Grégory Magne : « J’ai le goût de la province et des road movies »

Grégory Magne : « J’ai le goût de la province et des road movies »

30 juin 2020
Cinéma
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Les Parfums
Les Parfums Pyramide - Les films Velvet

Avec Les Parfums, le réalisateur de L’Air de rien met en scène un road movie entre deux personnages qu’a priori tout oppose : un « nez » pour des grands parfumeurs et son chauffeur. Il nous raconte les coulisses de cette balade touchante et sensible sur les routes de France.


L’idée des Parfums est-elle née directement dans la foulée de votre premier long métrage, L’Air de rien ?

Grégory Magne : Après L’Air de rien, j’ai développé un scénario avec mon producteur Frédéric Jouve. Un film assez ambitieux en termes de financement qui nous est du coup apparu compliqué à défendre en sortant d’un premier long à petit budget. On l’a donc mis provisoirement de côté et c’est là que j’ai commencé à travailler sur Les Parfums.

Quelle a été la base de cette écriture ?

Parler de cette notion d’odeur qui me poursuit depuis des années. Je me souviens d’ailleurs avoir eu un jour une discussion avec des comédiens en leur expliquant qu’on pourrait imaginer un parfum pour chaque personnage, de la même manière qu’on leur attribue des costumes.

J’ai toujours été marqué par cette idée du souvenir olfactif qui vous étreint comme peu d’autres. Comment une odeur peut, en une poignée de secondes, vous replonger dans un souvenir d’enfance oublié. J’ai donc eu envie de travailler ce sujet en termes de récit, de mise en scène et de jeu pour que le spectateur puisse avoir la sensation de sentir ce que les personnages sentent.

Faire de votre héroïne un « nez » pour des grands parfumeurs est donc venu logiquement ?

Exactement. A travers ce personnage, je voulais explorer ce qu’implique concrètement le fait d’avoir un odorat plus développé que la moyenne. Et très vite, j’ai eu envie de confronter cette femme à quelqu’un a priori très éloigné d’elle, cet homme qui va devenir son chauffeur. J’ai bien conscience que ça n’a rien de très original. Mais cet attelage et le fait de l’emmener sur les routes de France traduisent mon goût de la province, des road movies et des lieux que ces escapades invitent : les aires d’autoroute, les stations-essence, les hôtels… J’aime cette France-là, je pense qu’elle fait partie de notre mythologie et de notre patrimoine visuel. Et que, contrairement à la manière dont les Américains ont su magnifier leurs paysages sur grand écran, la représentation de la province au cinéma n’est pas toujours très habile chez nous. Pour ma part, je trouve ces décors graphiquement très cinématographiques et j’aime m’y aventurer dans mes films.

Il y avait d’ailleurs déjà cette idée de road movie dans L’Air de rien où le chanteur endetté, que campait Michel Delpech, partait en tournée avec son huissier comme chauffeur. Vous revendiquez ce lien entre les deux films, jusque dans cette idée de personnages antagonistes forcés de faire un bout de chemin ensemble ?

Entièrement. Notamment cette idée de se retrouver otages d’une voiture avec tout ce que les kilomètres permettent en termes d’ellipse dans le récit.

Les Parfums évolue donc en terrain connu. Mais pour autant, vous ne cherchez jamais à surprendre pour surprendre. Comment construisez-vous le récit sur la longueur pour éviter malgré tout d’arpenter des chemins attendus ?

Je conçois parfaitement qu’on puisse avoir la sensation de connaître par cœur cette histoire. Mais moi j’aime, dans mes films, donner de l’importance aux non-événements et aux temps a priori plus faibles. Cela me vient, je crois, du documentaire où, observateur, on suggère plus qu’on ne montre car on n’a pas la possibilité de tout filmer aussi longtemps et précisément qu’on le souhaiterait. J’aime ce qui reste coincé dans le pli de la page. C’est en tout cas comme ça que j’écris, que j’imagine les choses et que je tente de les faire jouer à mes comédiens. J’assume donc pleinement de ne pas construire une histoire avec des rebondissements incroyables mais d’amener les spectateurs à apprécier les petits détails de ce récit.

