Entretien avec Marie Rémond : « Le Voyage de G. Mastorna de Fellini est une formidable matière théâtrale »

Entretien avec Marie Rémond : « Le Voyage de G. Mastorna de Fellini est une formidable matière théâtrale »

19 avril 2019
Cinéma
Tags :
Le Voyage de G. Mastorna
Le Voyage de G. Mastorna Vincent Pontet, coll.CF.
Après Huit et demi et Juliette des esprits, Federico Fellini s’attèle à son prochain film et imagine le scénario du Voyage de G. Mastorna. L’histoire, inspirée de la Divine comédie, est celle d’un grand violoncelliste – alors interprété par Marcello Mastroianni - qui se retrouve à errer dans un au-delà baroque après un accident d’avion. Mais les problèmes techniques à répétition, les tensions entre le producteur Dino De Laurentiis et le cinéaste, et les angoisses omniprésentes de celui-ci ont raison du film. Projet sans cesse repoussé, Le Voyage de G. Mastorna n’a jamais été réalisé. Il en subsiste le scénario, dont Marie Rémond s’est inspirée pour mettre en scène la préparation du film par Fellini et ses équipes. Elle nous raconte la genèse de la pièce, à découvrir à la Comédie-française (Vieux colombier) jusqu’au 5 mai 2019.

Comment est né ce projet d’adapter Le Voyage de G. Mastorna de Federico Fellini ?

Marie Rémond : En 2015, j’ai adapté et mis en scène avec Sébastien Pouderoux Comme une pierre qui…, d'après Greil Marcus, pour la Comédie-française, au Studio-théâtre. Après cette première collaboration, Eric Ruf, l’administrateur de la Comédie-française, m’a proposé de mettre en scène une nouvelle pièce. Je venais de découvrir le synopsis du Voyage de G. Mastorna que Federico Fellini avait écrit avec Dino Buzzati et Brunello Rondi. J’ai très vite été intriguée par l’histoire autour du scénario, plus que par le scénario lui-même d’ailleurs. Ce projet maudit qui a habité Fellini jusqu’à sa mort, les doutes profonds qu’il rencontre alors et le paralysent, sa projection sur le personnage de Giuseppe Mastorna, cette mise en abyme fascinante dans laquelle le cinéaste et le personnage finissent par se confondre… J’y ai vu une formidable matière théâtrale qu’il me tardait d’explorer.

Il y a plusieurs niveaux de narration dans la pièce, où se mêlent rêve et réalité. Pourquoi ce choix de mise en scène ?
Marie Rémond : En effet, j’ai choisi d’aborder deux pans de narration : le réalisateur au travail et donc, la vie d’un plateau de tournage au moment des essais, et la crise existentielle que traverse Fellini, qui devient lui-même un personnage à part entière. Il faut préciser qu’à cette époque, le cinéaste, réputé pour sa superstition, consultait régulièrement le célèbre mage Gustavo Rol, qui lui avait prédit que le tournage du film aurait entraîné sa mort. Mastorna est ainsi un double de Fellini. Ce jeu de miroir entre l’artiste et son personnage était pour moi la clé de la pièce. Le fait d’effacer cette frontière entre le réel et l’imaginaire, d’inclure des échappées oniriques, comme la scène où Fellini dort seul dans son décor de cinéma, était aussi une manière de questionner le processus créatif, impacté par les doutes, les angoisses, la peur de la mort que rencontre le cinéaste. Cette question de l’identité, cette sensation d’être prisonnier du regard des autres, le fait de chercher sa place, de devoir prouver qui l’on est… toutes ces questions que le personnage de Mastorna se pose résonnent aussi bien chez le réalisateur, le comédien mais aussi chez le spectateur.

