Films de prison : les murs de l’enfer

Films de prison : les murs de l’enfer

05 décembre 2018
Cinéma
Un prophète de Jacques Audiard
"Un prophète" de Jacques Audiard Roger Arpajou
Le monde de la prison a toujours suscité fantasmes et extrapolations. A l’écran, cet univers clos permet des récits immersifs et violents. Alors que les journées d’études internationales 2018 se posent la question de la représentation des Français sur la prison, sélection de films se déroulant entre quatre murs.

Les Démons de la liberté de Jules Dassin (1948)

Ces Démons de la liberté tournés à la fin des années 40, lancent définitivement la carrière de l’Américain Jules Dassin qui signera dans la foulée les films noirs qui feront sa renommée : La Cité sans voiles, Les Forbans de la nuit, Du rififi chez les hommes…  La dimension sociale et politique de ce drame ne laisse aucun doute sur les convictions politiques du cinéaste. Les prisonniers réunis dans la cellule R-17 sont tous des hommes présentés comme des victimes d’un monde corrompu et violent. Leur gardien en chef renvoie, lui, l’image d’un être tyrannique, sadique et assoiffé de pouvoir. Dès lors l’évasion qui se prépare tient plus de la survie que de l’acte criminel.

Les Révoltés de la cellule 11 de Don Siegel (1954)

Don Siegel joue ici  la carte de la fiction documentaire. Le film a été tourné dans une vraie prison (celle de Folsom en Californie) avec des vrais détenus à la figuration. Comme pour Les Démons de la liberté, le scénario entend dénoncer les mauvais traitements dans les prisons américaines. Des mauvais traitements qui incitent ici les prisonniers à organiser une révolte, non pour retrouver une liberté perdue mais une dignité confisquée. Le réalisme de la mise en scène a choqué plusieurs comités de censure et notamment au Royaume-Uni où le film a été longtemps interdit. C’est le producteur du film, Walter Wanger qui en est à l’initiative après avoir lui-même purgé une courte peine.

Un Condamné à mort s’est échappé de Robert Bresson (1956)

Ce film, à la mise en scène aussi tranchante qu’épurée, préfigure un autre grand classique du film de prison français : Le Trou de Jacques Becker (1960). Tout comme Bresson, Becker jouait alors la carte de l’immersion totale avec une gestion minutieuse de l’espace et du temps. Un Condamné à mort s’est échappé est le récit d’un résistant français enfermé dans une prison lyonnaise par les Allemands en 1943. Seul dans sa cellule, coupé du reste du monde, l’homme imagine un plan d’évasion en solitaire avant de voir ses plans contrariés. Robert Bresson, fidèle à son cinéma dépouillé de tout effet inutile, recherche ici un certain dénuement stylistique. Dans le rôle principal, le futur cinéaste François Leterrier est au diapason, mesurant chacun de ses gestes, même les plus anodins, pour en révéler leur importance. Le film a obtenu le Prix de la mise en scène au Festival de Cannes en 1957.

L’Enfer dans la ville de Renato Castellani (1959)

La vitalité de ce face à face au sommet entre deux icones du cinéma italien -  Anna Magnani et Giulietta Masina - repose en grande partie sur le profil de ses deux interprètes. Ou comment une jeune fille naïve exploitée par des patrons sans scrupules (Masina) va apprendre en prison à se défendre face aux injustices de la société au contact de son parfait contretype (Magnani). Renato Castellani ne se repose pas sur ce rapport de force à priori conventionnel mais va s’employer au contraire à le renverser.  Ce film fiévreux, qui ressort en copies restaurées le 9 janvier, a été tourné dans une ancienne prison de femmes à Rome avec d’ex-détenues. La fougue d’Anna Magnani avait été logiquement récompensée d’un prix David di Donatello (les César transalpins) en 1959.

Papillon de Franklin J. Schaffner (1973)

Inspiré de la véritable épopée d’Henri Charrière qui fera de son passé de bagnard en Guyane un best-seller baptisé Papillon en 1969, le film de Franklin J. Schaffner prend beaucoup de libertés avec la réalité, n’hésitant pas à forcer le trait sur les conditions infernales de détention. L’adaptation pour le cinéma de cette autobiographie est signée Dalton Trumbo, longtemps mis au ban d’Hollywood pour ses sympathies avec le communisme. Roman Polanski devait initialement réaliser le film avec Belmondo en Papillon. Ce sera finalement Steve McQueen associé ici à Dustin Hoffman. McQueen, qui décédera 7 ans après la sortie du film, trouve ici l’un de ses derniers grands rôles sur grand écran. La désolation de cette île-prison écrasée de soleil qui sert de cadre à l’ensemble, donne à cette histoire d’évasion une dimension quasi-mythologique. Le film a fait cette année l’objet d’un remake signé Michael Noer.

Bronson de Nicolas Winding Refn (2008)

Ce film brutal s’inspire de l’histoire aussi vraie qu’absurde de Michael Gordon dit Charles Bronson, surnommé « le détenu le plus dangereux d’Angleterre ». Et de fait, l’homme a passé la majeure partie de sa vie entre quatre murs dont 35 ans à l’isolement. Incarcéré pour un braquage raté en 1974, cet ancien boxeur verra tout au long de sa vie sa peine prolongée à cause de ses accès de violence. Incarné par un Tom Hardy méconnaissable doté d’un corps boursoufflé de muscles, Bronson est envisagé comme un animal agressif toujours prêt à bondir et dénué de sens moral. Le Danois Nicolas Winding Refn, révélé avec sa trilogie Pusher, use d’une mise en scène aussi nerveuse que son personnage, et manie une ironie grinçante propre à désamorcer tout regard critique sur ce parcours.

Un Prophète de Jacques Audiard (2009)

La prison comme une école de la vie en accéléré. Le héros de ce Prophète a 19 ans, ne sait ni lire ni écrire et regarde le monde avec l’innocence d’un jeune homme sans qualité. Jusqu’au jour où il intègre un groupe de prisonniers et accepte de participer à leurs combines. Jacques Audiard part de cette « matière » a priori vierge pour dessiner la trajectoire d’un être exceptionnel, passant de la figure sacrificielle d’un être courbant l’échine sans mot dire à celle d’un homme dangereux ayant mis sournoisement à profit son éducation criminelle. Audiard, récompensé d’un Grand Prix au festival de Cannes, révèle Tahar Rahim qui réalise pour ce rôle, un doublé historique aux César : meilleur acteur et meilleur espoir.