Jean-Daniel Pollet, le poète secret du cinéma

Jean-Daniel Pollet, le poète secret du cinéma

09 septembre 2020
Cinéma
L'amour c'est gai, l'amour c'est triste
L'amour c'est gai, l'amour c'est triste Argos Films - DR - TCD
Une rétrospective à la Cinémathèque Française, des ressorties en salles, une « autobiographie » et une large édition vidéo permettent de (re-)découvrir l’œuvre singulière de l’auteur de Méditerranée et de L’amour c’est gai, l’amour c’est triste….

La Ligne de mire (1960)

Tout a commencé presque par hasard. En 1958. Jean-Daniel Pollet, 22 ans, filme des danseurs pour les besoins d’un documentaire sur les bals près de Paris et repère dans la cohue un corps singulier, une sorte de Buster Keaton hésitant. C’est Claude Melki, un apprenti-tailleur du quartier du Sentier à Paris qui rêve de théâtre et de cinéma. Pollet transforme le documentaire en court métrage de fiction. Pourvu qu’on ait l’ivresse… est couronné d’un Lion d’Or à Venise. La carrière du jeune cinéaste est lancée. Fils d’une riche famille d’industriels, il finance avec l’argent familial son premier long métrage, La Ligne de mire. Financièrement ce sera un échec (le film ne sortira pas en salles). Artistiquement, c’est autre chose. La Ligne de mire s’inscrit dans l’élan de la Nouvelle Vague naissante, et devient la matrice de l’œuvre à venir : répétition des plans, personnages décalés et solitaires, voix-off en surplomb… Le film raconte le retour d’un jeune oisif dans son château occupé par d’autres. Jean-Paul Fargier, auteur du livre La vie retrouvée de Jean-Daniel Pollet (Les Editions de l’œil), explique : « C’est un film expérimental composé de fragments de récit. Pollet avait lu La Modification de Michel Butor et s’était mis à écrire un scénario en s’inspirant de la structure répétitive du roman. En le revoyant, on s’aperçoit que ce film préfigure L’Année dernière à Marienbad d’Alain Resnais tourné un an après. »

 

Méditerranée (1963)

C’est grâce à Méditerranée, découvert au mitan des années soixante à la Cinémathèque française, que Jean-Paul Fargier, alors critique de cinéma, tombe « amoureux » du travail de Jean-Daniel Pollet, cinéaste dont il ne sait encore rien. Méditerranée est le fruit d’un voyage vers la Grèce où Jean-Daniel Pollet, assisté du jeune Volker Schlöndorff, part filmer des décors gorgés de soleil. Un voyage à la recherche d’un temps et d’une civilisation perdus. Pollet fait un premier montage, demande à son ami Antoine Duhamel de composer une musique mais quelque chose ne fonctionne pas. Le film ne s’incarne pas. Le réalisateur se tourne alors vers Philippe Sollers afin qu’il écrive un commentaire sur les images. Méditerranée se révèle soudain à lui-même. « C’est un texte qui a regardé le film, explique Jean-Paul Fargier. Philippe Sollers a compris ce qui se jouait sur la table de montage. Il a saisi cette idée du mouvement permanent, de la répétition, du temps sans cesse renouvelé… Au début des années soixante, Philippe Sollers était le pilier de la revue Tel Quel qui accompagnait les nouvelles avant-gardes littéraires comme le Nouveau Roman. Méditerranée incarne cette modernité au cinéma.  Pour Jean-Daniel Pollet, ce film qui ne ressemblait à aucun autre a toujours été un formidable moteur de création. Il y revenait sans arrêt. »

Le Horla (1966)

