Quand la musique classique rythme le cinéma

Quand la musique classique rythme le cinéma

09 août 2021
Cinéma
2001, l'Odyssée de l'espace de Stanley Kubrick
2001, l'Odyssée de l'espace de Stanley Kubrick Stanley Kubrick Productions - Metro Goldwyn Mayer

Alors que la 23ème édition de Classique au Vert, le festival parisien estival de musique classique, se tient au Parc Floral (dans le Bois de Vincennes) jusqu'au 8 septembre, retour sur cinq grandes musiques classiques qui ont fait vibrer le grand écran.


« Ainsi parlait Zarathoustra » dans 2001, l'Odyssée de l'espace (1968)

On a souvent dit du huitième film de Stanley Kubrick qu'il était un long métrage expérimental et surtout un opéra cosmique. Les cuivres puissants et les coups de tambours de Richard Strauss ne sont pas pour rien dans cette appréciation. Le poème symphonique composé par le chef d'orchestre allemand en 1896 et librement inspiré de Nietzsche, qui se joue en ouverture du film, nous ramène irrémédiablement au cœur du Discovery One, ce vaisseau légendaire du cinéma, capable de rallier Jupiter en quelques semaines. La montée en puissance des notes de Strauss fait écho aux propos du cinéaste américain, qui raconte en réalité à travers son Odyssée de l'espace, l'Odyssée de l'Homme et son évolution, depuis l'aube de l'humanité jusqu'aux frontières de l'infini, s'amusant ainsi avec le concept nietzschéen du Surhomme. Mais il ne s'arrête pas là, puisque dans tout son film, Kubrick utilise de grandes œuvres musicales se substituant à la narration traditionnelle, comme la valse des satellites sur « Le Beau Danube bleu » de Johann Strauss II. Didier de Cottignies, conseiller pour la musique sur les films de Kubrick, raconte que c’est en écoutant une version d'Ainsi parlait Zarathoustra enregistrée par l'Orchestre philharmonique de Berlin, conduit par Herbert von Karajan, qu’il décide d’illustrer son film avec cette musique. Mais les droits d'enregistrement de Karajan n'étant pas disponibles, c'est la version de Karl Böhm, avec l'Orchestre philharmonique de Vienne qu’il choisit (et qui fut créditée au générique). Au cours de la postproduction, Kubrick remplaça discrètement l'enregistrement de Böhm par celui de Karajan et personne ne le remarqua…

 

« La Chevauchée des Walkyries », dans Apocalypse Now (1979)

Les Walkyries, ce sont les guerrières mythologiques nordiques, servantes d'Odin, qui dirigeaient les batailles et distribuaient la mort en montant des sortes de loups. Des siècles plus tard, les montures légendaires ont fait place aux hélicoptères. Des Bell UH-1 Iroquois de l'armée américaine, utilisés durant la guerre du Viêt Nam, et qui sont au cœur de la scène du raid d'Apocalypse Now. Le compositeur Carmine Coppola (le père de Francis Ford Coppola) décide d'utiliser la musique de Richard Wagner pour représenter l'aspect monumental et sauvage de cette attaque sur une base ennemie où se trouvent également des civils et des enfants. Ici, le commandant d'escadron Kilgore utilise l'opéra allemand comme un moteur psychologique, pour inciter ses troupes à aller au combat et à oublier leurs réticences morales. Une mélodie héroïque, devenue, grâce au film sacré à Cannes, le son emblématique des assauts échevelés à travers toute la fiction.

 

« Nocturne n°20 », dans Le Pianiste (2002)

Le film de Roman Polanski (qui raconte l’histoire vraie du pianiste W?adys?aw Szpilman) est indissociable de l'œuvre de Frédéric Chopin, puisque le concertiste polonais en était un spécialiste. Formé à l'Académie Chopin, Szpilman avait entamé une brillante carrière de musicien dans les années 1930 et le 23 septembre 1939, il donne un récital Chopin lors de la dernière émission en direct de la radio polonaise interrompue par les bombes allemandes. Les programmes ne reprendront que six ans plus tard, avec le même récital toujours interprété par Szpilman. C'est cette mélodie douce et triste (Chopin l’avait composée après la mort de sa sœur Emilia de la tuberculose), héroïque et tendre, que Roman Polanski a filmé avec beaucoup d'émotion. Mais au-delà de la simple illustration musicale ou de la fidélité historique, ce que propose le cinéaste à partir du Nocturne c’est une réflexion sur l’art comme moyen de résistance, un thème romantique qui correspond bien aux aspirations secrètes du compositeur polonais.

 

« La Force du destin », dans Jean de Florette et Manon des Sources (1986)

L’inoubliable générique du diptyque réalisé par Claude Berri n’est pas une composition inédite mais une réorchestration par Jean-Claude Petit d’un thème de Verdi. Le compositeur français a en effet repris une célèbre ouverture d'opéra signée du compositeur italien. La Force du destin, œuvre opératique à la versatilité inouïe, avait été composée à la demande du tsar Alexandre II de Russie à la fin du XIXème siècle. Mélodrame à tiroirs, empreint de passion et de lyrisme, les meurtres s’y enchaînent et - malgré la dimension mélodramatique, tragique et comique - s’entremêlent dans ce qui reste comme les plus belles pages de Verdi. Claude Berri choisit pour illustrer son histoire d'amour maudite ce thème qui magnifie les paysages rocailleux du Sud, et illustre à merveille la romance brûlante. Comme le reconnaissait Jean-Claude Petit : « l'emprunt à la "Force du Destin" de Verdi est né du désir de Berri d'avoir un thème central "opératique", désir vite traduit en musique avec ce thème si évident, joué à l'harmonica accompagné par un orchestre symphonique ».

 

« La Symphonie nº 5 » de Mahler dans Mort à Venise (1971)

Réunion de deux grands esthètes de la décadence (le livre de Thomas Mann est adapté par Luchino Visconti), Mort à Venise est une odyssée qui suit la lente déchéance de Gustav von Aschenbach, compositeur allemand d’une cinquantaine d’années. En villégiature à Venise, il tombe sous le charme de Tadzio, un adolescent à la beauté botticellienne. Alors que le monde s'effondre autour de lui, il se consume d'une passion à sens unique, faite de jeux de regards et de questionnements sur l'art, la mélancolie, le temps et la beauté…. Un film porté par la musique de Gustav Mahler, sa troisième et sa cinquième symphonies notamment, et surtout le mouvement lent, l’Adagietto, de la Symphonie n°5. Visconti n’hésite pas à « trahir » l’esprit de l’œuvre originale : en illustrant son film avec cette musique, il détourne cette méditation lyrique de sa fonction véritable. Si la cinquième symphonie était dominée par une tonalité funèbre, elle témoignait aussi par sa conclusion lumineuse, quasi surnaturelle, du triomphe des forces de la vie sur le Mal et la Mort. Le cinéaste préfère accentuer les teintes sombres de la musique pour coller à son mélodrame biographique à la gravité totalement mortifère.