Jean-Claude Mézières : « On a tort de penser qu’un succès en BD fera forcément un bon film »

Jean-Claude Mézières : « On a tort de penser qu’un succès en BD fera forcément un bon film »

27 août 2020
Cinéma
Couverture de la BD Valérian, Tome 2 : L'Empire des milles planètes
Couverture de la BD Valérian, Tome 2 : L'Empire des milles planètes Dargaud 2017
Saga BD et cinéma - En 1967, dans les pages de l’hebdomadaire Pilote, le dessinateur Jean-Claude Mézières et le scénariste Pierre Christin imaginent les premières aventures de Valérian et Laureline, deux agents spatio-temporels venus de Galaxity, la mégalopole terrienne du XXVIIe siècle, qui vont jouer les touristes galactiques et sauver les nations et les peuples menacés. Très vite installée comme un classique du neuvième art et de la science-fiction contemporaine, la saga Valérian va fortement infuser le cinéma. Star Wars emprunte beaucoup aux créatures, engins et planètes croqués par Mézières dans ses planches foisonnantes. Le cinéaste Luc Besson donnera même ses lettres de noblesse à la série en demandant au dessinateur de travailler en 1997 sur les décors du Cinquième Elément avant d’adapter lui-même un épisode de la série Valérian. Personne mieux que Mézières ne pouvait raconter les liens entre BD et cinéma, lui qui s’est nourri du septième art autant que les films l’ont influencé. Rencontre.

J’imagine que quand vous avez commencé à dessiner Valérian, le cinéma fut l’une de vos sources d’inspirations visuelles ?

Valérian, Tome 2 : L'Empire des mille planètes Dargaud 2017

Cela fait plus de 50 ans que j’ai créé Valérian et à l’époque, au cinéma, il n’y avait pas vraiment de SF à se coller sous les dents. Je n’ai jamais été un véritable cinéphile. Mais dans ma jeunesse, c’était plutôt les westerns qui étaient à la mode. A 15 ans, avec mon copain Jean Giraud (le futur Moebius), on séchait les cours pour aller à la séance de dix heures du matin dans les petits cinoches des grands boulevards. Des salles comme le Rialto, l’Eldorado, le Far West, projetaient des westerns de série B. On était fascinés par l’Amérique. On se demandait si ce monde existait vraiment. Il y a forcément du western dans Valérian, mais je n’ai jamais considéré la série comme un western fantastique. La grande source d’inspiration pour Christin, mon scénariste, comme pour moi-même, c’était la littérature fantastique. Mais, bien sûr, je me souviens évidemment d’avoir vu des films comme Planète interdite (Fred M. Wilcox) ou Le Jour où la Terre s'arrêta (Robert Wise) qui m’ont marqué à l’époque et forcément imprégné mon travail. … Le problème, avec ces films-là, c’est que les effets spéciaux étaient vraiment moches. Jusqu’à Kubrick. Le grand choc de science-fiction, auquel j’ai d’ailleurs rendu hommage dans un des albums, reste 2001 l’Odyssée de l’Espace (Stanley Kubrick).  

Mais il y a quand même beaucoup d’aspects western dans Valérian.

Oui bien sûr, il y a toujours des références au western. Mais ça ne canarde pas vraiment dans mes BD, contrairement aux films de cowboys. J’ai toujours détesté les armes. Le service militaire m’a guéri de ça. Après c’est vrai que comme j’aime créer des univers, des mondes, évidemment, il y a certainement des références aux paysages de l’Ouest américain que j’ai vus dans les films ou durant mes nombreux séjours là-bas. Mais ce n’était pas vraiment délibéré. Et puis, pour tout dire, à l’époque le western en BD était un genre ultra exploité. Du journal communiste au journal le plus catholique, tout le monde avait sa série de western. Moi je voulais faire autre chose.

Et, concernant la physionomie de votre héros, quel fut l’apport du cinéma ?

Valérian, Tome 2 : L'Empire des mille planètes, page 9 Dargaud 2017

Quand Jean Giraud a créé Blueberry, il avait dessiné Belmondo. A l’époque il m’avait montré les premières planches et m’avait conseillé, pour mon héros, de peut-être aussi m‘inspirer d’une célébrité. Moi, j’ai pris un numéro de Salut les copains et j’ai dessiné Hugues Aufray, du moins vaguement, parce que je n’avais pas le talent de Jean pour le dessin. Mon métier c’est l’imaginaire et du coup j’évite de trop calquer le réel.

Le cinéma a-t-il été une source d’inspiration pour découper certaines de vos séquences ?

Vous savez, le cinéma impose son rythme au spectateur, tandis qu’en BD, c’est le lecteur qui décide de son rythme de lecture, c’est une grande différence. Après, c’est vrai qu’on peut trouver des similitudes. Dans une bande dessinée, il y a des règles induites qui facilitent la compréhension, comme le sens de lecture de gauche à droite et au cinéma il y a des règles de montage. Du coup, pour répondre à votre question : pas vraiment, non.

A partir de quand le cinéma a-t-il commencé à s’intéresser à vous et vous au cinéma ?  