Les Parfums Les Films Velvet/Pyramide/DR

Les Parfums marque aussi votre deuxième collaboration avec Grégory Montel. Vous avez écrit ce film pour lui ?

Avec Grégory, nous ne nous sommes jamais perdus de vue depuis L’Air de rien et avons même tissé des liens d’amitié. J’avais donc envie de tourner de nouveau avec lui et de voir comment il avait pu évoluer en tant que comédien grâce, entre autres, à Dix pour cent. J’ai donc écrit ce personnage avec Grégory en tête. Je le connais tellement bien que je sais ce que j’ai envie d’entendre et de voir de lui à l’écran.

Et qu’est-ce qui vous a incité à l’associer à Emmanuelle Devos ?

Je dirai que c’est son personnage, Anne Walberg, qui m’a soufflé très fort son nom… Parce que je savais ce qu’elle pourrait faire de cette femme sur le papier fort peu loquace. Par son regard, par cette neutralité qu’elle allait savoir d’emblée imposer à ce « nez » qui peut paraître au départ - et à tort - hautain, alors qu’elle est simplement dans sa bulle, fermée, socialement un peu étrangère au monde. Emmanuelle a spontanément tout cela en elle.

Ce monde des « nez » vous était familier avant Les Parfums ?

Non mais j’ai été journaliste. Donc quand j’aborde un sujet, j’ai tout de suite des souvenirs d’infos qui remontent à la surface. Comme un réflexe pavlovien. Dans un premier temps, j’ai donc écrit à l’inspiration en me basant sur ces souvenirs. Puis, une fois une première version terminée, je l’ai faite lire à deux « nez » pour qu’ils me donnent leur avis et m’apportent aussi tout le background technique nécessaire qui me faisait forcément défaut. Pénétrer un milieu et le traduire en images font aussi partie du plaisir à écrire des histoires.

Puisqu’on parle d’images, vous avez changé de chef opérateur entre vos deux films, Julien Poupard laissant la place à Thomas Rames…. Comment avez-vous construit avec lui l’atmosphère visuelle des Parfums ?

Pris par Les Misérables, Julien ne pouvait pas être à mes côtés. J’ai donc rencontré Thomas. Et notre premier échange a duré 3 heures sans qu’on ait vu le temps passer. Puis, rapidement, on s’est mis d’accord sur le fait de tourner Les Parfums en automne car la nature à cette saison-là nous semblait visuellement évoquer des odeurs plus particulières qu’à n’importe quel autre moment de l’année. On a aussi souhaité des intérieurs assez sombres quand Anne Walberg fait son métier de « nez » car cela permet de faire exister l’air que véhiculent les parfums. Puis, pour les extérieurs, on est partis en repérages dans la région Grand Est, chacun avec son appareil photo. Et chaque soir, on s’apercevait qu’on avait à peu près les mêmes cadres. Tout ceci a installé une confiance qui ne s’est jamais démentie au fil de cette collaboration incroyablement simple, sans la moindre incompréhension. Avec le budget modeste qui était le nôtre et avec un nombre conséquent de décors – quasiment un par séquence –, Thomas a vraiment fait un travail incroyable à la lumière pour ce qui n’est que son deuxième long après Willy 1er (de Marielle Gautier et Hugo P. Thomas)

De votre côté, avez-vous déjà le troisième en tête ? Avez-vous ressorti de votre tiroir ce fameux projet que vous avez mis de côté ?

Pas encore mais il reste dans un coin de ma tête. En attendant, je suis parti sur un autre scénario où il n’y aura cette fois-ci ni voiture, ni chauffeur…. En tout cas, pour l’instant. (rires).

Les Parfums, qui sort ce mercredi 1er juillet, a reçu l’aide au programme éditorial vidéo 2020 du CNC.