La comédie musicale reste rare dans le cinéma français. Comment avez-vous défendu un projet comme Les Reines du drame ?
Alexis Langlois : L’aspect « comédie musicale » a fermé plus de portes qu’il n’en a ouvertes. Heureusement, j’ai réussi à proposer un univers singulier avec mes courts métrages. Les personnes qui les connaissaient étaient plutôt enthousiastes à l’idée de ce premier long, qui s’inscrivait dans une certaine continuité. Je m’étais déjà essayé à l’exercice en 2017 avec mon court baptisé À ton âge le chagrin peut vite passer. L’aide du CNC répondant à l’appel à projets Films de genre, obtenue en amont de la production, nous a beaucoup aidés. Plusieurs distributeurs se sont également montrés intéressés. L’autre force sur laquelle je pouvais m’appuyer est la fidélité de mon équipe technique au fil des années. La dimension musicale du film s’est imposée d’elle-même. Les Reines du drame repose sur un récit organique. La forme même du film se modifiait en fonction de ce que vivaient les personnages et la façon dont jaillissaient leurs émotions. Beaucoup de personnes nous ont mis en garde contre le nombre important de compositeurs et compositrices pour l’écriture des chansons. Cela nécessitait une logistique importante mais pleinement justifiée. Le film raconte l’histoire de deux personnes qui, parce qu’elles viennent d’univers différents, sont empêchées de s’aimer. Cette pluralité dans la composition était déjà une manière de créer du lien.
Quelles étaient les ambitions artistiques des Reines du drame ?
Je voulais réaliser un mélodrame ouvertement queer, qui plus est musical… Certains ont été déroutés, voire méfiants. C’est vrai que l’on a plutôt l’habitude de voir des chroniques réalistes. Pour moi, l’artificialité revendiquée du film est le moyen d’accéder aux émotions très intimes et profondes des personnages. Il a fallu trouver des partenaires en phase avec ces idées… Les chaînes de télévision ont été, par exemple, frileuses et n’ont pas voulu s’engager sur le film avant sa réalisation. Mais avec mon équipe, nous avancions tous dans le même sens, avec une vision claire de ce que nous cherchions à obtenir, que ce soit Marine Atlan à l’image, Rebeka Warrior, Yelle, Pierre Desprats, Mona Soyoc et Louise BSX à la musique, mes coauteurs Carlotta Coco et Thomas Colineau… Sans oublier Inès Daïen Dasi, la productrice. Ils sont tous arrivés très en amont du projet, deux ans avant le début du tournage pour les musiciens et un an de plus pour les autres. Chacun savait de quelle manière nous avions envie de raconter cette histoire, politiquement, esthétiquement…
Comment l’économie du film a-t-elle influé directement sur la création ?
Le budget restreint nous a obligés à revoir certaines choses sans pour autant faire de concession sur l’essentiel. Il a donc fallu faire preuve d’imagination. À l’approche du tournage, j’ai dû enlever vingt pages du scénario et donc repenser la dramaturgie. L’équipe responsable de la décoration - dont Barnabé d’Hauteville et Anna Le Mouël - a fait des merveilles avec ce dont elle disposait. Faire beaucoup avec peu, c’est une leçon que l’on apprend en réalisant des courts métrages. Nous venons d’une école très artisanale. Le film a été tourné en seulement vingt-cinq jours. Une fois les choses mises en place, l’incarnation des acteurs et actrices a ajouté un surcroît d’âme à notre travail. Nous avons travaillé pendant huit mois quasiment tous les week-ends pour nous préparer.
Qu’avez-vous supprimé dans le scénario ?
Outre quelques chansons, il a fallu parfois resserrer la dramaturgie, aller à l’essentiel. Prenez la séquence tendue au téléphone entre Mimi Madamour et sa mère. J’avais d’abord écrit plusieurs séquences entre les deux personnages pour nous préparer à ce moment. Je les ai enlevées pour être immédiatement dans le vif du sujet. Je pense que ces coupes ont été profitables au film, m’obligeant à être à l’os. Ma plus grande crainte à l’écriture, mais aussi au tournage, était que l’on ne croit pas à cette histoire d’amour. Pour que la dimension mélodramatique affleure vraiment, j’en avais rajouté au maximum.
Quelles ont été vos influences ?
Esthétiquement et formellement, les mélos de Douglas Sirk me guidaient. Et mon intérêt pour le cinéma de Rainer Werner Fassbinder ou Todd Haynes, grands admirateurs de Sirk, n’est pas anodin. Tous ces cinéastes ont démontré la façon dont les conventions sociales, la morale, tentent de séparer les êtres. C’est très politique.
Vos influences sont donc plus hollywoodiennes que françaises ?
C’est vrai que spontanément j’avais les films de Bob Fosse, Stanley Donen, George Cukor, le Brian De Palma du Phantom of the Paradise en tête… Toutes ces références proviennent de mon enfance où étrangement Jacques Demy était absent. J’ai vraiment découvert son cinéma il y a dix ans et il occupe désormais une place très importante. Je pourrais aussi citer Jean Cocteau, Georges Franju, Alain Resnais… Lorsque j’étais à la fac et aux Beaux-Arts, la découverte du cinéma de Yann Gonzalez m’a beaucoup inspirée : il a ouvert la voie à un cinéma plus queer, alternatif.
Les Reines du drame se déroule presque exclusivement en studio. Dans quels espaces avez-vous travaillé ?
La rencontre avec Benoît Roland de la société de production belge Wrong Men a été déterminante. Nous avons tourné dans l’enceinte d’une ancienne imprimerie de billets de banque à Bruxelles, un lieu vraiment fou avec des chambres fortes… Nous avons utilisé des morceaux de ce bâtiment pour en faire notre propre studio. Anna Le Mouël a conçu ce que l’on a appelé « la boîte noire », un cube au sein duquel nous pouvions tourner sans être dérangés par la lumière du jour. L’endroit où nous tournions était très lumineux. La théâtralité était pleinement assumée. À l’origine, nous voulions filmer des séquences dans la rue mais cela aurait rajouté des coûts. Seul le clip du morceau Pas Touche a été tourné en extérieurs.
LES REINES DU DRAME
Réalisé par Alexis Langlois
Écrit par Alexis Langlois, Carlotta Coco, Thomas Colineau et Pierre Desprats
Musique originale : Rebeka Warrior
Image : Marine Atlan
Décoration : Anna Le Mouël et Barnabé d’Hauteville
Production : Les Films du Poisson
Distribution France : Bac Films
Ventes internationales : Charades
Sortie le 27 Novembre 2024
Soutiens du CNC : Aide sélective VFX, Soutien au scénario (aide à l'écriture), Appel à projets Films de Genre (2021), Aide à la création de musiques originales, Aide sélective à la distribution (aide au programme 2024)