« Les Vacances de Monsieur Hulot », de Jacques Tati

« Les Vacances de Monsieur Hulot », de Jacques Tati

16 août 2019
Cinéma
Les Vacances de Monsieur Hulot
Les Vacances de Monsieur Hulot
À l’été 1951, Jacques Tati débarque à Saint-Marc-sur-Mer, station balnéaire de Saint-Nazaire, dont il changera à jamais le visage en y tournant Les Vacances de Monsieur Hulot. Retour avec Jean-Claude Chemin, auteur de Et Tati créa Monsieur Hulot, sur l’impact local du film.

À Saint-Marc, une statue de Monsieur Hulot (dévoilée en 1997) occupe le belvédère surplombant la plage tandis que cinq cabines stylisées et interactives jalonnent le bourg depuis 2014. Ces installations (s’ajoutant à une place portant le nom du réalisateur) symbolisent la place à part qu’occupe Jacques Tati dans le cœur des habitants. « Nous avons progressivement fait revenir la mémoire dans ce lieu », souligne Jean-Claude Chemin, ancien journaliste local installé à Saint-Nazaire et auteur du livre Et Tati créa Monsieur Hulot (éditions Locus Solus).

Grâce à son accès aux archives mises à sa disposition par Les Films de Mon Oncle -qui gère le catalogue du cinéaste- et à ses entretiens avec des témoins de l’époque, Jean-Claude Chemin a pu reconstituer de façon précise le tournage mouvementé des Vacances de Monsieur Hulot à Saint-Marc.

Figurants improvisés

Flashback. Au lendemain du succès de Jour de fête, Tati décide de créer un nouveau personnage moins caricatural que François le facteur : ce sera Monsieur Hulot, un Français moyen « dont la nature le mettra en situation comique chaque fois qu’il agit. »

Ses premières aventures se passeront au bord de la mer où Tati a l’habitude d’aller comme une infime partie de ses compatriotes -qui ne se déplacent pas encore en masse pendant leurs congés payés. Après que le lieu a été choisi par ses collaborateurs, qui ont sillonné la côte ouest et lui ont soumis clichés et cartes postales pour le convaincre, Tati prend ses quartiers à Saint-Marc le 28 juin 1951.

Durant tout le mois de juillet, tandis que son équipe technique peaufine les décors (une fausse entrée jouxtant le fameux Hôtel de la Plage ; une boutique et une villa créées de toutes pièces avec l’aide de trois menuisiers locaux), Tati choisit ses acteurs et figurants... parmi les estivants et les autochtones. « C’est l’inventeur du casting sauvage ! », s’enthousiasme Jean-Claude Chemin. Selon ses besoins en silhouettes et en têtes, le cinéaste perfectionniste invite en effet les gens à rejoindre le film et à grossir les rangs d’une distribution composite, faite d’acteurs professionnels (minoritaires), de collaborateurs et, donc, d’estivants.

« Un exemple de ses intuitions, raconte Chemin. Un garçon s’apprêtait à traverser avec sa périssoire la route principale où se tournait un plan. Arrêté par l’équipe, il a dû patienter jusqu’à ce que, n’en pouvant plus, il a bravé l’interdiction. En voyant cela, Tati a trouvé ça chouette et lui a demandé de recommencer devant la caméra ! ». Il embauchera de la même façon le petit-neveu et les nièces du propriétaire du fameux terrain de tennis, théâtre de l’une des séquences les plus mémorables du film. Ou louera à des paysans du coin un mulet et une mule pour une autre séquence marquante.

Le “revival” Hulot

Au cours du mois d’août, alertés de la présence d’un tournage, les badauds se pressent à Saint-Marc. Les choses se passent en bonne entente, sauf avec des jeunes à qui Tati demande de bouger le filet de volley qu’ils ont dressé sur la plage. « Un adolescent avait dû obtenir les autorisations des affaires maritimes et de la mairie pour l’installer. Autant dire qu’il n’était pas content et qu’il a négocié sévèrement avec Tati... »

Tout rentrera rapidement dans l’ordre. L’équipe du film est tellement bien acclimatée qu’elle obtiendra sans problème l’accord de la directrice de l’école publique de lui “prêter“ quelques élèves pour tourner des plans supplémentaires en septembre -la météo fut mauvaise cet été-là et nécessita des journées de tournage imprévues à l’automne. « En guise de cachet, précise Chemin, les élèves eurent leurs après-midis, des tours du bourg en jeep et des sucettes Pierrot Gourmand... »

Le clap de fin à Saint-Marc a lieu le 13 octobre 1951. Tati va désormais tourner les intérieurs en studio et certains extérieurs en Île-de-France au cours des mois suivants. Il reviendra épisodiquement en 1952 à Saint-Marc pour filmer d’autres plans. La sortie du film, en 1953, est un événement français, puis international. Les Anglais, qui raffolent du film, se pressent à l’Hôtel de la Plage où ils sont déçus de ne pas retrouver le décor du long métrage -les intérieurs ont été tournés en studio. Peu importe. Claude Bernard, le propriétaire, leur propose de dormir dans une chambre sous les combles où Tati aurait logé...

Quant aux habitants, certains regrettent de ne pas apparaître à l’image, d’autres de ne pas retrouver le rythme burlesque de Jour de fête. Les années passent. Le passage de Tati a été un peu oublié. Quand le cinéaste revient, en mai 77, pour actualiser la séquence du canoé (un clin d’œil aux Dents de la mer qui vient de terrifier le monde entier), l’événement passe presque inaperçu. Il faudra attendre les années 80, puis 90, pour que, sous l’impulsion d’associations culturelles, le mythe Hulot revienne à la surface à Saint-Marc. « Il y a désormais la volonté d’avoir un lieu dédié à Hulot, comme ce qui a été fait à Saint-Sévère autour de Jour de Fête », conclut Jean-Claude Chemin.