Après le moyen métrage Méditerranée salué par une grande partie de la critique, Jean-Daniel Pollet quitte les rivages du film-essai, pour signer un long métrage plus commercial. Ce sera Une balle au cœur, qui sort en 1966, avec Sami Frey et Françoise Hardy. Mais la chanteuse, en pleine vague yéyé, n’apparaissant qu’à mi-film, le public boude. Pollet participe dans la foulée au célèbre film à sketches Paris vu par… réunissant le gratin du jeune cinéma français de l’époque (Godard, Rohmer, Chabrol, Rouch…) et se confronte ensuite à la prose de Maupassant avec Le Horla. Ce moyen métrage voit Laurent Terzieff, enfermé dans une maison, se débattre avec ses propres démons. « La forme du film est parfaite, poursuit l’auteur de La vie rêvée de Jean-Daniel Pollet, elle fait corps avec le thème du récit. Le sujet étant peu ou prou la schizophrénie, Pollet a l’intuition géniale de dédoubler son acteur principal à l’écran. On voit ainsi Laurent Terzieff avec un micro lire le texte mais aussi vivre l’histoire. Le travail sur les couleurs est également remarquable. Pollet a d’ailleurs pris les conseils du peintre Claude Bellegarde qui avait écrit des théories sur la psychologie des couleurs. Il est allé jusqu’à planter des fleurs dans le jardin de la maison où se passe l’action du film pour obtenir des couleurs spécifiques. C’est comparable à Claude Monet cultivant les nymphéas pour ensuite les peindre. »

L’amour c’est gai, l’amour c’est triste (1971)

Avec le diptyque L’amour c’est gai, l’amour c’est triste et L’Acrobate, Jean-Daniel Pollet signe deux comédies portées par son acteur fétiche, Claude Melki. Ce dernier campe à chaque fois Léon, un être timide, brimé par plus fort que lui et maladroit avec les femmes. Si dans le premier, tourné en quasi  huis clos, les élans du cœur tournent court, l’apprentissage du tango dans le second, permet à Léon de s’improviser tombeur. Ces deux films avec également Jean-Pierre Marielle, Bernadette Lafont, Chantal Goya, Marcel Dalio ou encore Guy Marchand et Edith Scob, montrent tout le talent comique, poétique et sentimental de Jean-Daniel Pollet.  « Jacques Rozier, Pascal Thomas et lui, formaient un trio informel, commente Jean-Paul Fargier. Ils ont tous signé des comédies brillantes et inventives. Pascal Thomas a d’ailleurs participé à la production de L’Acrobate. Le génie de Pollet est d’avoir croisé et révélé le génie de Melki. Entre les deux hommes, il y a tout de suite eu une évidence. Ces deux films le prouvent magnifiquement, il n’y a qu’à voir la manière dont le cinéaste fait bouger Claude Melki dans L’Acrobate. C’est d’une grâce incomparable. »

Contretemps (1988)

Entre les deux comédies des années soixante-dix, Jean-Daniel Pollet signera L’Ordre, un documentaire sidérant sur le sort des lépreux sur l’île de Spinalonga en Grèce où jusqu’en 1956 les malades vivaient reclus à l’écart du monde. Un film qui est pour beaucoup l’un des points saillants de l’œuvre du cinéaste. Là encore, l’amplitude et la douceur des mouvements de caméra restituent la violence d’un monde. Jean-Daniel Pollet aborde les années quatre-vingt en signant deux films-essais : Pour mémoire (la Forge) et Au Père Lachaise…  Le manque de financements et son rapport dangereux avec l’alcool ralentissent toutefois sa création. « Contretemps est né d’une nécessité, conclut Jean-Paul Fargier. Il voulait faire un film mais il n’avait pas de fonds. Dans un couloir de sa maison, il y avait toutes les copies de ses films. Il a donc décidé de faire un nouveau métrage en utilisant les images de ses anciens films. Il a tout mélangé. Comme pour Méditerranée, il a demandé ensuite à Philippe Sollers de revivifier cette matière. On entend dans le film les voix d’Antoine Duhamel qui évoque son travail sur la musique et celle de la psychanalyste et sémiologue Julia Kristeva. Contretemps est un film sériel. Une sorte d’œuvre ultime. »  Parmi les derniers films de Jean-Daniel Pollet, Dieu sait quoi en 1994, témoignage de sa passion pour le poète Francis Ponge. Le cinéaste meurt le 9 septembre 2004 à l’âge de 68 ans. C’est Jean-Paul Fargier qui achèvera son dernier film, Jour après jour.

 

A découvrir aussi

A lire : La vie rêvée de Jean-Daniel Pollet (Les Editions de l’œil)
En vidéo : Intégrale de l’œuvre de Jean-Daniel Pollet en DVD (La Traverse)
Au cinéma : Ressorties en copies restaurées de plusieurs longs métrages à partir du 9 septembre.