Focus sur « Souvenir souvenir », primé à Sundance

Focus sur « Souvenir souvenir », primé à Sundance

Souvenir Souvenir de Bastien Dubois
BLAST production - Pictanovo - Arte France BLAST production - Pictanovo - Arte France

Le réalisateur Bastien Dubois vient d'être honoré lors de la 37e édition du festival de Sundance pour son court métrage Souvenir Souvenir. Un film autobiographique, évoquant un grand-père et les non-dits de son expérience durant la guerre d'Algérie, qu'il décrypte ici et que nous vous proposons de découvrir du 5 au 7 mars.


Après Madagascar, carnet de voyage, nommé aux Oscars en 2011, vous venez de recevoir le Prix du Jury à Sundance, en février. Sur un sujet aussi particulier que La Guerre d'Algérie, comment expliquez-vous que votre travail puisse parler aux gens du monde entier et plus particulièrement aux USA ?

Quand j'ai fait Madagascar, il y a eu un bel engouement international, mais avec Souvenir Souvenir, je me disais que ce n'était pas le genre de film qui pourrait fonctionner de la même façon. C'est un film bavard, sur une histoire franco-française, autour de la guerre d'Algérie comme vous l'avez rappelé... Je n'ai donc pas du tout fait ce film en pensant qu'il aurait une carrière à l'étranger, mais je le trouvais nécessaire. Pourtant, les sélectionneurs de Sundance et d'autres festivals d'ailleurs, m'ont très vite expliqué qu'ils se reconnaissaient aussi dans ce genre de problématiques. En tant qu'Américains, ils ont également ce genre de tabous familiaux à régler. Evidemment, chez eux, c'est lié à d'autres guerres, comme le Vietnam ou l'Irak. On peut s'identifier au propos du film assez facilement et au bout du compte, ce n'est pas tant un film sur l'Algérie ou la guerre d'Algérie, qu'une œuvre sur les gens qui reviennent, cassés, et leur famille qui se retrouve confrontée à cela.


Souvenir Souvenir, est totalement autobiographique ?
 

Oui, il y a quelques aspects qui sont synthétisés. Des personnages qui sont compilés ; et j'ai effectué quelques raccourcis. Mais globalement tout est vrai. D'ailleurs ma grand-mère a fait sa propre voix. Et mon père aussi.

« Je savais qu'à partir de là, plus rien ne serait comme avant »

Comment aborde-t-on un sujet pareil ?

Ça prend beaucoup de temps à écrire. Beaucoup plus de temps qu'un film « normal ». Mais celui-ci, je l'ai écrit pendant que je le fabriquais. Et des événements se sont ainsi rajoutés au fur et à mesure. Par exemple, la scène de la masse d'armes qu'on voit dans le film s'est réellement produite (le grand-père raconte à sa famille comment lui et un ami fabriquent une arme rudimentaire avant d'aller au front ndlr), à l'époque où je travaillais sur Souvenir Souvenir. Et elle ne se serait pas produite si je n'étais pas en train de travailler sur ce film. C'était très fort ! Parce qu'à l'instant où mon grand-père s'est mis à raconter cette anecdote, je me suis retrouvé dans un état second. J'avais envie de savoir et de ne pas savoir. En même temps, j'étais excité à l'idée d'apprendre enfin quelque chose. Mais je savais aussi, qu'à partir de là, plus rien ne serait comme avant.

Souvenir Souvenir de Bastien Dubois
Souvenir Souvenir de Bastien DuboisBLAST production - Pictanovo - Arte France


On a le sentiment que vous aviez une forme de nécessité à faire ce film. Qu'est-ce qui a déclenché cela ?

C'est un peu expliqué dans le film. Quand j'étais petit, j'avais envie d'entendre des histoires. Des histoires de guerre. On travaillait sur ce sujet à l'école, on allait au musée pendant les vacances. Et mon grand-père avait fait la guerre, pourtant, ça, on n'en parlait pas. Du coup, s'est développée cette étrange incompréhension. J'étais coincé entre une forme de fascination et un certain malaise, autour de ces choses qui n'étaient pas traitées dans ma famille.


