L’Affaire Langlois, matrice des États généraux du cinéma ?

L’Affaire Langlois, matrice des États généraux du cinéma ?

Nous voulons Langlois
Nous voulons Langlois Collection-Cinémathèque-française-DR

En 1968, les relations de plus en plus tendues entre le ministère de la Culture et Henri Langlois, le fondateur et directeur de la Cinémathèque française, aboutissent à l’éviction de ce dernier. Le cinéma français se mobilise alors contre cette décision. Retour sur l’Affaire Langlois, au cœur de laquelle émergent des thématiques centrales des États généraux du cinéma à venir.


L'éviction d'Henri Langlois

Pour certains, tout a commencé là. Ni en mai, ni en mars à Nanterre, mais en février, place du Trocadéro, avec « l’affaire »… Pour le cinéma en tout cas c’est bien autour de la Cinémathèque française et de son charismatique fondateur Henri Langlois que la révolte de 1968 sonne, lorsque celui-ci se voit privé de la direction de l’établissement par le ministère de la Culture.

Pourquoi ce désamour ? De 1959 à 1968, la Cinémathèque française touche 20 millions de francs de subventions (elle n’avait eu que 3,4 M entre 1945 et 1959). La batterie de Bois-d’Arcy voit la construction d’un entrepôt permettant d’assurer la conservation des films et 2,4 millions de francs sont affectés à la sauvegarde des films sur support pérenne dans le cadre des IV et Ve plans. Le jeune ministère des affaires culturelles ne s’est pas désintéressé de la Cinémathèque !

Cette attention toute particulière crée des obligations peu compatibles avec la liberté indispensable à la direction de la Cinémathèque telle que souhaitée par Henri Langlois. Le Ministère ne connaît alors ni le nombre, ni le titre, ni l’emplacement, ni le statut juridique des films de la collection. Il n’existe pas non plus d’inventaire des collections non-films. On ne sait pas où sont les sauvegardes financées par l’État et dont le CNC est propriétaire.

La nouvelle organisation du conseil d’administration en 1964 a placé deux directeurs aux commandes de la Cinémathèque. Henri Langlois est directeur artistique et technique, tandis que Claude Fabrizio est directeur administratif et financier. Cette organisation crée de vives tensions entre les deux hommes et n’empêche pas la dégradation de la gestion incompatible avec l’engagement financier et moral de l’État, ce qui ne convient pas. Entre 1964 et 1967, aucune assemblée générale n’est organisée.

Changement de serrures

En 1965, le ministère des Affaires culturelles crée une commission technique chargée de vérifier l’usage des crédits accordés pour la conservation et la sauvegarde des collections de la Cinémathèque au CNC. Jean Vivié, André Holleaux et Louis Didiée en font partie. L’année suivante, il est décidé de conserver les dispositions de l’ouvrage militaire de la batterie de Bois-d’Arcy afin d’y installer un lieu de conservation des films. Plusieurs visites des blockhaus sont organisées sur le site pour examiner les collections, les tester et les inventorier sous l’autorité d’une Archiviste de la Bibliothèque nationale. Le bilan est considéré comme terrible. Henri Langlois est ulcéré d’une telle démarche et fait changer les serrures des locaux de Bois-d’Arcy pour empêcher toute nouvelle exploration des collections.

En septembre 1967, les contrats de Langlois et Fabrizio arrivent à expiration. André Malraux  propose la nomination de Maxime Skimazi comme directeur administratif et d’Henri Langlois comme directeur artistique. Celui-ci refuse ce nouvel attelage et, lors de l’assemblée générale du 19 décembre (pour laquelle le ministre lui a donné son pouvoir, lui témoignant ainsi toute sa confiance), il réitère son refus et fait évincer le président, Marc Allégret.

Pierre Moinot, homme de confiance de Malraux, est le nouveau président et, lors du CA du 9 février, Pierre Barbin est choisi comme directeur artistique à la place de Langlois. Un poste doit être proposé à ce dernier. Le nouveau directeur pratique immédiatement la politique du changement de serrures et licencie 54 salariés avant même que Malraux n’ait validé sa nomination à la tête de l’institution. 

Jean Vivié (1904-1972), ingénieur des Mines de formation, fut également un spécialiste des techniques de la photographie, de l’enregistrement sonore et de la radiodiffusion. Auteur de nombreux ouvrages techniques, il fut également membre fondateur de la Commission supérieure technique du Cinéma, désormais CST - Commission supérieure technique de l'image et du son. André Holleaux (1921-1997), ancien directeur du cabinet d’André Malraux au ministère de la Culture, fut aussi le Directeur général du Centre national de la cinématographie de 1965 à 1969.

Une affaire internationale

« L’affaire Langlois » commence et se fait internationale : Charles Chaplin, Orson Welles, Fritz Lang, Alfred Hitchcock, Carl Th. Dreyer, Stanley Kubrick et d’autres font parvenir à la Cinémathèque française des télégrammes d’indignation et de soutien.

Le 14 février, 3000 personnes se rassemblent place du Trocadéro, cinéphiles et habitués de la Cinémathèque aux côtés de François Truffaut, Jean-Luc Godard, Bertrand Tavernier… pour manifester leur colère face à l’éviction de Langlois. Les forces de police sont aussi présentes et chargent. L’affrontement est violent : c’est la répétition d’un scénario courant trois mois plus tard.

Le 16 février, le Comité de défense de la Cinémathèque française organise au cinéma Studio Action une conférence de presse où Marcel Carné, Claude Chabrol, Louis Daquin, Pierre Kast, Maitre Georges Kiejman, Jean-Luc Godard, Jean Renoir, Jacques Rivette ou encore Jean Rouch répondent à dix questions explicitant la situation et la stratégie à adopter pour faire plier le Ministère et rendre à Henri Langlois sa Cinémathèque.

À côté de la défense de Langlois se profilent d’autres mécontentements et surtout la volonté d’en finir avec la tutelle du CNC qui, comme l’affirme Jean-Luc Godard,  « n’est pas du tout le porte-voix de la profession cinématographique » mais « le flic du Gouvernement. Qui est fait pour que le Cinéma marche droit ». Le cinéma n’est pas un art de fonctionnaires. « Le Cinéma ne peut être fait que par des artistes » (Jacques Rivette) et « Langlois a conçu la Cinémathèque comme une œuvre de poète » (Pierre Kast). Autant de sujets qui vont nourrir quelques semaines plus tard les États généraux du cinéma. « Une révolution culturelle est en train de commencer », diagnostique Jean Rouch.

Après une nouvelle manifestation, menée cette fois par Jean Marais le 18 mars rue de Courcelles, la nouvelle assemblée générale de la Cinémathèque réunie le 22 avril décide de s’affranchir de la tutelle de l’Etat. Henri Langlois est finalement rétabli dans ses fonctions et, le 2 mai, la salle de la rue d’Ulm accueille de nouveau les cinéphiles. L’État suspend ses subventions et poursuit l’aménagement du site de Bois-d’Arcy où le CNC installe le Service des archives du film sous la responsabilité de Jean Vivié.