The Summer Knows interprété par Barbra Streisand. Le musicien devient une référence incontournable et travaille avec les plus grands réalisateurs. Avec le cinéaste américain Joseph Losey, avec qui il collabore à plusieurs reprises, il obtient un nouvelle Palme d’or pour le film Le Messageren 1971.
Artiste prolifique, Michel Legrand compose la même année la musique du film Breezy de Clint Eastwood (1973), L’Impossible Objet de John Frankeinhemer, Les Trois mousquetaires de Richard Lester. Il n’oublie le cinéma français, composant pour Jacques Deray (La Piscine avec Romy Schneider et Alain Delon, 1968), Jean-Paul Rappeneau (Les Mariés de l'an II, 1971, Le Sauvage, 1975), Louis Malle (Atlantic City, 1981), Claude Lelouch (Les Uns et les autres, 1981). De son rapport à la création d’une œuvre, il explique : «  A mon sens, l'écriture des films est plus importante que leur réalisation. Le moment où je ressens le plus de bonheur, c'est dans l'invention de l'ouvrage, dans la création pure, le tournage, le montage, la sortie du film viennent après. Je me trompe peut-être mais c’est ainsi que je vois les choses. Pour moi, il est plus exaltant d’être plongé dans l’écriture, de noircir les partitions, d’inventer à partir de rien. »
 

Troisième Oscar pour Yentl

Compositeur à part, Michel Legrand écrit une musique d’une folle inventivité, composant la plupart des bandes originales de films à partir de mélanges insolites. En 1983, sa curiosité insatiable l’incite à imaginer la partition de Jamais plus Jamais, le dernier James Bond incarné par Sean Connery, réalisé par Irvin Kershner. L’année suivante, son travail sur Yentl de Barbra Streisand est récompensé d'un nouvel Oscar.
Michel Legrand décide de refermer le chapitre hollywoodien pour tenter de nouvelles aventures : « Une fois de plus, j'ai eu envie de changer de vie. J'ai alors fait moins de musiques de film, j'ai écrit des comédies musicales, je me suis essayé à la réalisation, et même à la chanson. »  Il clôt la décennie en composant, à l’occasion du  bicentenaire de la Révolution, un oratorio à Lyon, d'après la Déclaration des Droits de l'Homme. Il passe également derrière la caméra pour réaliser son premier film, Cinq jours en juin, avec Sabine Azéma et Annie Girardot, qui reçoit un succès mitigé. 
Compositeur de 200 musiques de film
L’artiste aux innombrables talents repart sur les routes avec son orchestre et accompagne Ray Charles, Björk,  Diana Ross, décroche une Victoire de la Musique pour son travail sur l’album Vertigo de Jean Guidoni en 1995, célèbre un demi-siècle de carrière à la Cinémathèque française en 2009 et crée en 2013 son premier opéra, Dreyfus, à l’Opéra de Nice. Face à cet enthousiasme débordant, il reconnaît : « J’'aime tellement faire plusieurs trucs à la fois, bouger, changer de pays, de maison. Peut-être parce que j'ai compris très tôt que la diversité des activités préserve de l'uniformité. Et que, si je devais me cantonner à un seul domaine, je sais que ma vie s'arrêterait ».

Son histoire d’amour avec le cinéma se poursuit avec Prêt-à-porter de Robert Altman (1994), La Bûche de Danièle Thompson (1999), Oscar et la Dame rose d’Eric-Emmanuel Schmitt ou encore Les Gardiennes de Xavier Beauvois (2017). Michel Legrand s’est imposé comme un musicien majeur, ayant mis en musique plus de 200 films, parmi lesquels des chefs d’œuvre du cinéma.  Le secret de ses compositions ? « Une bonne musique de film doit être un véritable personnage, elle doit parler, vibrer ! » 

 

Michel Legrand en quelques films, disponibles en VàD :

1964 : Les Parapluies de Cherbourg de Jacques Demy
1970 : Un été 42 de Robert Mulligan
1976 : Vérités et mensonges d’Orson Welles
1980 : Atlantic City de Louis Malle
1985 : Partir, revenir de Claude Lelouch
1999 : La Bûche de Tonie Marshall
2017 : Les Gardiennes de Xavier Beauvois