Au début des années 80, un réalisateur américain, Jeremy Kagan, était venu à Paris pour trouver des fonds afin d’adapter La Nuit des Temps de Barjavel et on lui avait conseillé de me rencontrer. J’ai donc commencé à dessiner des ébauches de décors fantastiques pour son film à partir de son scénario. Malheureusement, le projet ne s’est jamais fait. A la suite de quoi, j’ai décidé de passer à la réalisation et je me suis tourné vers la vidéo pour adapter Valérian. Mon idée était d’aller vers une animation dans le style de La Planète Sauvage de René Laloux, à base de dessins, d’incrustations et de collages. Comme c’était autoproduit, que ça coûtait énormément d’argent et que mon éditeur n’était pas prêt à me suivre, c’est également tombé à l’eau. J’ai ensuite travaillé sur un film qui a mis 10 ans à se faire : Un Dieu Rebelle (Peter Fleischmann). J’ai effectué des recherches sur les décors, les costumes, et j’ai même participé aux repérages. Et puis un jour Luc Besson m’a téléphoné pour que je travaille sur son prochain film : Le Cinquième Elément.

Avant d’évoquer votre collaboration avec Besson, on ne peut pas ne pas évoquer les « emprunts » à Valérian, faits par de nombreux réalisateurs. Quel est votre sentiment ?  

C’est compliqué… Disons que la moindre des choses aurait été de me remercier. Georges Lucas n’a jamais évoqué Valérian. Moi, je lui ai envoyé une lettre, il y a 40 ans, afin de lui signifier que nous avions des univers pour le moins très proches et que, s’il voulait, je pouvais venir travailler pour lui. Ma lettre est restée sans réponse. Bon, on ne va pas exagérer : oui, bien sûr, il y a beaucoup de films que j’ai vus et où je me disais « Tiens, ça, ça ressemble beaucoup à l’un de mes astronefs ou à l’un de mes extraterrestres ». Je laisse le public juger. De toute façon, je n’ai aucune preuve. J’aurais juste aimé être remercié ou au moins cité. Dernièrement, j’ai vu District 9 (Neill Blomkamp) et je dois dire que l’astronef du film ressemble beaucoup à mes dessins. Mais ça fait partie du jeu. Je suis tout à fait conscient que ce n’est pas forcément le fait du réalisateur – c’est parfois le travail du chef déco ou d’un assistant. Disons que les idées circulent. Besson a été le seul à reconnaître ce qu’il nous devait, à Christin et à moi, et il en a même fait un film. Cela dit, moi aussi j’ai fait des emprunts. Par exemple, dans L’Empire des mille planètes, les casques avec des ailes des princes m’ont été inspirés par les costumes des chevaliers dans Alexandre Nevski (Sergueï Eisenstein).

Comment s’est passée cette première collaboration avec Luc Besson ?

Pendant presque un an, à Paris, avec d’autres dessinateurs j’ai dessiné pour Le Cinquième Élément. Chacun travaillait sur une partie du scénario qu’on lui avait confiée ou qu’il avait choisie après avoir lu le script. Nous étions un peu chacun de notre côté et on dessinait en fonction de nos envies. Nous étions totalement libres d’imaginer, sans aucune contrainte. Après, une fois que Besson avait pioché des idées ça et là, le chef déco et les architectes sont entrés dans la boucle. J’ai également fait, si je me souviens bien, des croquis de costumes qui ont servi pour d’autres films. Parallèlement, je finissais ma propre BD et j’avais eu l’idée de taxis volants que j’ai ré-utilisée dans le fond d’esquisses d’un New York futuriste dessiné pour le film. La production du Cinquième élément s’est arrêtée pour des raisons financières. Besson à fait Léon et quelques années après, il a repris le film et mes petits taxis volants qu’il a intégrés au scénario, puisqu’au départ son héros travaillait dans une usine de fusées…   

 

Et Valérian?

Pendant dix ans, Besson a approché notre éditeur pour adapter Valérian au cinéma. Avec Pierre (Christin) nous n’avons pas vraiment eu notre mot à dire là-dessus. C’était des négociations de droits. Cela dit, je dois avouer que nous n’avons pas été très impliqués sur le film. Nous avons lu le scénario, mais sans droit de regard. Certaines choses me plaisent dans l’adaptation, d’autres moins. Ce sont des détails, que j’avais en tête depuis des dizaines d’années. L’astronef de Valérian qui se pose, par exemple, je le voyais beaucoup plus lent, beaucoup plus majestueux. Le rythme du film est très rapide, car Besson avait beaucoup de choses à dire. C’est comme ça. Je lui ai laissé mon bébé et je n’avais pas mon mot à dire. C’est son film, pas le mien.  Je vais laisser refroidir et je vous dirai ça dans quelques temps…

De manière plus générale, que pensez-vous des adaptations de BD ?

J’ai vu quelques-unes des adaptations d’Astérix et pour moi, il n’y a que celle de Chabat qui tienne la route, le reste… Adapter une bande dessinée, ce n’est pas forcément une bonne idée. Passer d’un personnage en 2D, ça passe ou ça casse et généralement… Le Popeye de Robert Altman était vraiment bien. Encore que je ne suis pas certain que le scénario soit si bon.  Mais je ne crois pas qu’il ait eu beaucoup de succès. Et ce n’est pas qu’une question de réalisateur, parce que le Tintin de Spielberg…. Cette scène de duel sur les grues, oh mon Dieu ! Hergé a dû se retourner dans sa tombe. Le problème principal, c’est qu’avec la bande dessinée, vous posez les bases d’un personnage et d’un univers et on ne peut pas le trahir complètement, c’est compliqué. Avec un roman par exemple, chaque lecteur se fait son idée, c’est plus malléable. Je crois qu’on a tort de penser qu’un succès en BD fait forcément un bon film.