Vous dites d'ailleurs, dans le film, que vous n'avez pas forcément voulu entendre ce que votre grand-père aurait pu raconter...

Quand je suis devenu adulte, effectivement. Mais c'est un numéro d'équilibriste. On jongle entre différents états de conscience de ce que tout cela représente, des enjeux. Enfant, cette histoire me questionnait, mais je ne savais pas pourquoi, ni ce que cela représentait vraiment. Adolescent, j'étais révolté, j'avais envie de porter des jugements, d'être dans l'attaque frontale. Adulte, je mesurais déjà un peu plus les implications que cela avait pu avoir sur le reste du monde. Restait à savoir comment parler de cela, sans produire plus de dégâts. Je fais d'abord des films pour le plaisir. Comme c'était le cas avec Madagascar, Carnet de voyage, où j'avais surtout envie de voyager et faire de l'animation. Là, c'était autre chose. C'était... cathartique. Ce n'était pas du tout la même démarche. C'est une énergie différente, évidemment plus difficile à appréhender. Je me serais bien passé d'avoir eu à faire ce film. Mais je devais le faire. Et je suis très content de l'avoir fait et de pouvoir passer à autre chose.

Le but, c'est surtout d'arriver à se questionner, communiquer, d'arriver à affronter les tabous familiaux

Qu'est-ce que votre film essaye de dire dans le fond ? À un moment, un personnage évoque « la honte indicible de la deuxième génération ». C'est ce que vous avez ressenti ?

Non, pas vraiment. Parce que mon grand-père s'est retrouvé dans cette guerre malgré lui. Je ne sais toujours pas exactement quelle part il a pu prendre dans des atrocités. Ce n'est plus tellement la question aujourd'hui. Le but, c'est surtout d'arriver à se questionner, communiquer et affronter les tabous familiaux ou les secrets qui pèsent encore. Je pense que c'est plus un film là-dessus, qu'un film de jugement, qui parlerait de honte. C'est aussi un film sur tout ce que cette guerre a changé. Peut-être que mon grand-père aurait été une autre personne s'il n'avait pas dû aller là-bas. Ma grand-mère dit d'ailleurs quelque chose de très fort à la fin : quand il est revenu d'Algérie, ce n'était plus le même jeune homme insouciant... Et c'est ça que je retiens avant tout. L'ultime révélation que j'ai eue sur ce film, c'est de me dire que mon grand-père était un ancien combattant, qui a eu à affronter des événements qui sont le fait de la politique coloniale française. Peut-être que j'aurais été quelqu'un d'autre, que j'aurais eu une autre vie, que mon père aurait été quelqu'un de différent, s'il n'avait pas été là-bas.

 

C'est un film très fort visuellement. Comment est-ce que vous avez pensé l'animation ?
 

Au départ, je voulais faire un film beaucoup plus léger graphiquement. Quelque chose de très sobre, juste avec des lignes claires, sans couleur, pour que ce soit le propos qui prime. J'avais commencé à développer un univers graphique avec l'auteur de BD argentin Jorge González, pour un autre projet, un long métrage. Et comme les tests qu'on avait faits marchaient très bien, je n'avais pas envie d'attendre pour pouvoir commencer à travailler avec lui. Alors je lui ai proposé qu'il m'accompagne sur ce court métrage. Partir sur un graphisme très riche, très élaboré, c'était aussi une façon de me protéger. Enfin, la partie cartoon, trash, je l'ai déléguée à un autre studio, à des copains. Au début je voulais faire du noir et blanc pour différencier, mais je trouvais l'approche trop classique. Déléguer complètement cette partie-là, fut une manière de trancher clairement.

Souvenir Souvenir

Réalisé par Bastien Dubois
Produit par Simon Pénochet et Amiel Tenenbaum
Par Blast Production, ARTE FRANCE, Pictanovo

Ce court métrage a été soutenu par le CNC.