Mistinguett, star de cinéma : il était une voix

Mistinguett, star de cinéma : il était une voix

11 octobre 2018
Cinéma
Mistinguett au Parc des Princes - Agence Roll
Mistinguett au Parc des Princes - Agence Roll Gallica - Bnf

De cette reine du music-hall qui enflamma les scènes de Paris et du monde entier au tout début du XXe siècle, on se souvient surtout de sa verve, sa gouaille et « ses belles gambettes ». C’est oublier un peu vite qu’elle fut aussi une actrice du cinéma… muet ! Les 21e Rendez-Vous de l’Histoire à Blois lui rendent hommage au cours d’un ciné-concert le vendredi 12 octobre.


Si le cinéma avait été parlant, la face du septième art en aurait été peut-être changée. Seulement voilà, la gloire de la chanteuse et danseuse Mistinguett (1875-1956) voit son apogée dans les années folles. Sur l’écran noir des salles de cinéma, tout est encore muet. Et il faudra attendre 1936 pour voir la star du music-hall tout en haut de l’affiche d’un film parlant : Rigolboche de Christian-Jaque.

Dans l’une des séquences les plus fortes du film, Mistinguett, dans ses habits de lumière, seule au centre de la piste laisse enfin éclater sa voix et sa joie : « Dans la vie malgré tout c’qu’on raconte, on peut être heureux de temps en temps, moi qui n’aime pas les gens qui s’démontent, je vous donne un conseil épatant : Chantez dès qu’un petit rayon de soleil discret paraît… » Autour d’elle, des hommes et des femmes du grand monde - plutôt sinistres et pétrifiés devant la tornade- commencent à battre la mesure avec leurs pieds avant de se lever et de faire tourner les serviettes autour de leurs têtes. Les voilà emportés malgré eux par la fougue vertigineuse de la chanteuse.
En une seule séquence, Christian-Jaque aura tout résumé. Mistinguett c’est avant tout cette énergie positive où la théâtralité des gestes et de l’interprétation, vient soutenir une voix éraillée et incertaine. « Lorsque ça monte trop haut moi je m’arrête, et d’ailleurs, on n’est pas ici à l’Opéra. On dit que j’ai de grandes quenottes, que je n’ai que trois notes. C’est vrai ! », chante-t-elle comme pour mieux faire taire les critiques.

Cocteau qui lui rendra un vibrant hommage dans les colonnes du Figaro à sa mort le 5 janvier 1956 à l’âge de 80 ans, ne dit pas autre chose lorsqu’il écrit : « C’est la voix du peuple de Paris qui chante faux et bouleverse, voix qui flâne, voix de nos rues, voix des enfants du paradis. » Pour Colette, Mistinguett était « une propriété nationale. »

Une tornade sur grand écran

1936 donc. Mistinguett chante sur grand écran. Il faut pourtant regarder en arrière pour apprécier le parcours de l’actrice de cinéma. Entre 1908 et 1928, la chanteuse va apparaître dans une quarantaine de petits films muets à la durée plus ou moins courte. Les titres des métrages en question disent tout ou presque de leurs caractères joyeux, légers et parfois aventureux : Le jupon  de la voisine, Une femme tenace, Promenade d’amour, La bonne à tout faire, A bas les hommes, Une bougie récalcitrante, Mistinguett détective 1 & 2… Elle forme avec l’une des premières stars du cinéma burlesque français, le sautillant Charles Prince dit Rigadin, un duo comique bien rôdé et efficace.
A l’écran, Mistinguett se déguise, fait des cascades, se travestit…  Star des cabarets, des cafés concerts, certes, mais aussi vedette de cinéma. Son histoire d’amour passionnée à la ville avec Maurice Chevalier illustre à merveille l’éclat d’une artiste qui rêvait, à l’image de son partenaire, d’enflammer les scènes et les écrans du monde entier. Mais au cinéma, le parlant aura bizarrement raison de la chanteuse. Après Rigolboche, la filmographie se tarit. Sa voix trop éraillée, lorsqu’elle ne lui sert pas à chanter, a-t-elle chatouillé les oreilles trop sensibles des cinéastes ? Qu’importe, Mistinguett chante, gesticule et parle fort, là où l’on veut bien d’elle. La scène du music-hall a toujours été et restera sa maison.

« Il a fallu penser à tout ! »

Née dans un milieu modeste à Enghien-les-Bains en 1875 (la date varie selon les coquetteries de l’intéressée), Mistinguett, de son vrai nom Jeanne Florentine Bourgeois, a très tôt le regard rivé vers les lumières de Paris. « La banlieue n’en sort pas qui veut, expliquera-t-elle dans ses mémoires. J’avais un don : la vie. Tout le reste, reste à faire, à penser. Je n’ai pas pu me permettre d’être un bel animal, il a fallu penser à tout. »
Une légende raconte que la jeune intrépide effectue très jeune des allers-retours en train vers Paris où elle n’hésite pas à chanter et à danser pour se faire remarquer. Elle se fait vite un nom et un surnom : Miss Hélyett en référence à un personnage d’opérette qu’elle interprète à ses débuts. De déformations en déformations, Miss Hélyett devient Mistinguette puis Mistinguett, sans « e », plus direct et « joli sur les affiches ».
Dans le Paris insouciant du début du XXe siècle, le sourire, les manières et l’incroyable répartie de la chanteuse font merveille. Quand la Première Guerre mondiale éclate, elle n’hésite pas à jouer les espionnes pour faire libérer « son » Maurice Chevalier, retenu prisonnier en Allemagne. Elle est ensuite la reine des années folles qu’elle traverse dans un bel éclat de rire. L’arrivée de Joséphine Baker, qui menace de lui faire de l’ombre, ne lui fait pas peur. Rien, ni personne, ne peut arrêter une telle joie de vivre. Pas même la mort !