Comment adapte-t-on un scénario de film au théâtre ?
Marie Rémond : C’est justement ce que je voulais éviter ! Je ne me serais pas risquée à mettre en scène des images que Fellini n’a jamais tournées. J’ai d’ailleurs gommé volontairement tout le vocabulaire lié au tournage pour insister sur le fait que nous sommes bien en pré-tournage, au moment des essais. Ce qui m’intéressait, c’est de faire résonner l’histoire onirique que raconte le film avec celle de son tournage imaginaire. Pour cela, nous avons réuni, avec Thomas Quillardet et Aurélien Hamard-Padis, avec qui j’ai adapté Le Voyage de G. Mastorna, une matière de travail particulière dense. J’ai pu non seulement m’appuyer sur le synopsis du film mais aussi sur la bande dessinée que Fellini a réalisée peu de temps avant de mourir avec Milo Manara. Je me suis également inspirée de l’ambiance de certains de ses films, tels que Huit et demi qu’il venait de terminer avant d’imaginer Le Voyage de G. Mastorna, de correspondances avec son producteur, de son journal de bord qu’il tenait au moment du tournage et dans lequel il évoquait déjà ses angoisses de mort. Le documentaire Bloc-Notes d’un cinéaste, dans lequel Fellini évoque, au milieu des ruines du décor, son projet interrompu deux ans plus tôt m’a été également précieux : il m’a permis de partir d’un cadre concret et de retracer l’histoire de Mastorna.

Quelles difficultés avez-vous rencontrées ?
Marie Rémond : Le manque de temps ! Il s’est écoulé 1 an et demi entre le moment où j’ai commencé à me documenter et la première de la pièce. En tant que metteure en scène, je trouve très enrichissant de partir d’une matière autre que le théâtre, d’apporter un regard différent sur l’œuvre que l’on adapte. Cela nourrit le dialogue artistique. Mais cela demande beaucoup de recherches documentaires et implique un travail préparatoire particulièrement chronophage. Nous avons eu très peu de temps pour les répétitions avec la troupe du Français, ce qui aurait pu être déstabilisant. Mais les comédiens, habitués à jouer pour des metteurs en scène chaque fois différents, sont dans l’accueil et la générosité en termes de jeu. Nous avons beaucoup improvisé pendant les répétitions, ce qui leur a permis de s’approprier plus rapidement leur personnage. Ils ont été force de proposition et ont insufflé leur créativité à la pièce.

Le Voyage de G. Mastorna, d’après Federico Fellini, mise en scène de Marie Rémond, jusqu’au 5 mai 2019 à la Comédie-française (Vieux colombier).


 

 

Le Voyage de G. Mastorna - ©Vincent Pontet, coll.CF.
Le grand violoncelliste Giuseppe Mastorna joué par Laurent Lafitte - ©Vincent Pontet, coll.CF.
La vie d'un plateau de tournage mis en scène par Marie Rémond - ©Vincent Pontet, coll.CF.
Serge Bagdassarian interprète le réalisateur Federico au travail - ©Vincent Pontet, coll.CF.
L'ambiance de Huit et demi influence la pièce de théâtre - ©Vincent Pontet, coll.CF.
 
 
 

 

 Marie Rémond

Après une formation au Théâtre national de Strasbourg, Marie Rémond s’illustre dans plusieurs pièces telles que Sallinger de Bernard-Marie Koltès, L’affaire de la rue Lourcine d’Eugène Labiche... Dans le cadre du festival En avant les Pays-Bas, elle met en espace Le jour, et la nuit, et le jour après la mort de Esther Gerritsen au Théâtre de l’Odéon en 2010, puis met en scène Dramuscules de Thomas Bernhard, La Remplaçante de Thomas Middleton et William Rowley ou encore Promenades de Noëlle Renaude.
Elle coécrit avec Sébastien Pouderoux et Clément Bresson André à partir de l’histoire du tennisman André Agassi (2011) et Vers Wanda, un spectacle autour de l’actrice et réalisatrice Barbara Loden (2013). En 2014, elle joue dans Yvonne, princesse de Bourgogne mis en scène par Jacques Vincey, pour lequel elle obtient le Molière de la révélation féminine.
Pour sa première collaboration à la Comédie-française, elle retrouve Sébastien Pouderoux avec qui elle signe en 2015 l’adaptation et la mise en scène de Comme une pierre qui… d’après le livre de Greil Marcus, Like a Rolling Stone, Bob Dylan à la croisée des chemins.
En 2019, de nouveau invitée à collaborer avec le Français, elle adapte et met en scène Le Voyage de G. Mastorna d’après le scénario de Federico Fellini. Cette même année, elle cosigne avec Thomas Quillardet l’adaptation et la mise en scène de Cataract Valley d’après la nouvelle Camp Cataract de Jane Bowles, au théâtre de l’Odéon en mai 2019.